Death Stranding, jeu mené de bout en bout par l'équipe d'Hideo Kojima et habité par une galerie de stars internationales, est sorti en fin 2019. Soit, lorsqu'on commençait à peine de parler du "coronavirus". Ce jeu prophétise un monde post-apocalyptique dans lequel les humains sont isolés les uns des autres, dont seul un réseau leur permet d'établir des liens entre individus, et où les livreurs de colis bénéficient d'un statut particulier. C'est presque le synopsis du premier confinement. A l'instar de Resident Evil VII et Final Fantasy VII Remake, j'avais envie de mitrailler mon clavier pour aborder une expérience que je viens tout juste de boucler. Tu as remarqué que ce blog accueille surtout des softs que j'ai tendance à connaître par coeur et qui ont eu le temps de murir dans mon esprit. Je n'ai pas forcément l'habitude (du moins sur cet espace) de traiter un jeu qui est encore tout chaud. Mais j'avais très envie d'en parler. Alors, allons daistrandiser !
La berceuse in utero
A l'origine, c'est ma compagne qui a acheté le jeu à la sortie, au moment d'entamer son premier trimestre de grossesse qui la clouait au lit. Il lui fallait donc de quoi s'occuper pour qu'elle puisse penser à autre chose qu'aux douleurs et aux nausées qui ne la quittèrent que sporadiquement. Sans ironie dans son esprit, elle eut la brillante idée de se procurer Death Stranding, un jeu vidéo qui met littéralement en scène des bébés dans des bocaux. Hé bien franchement, ça lui a incontestablement fait passer le temps, et permis de se plonger dans un open world bien particulier, même si l'omniprésence de nouveau-nés n'était pas toujours émotionnellement facile à gérer. Cela tombait bien puisque, elle comme moi, étions intrigués depuis 2016 par les différents trailers diffusés par la "nouvelle" équipe d'Hideo Kojima. Il faut dire qu'après s'être fait couper l'herbe sous le pied par Konami, son ancien employeur à qui il a claqué la porte, le papa de Metal Gear Solid eut des envies particulières pour son nouveau projet. Il était difficile de cerner la nature exacte du projet, même une fois les séquences de gameplay dévoilées. Lorsque les premières bandes annonces furent balancées aux yeux du monde, il était tout à faire plausible d'envisager que Death Stranding deviendrait un jeu étrange qui mettrait l'accent sur l'horreur: La vision d'un homme nu, portant les traits de l'acteur Norman Reedus, qui se réveille échoué sur une plage, puis ramassant un nouveau-né, nu lui aussi, avant de le serrer fort dans ses bras constituèrent les premières images du projet. La scène continuait avec des traces de mains noirâtres qui se matérialisaient sur les jambes du personnage, avant de terminer sur un plan plus large sur la mer, laissant transparaître cinq étranges silhouettes dans le ciel. En outre, les joueurs ayant suivi la récente carrière d'Hideo Kojima savaient que l'artiste sortait tout juste de l'annulation du projet Silent Hills, qu'il venait à peine d'esquisser avec Reedus en tête d'affiche, et le réalisateur Guillermo Del Toro, véritablement maudit à chaque fois qu'il se lance dans un projet vidéoludique. En effet, ce dernier cultive la poisse depuis des années: Toutes ses propositions dans le média ont invariablement été au point mort. Le maitre mangaka de l'horreur Junji Ito faisait visiblement partie de la fête, mais on n'en saura rien, mis à part cette courte mise en bouche que fut la démo P.T, ce teaser mystérieux et jouable, servant de note d'intention de cet ex-Silent Hills. Quoiqu'il en soit, c'est à cause de ce projet avorté que nous étions en droit de s'imaginer que l'horreur allait composer l'essence de cet imminent Death Stranding. Ce fut mon cas.
Ma compagne a fini par platiner le soft en y passant un nombre non négligeable d'heures. En cette fin d'année 2021, ce fut mon tour d'endosser l'accoutrement d'un livreur de l'extrême...
A noter que la plupart des captures que tu verras dans cet article ont été prises par ton serviteur, toujours très heureux lorsqu'un jeu propose un mode photo.
Un monde fragilisé
Attention ! Je fais gaffe à ne pas trop aborder l'histoire. Ne t'inquiète donc pas, je ferai attention à ne pas m'attarder sur l'intrigue globale, ni sur les liens entre les différents personnages. Mais si tu veux avoir une totale surprise, je te conseille de t'arrêter ici et d'aller sur un autre site, ou alors éteindre ton ordinateur ou ton téléphone. Tu sais où me trouver de toutes façons.
Death Stranding se déroule dans un monde où il ne fait pas bon vivre: Il ne reste qu'une grosse poignée de survivants, dispatchés un peu partout, la faute à une série de gigantesques explosions apparues à travers tous les Etats-Unis, sans que personne ne sache réellement la cause. Des villes entières ont été intégralement rasées de la carte, et les infrastructures se sont écroulées du jour au lendemain, isolant les habitants les uns des autres et réduisant la civilisation du pays au néant. Ensuite, il y eut d'étranges nuages qui, non contents de bloquer tous moyens de communication, ont provoqué des pluies mortelles provoquant un vieillissement accéléré quiconque les touche. Dans le Nord, on appelle ça "la Drache". Et histoire d'en remettre une couche: les échoués, des sortes de "fantômes", la plupart du temps invisibles, ont fait leur apparition. Les traces de mains, libérant de la poix sur le sol ou sur la peau, sont un des moyens de remarquer leur présence. Au même moment, le chiralium, une matière jusque là inconnue des hommes, fit une entrée des plus mystérieuses. Tout ce chaos coïncide avec la découverte de la "Grève", une plage éternelle qui semble se situer entre le monde des vivants et celui des morts. C'est dans ce contexte dévasté, où chaque cadavre humain peut créer une "néantisation, c'est à dire qu'ils peuvent provoquer une immense explosion, que l'on joue un certain Sam Porter, un livreur solitaire et taciturne. Un homme qui n'aime pas tellement le contact physique avec ses congénères. Ce dernier aura la lourde tâche de mener à bien une mission pour le compte des UCA (United Cities of America), une organisation bâti sur les restes du gouvernement, à savoir celle de parcourir les cendres des Etats-Unis afin de relier le reste de la population, en restaurant le réseau chiral, une sorte d'internet gonflé au Red Bull s'échappant de la grève, via les infrastructures dédiées. Il sera aidé par Bridges, une société de logistique, affiliée aux UCA, qui a pour but de reconnecter la société grâce à ce fameux réseau composé de chiralium. Death Stranding nous raconte ni plus ni moins qu'une (re)conquête de l'Ouest, sur fond de sixième extinction.
Bien entendu, on en apprendra davantage sur le background général de l'univers, notamment à travers les conversations, les mails et autres données que l'on collectera durant le jeu. Et comme à l'accoutumée avec les oeuvres portant le sceau Kojima, énormément de ramifications du background seront expliquées aux joueurs, octroyant une véritable tangibilité à cet univers.
On ne peut nier la méticulosité de Kojima à façonner ses personnages et ses histoires, afin de justifier le plus possible leur crédibilité. Ce soucis du détail a toujours obsédé l'auteur japonais.
Tout au long de son périple, Sam rencontrera une tripotée de personnages, ayant un rapport particulier avec la mort, qui lui prêteront main forte ou, au contraire, se dresseront devant lui. Ces personnalités hautes en couleur, avec des traits de personnalité parfois marqués de gimmicks verbales ou gestuels, ainsi que des particularités physiques (le coeur de Heartman, le corps de Deadman ou encore le parapluie de Fragile) viennent assoir leur singularité, une des signatures de l'équipe de Kojima. Je ne sais pas si ma phrase semble nébuleuse, mais j'ai toujours trouvé que les personnages made in Hideo ont une manière bien spécifique d'occuper l'espace, notamment lors des dialogues qui, durant les cutscenes, sont globalement incroyablement bien rythmés et mis en valeur par la mise en scène. On sent que la troupe a énormément fait du chemin depuis Metal Gear Solid. Ce dernier avait déjà un sens du cadre qui enfonçait littéralement d'autres jeux aux velléités cinématographique, comme Resident Evil, par exemple (que j'apprécie énormément, pourtant). Dans le cas de Death Stranding, on sent que les géniteurs de Snake ont pris de la bouteille et savent composer leurs plans, notamment dans cette propension à les faire durer, comme si le temps était suspendu, à l'instar du monde dans lequel le joueur progresse. L'écriture des personnages est globalement de bonne facture, même si on n'échappe pas à quelques lignes de dialogues quelques peu embarrassantes. Tout de suite, je pense au leitmotiv que le personnage de Fragile balance de temps à autres à la face de Sam: "I'm Fragile, but not that fragile" ("Je m'appelle Fragile, mais je suis coriace" en français) qui confine au ridicule au fur et à mesure qu'elle le prononce. Dans le même ordre d'idées, les likes intempestifs d'Heartman, qu'il effectue en levant son pouce (parfois en brisant le quatrième mur lorsqu'il jette un rapide coup d'oeil à la caméra) font sourire au début, avant de devenir lourdingues après plusieurs heures. Il y a d'autres passages de mauvais goût, mais, honnêtement, un jeu qui propose un univers aussi singulier, avec des personnages malgré tout touchants, le tout enrobé d'une réalisation de haute volée, je ne vais clairement pas cracher dessus.
A ce titre, le prologue de cet univers, qui s'étend à quelques heures de jeu, se révèle être une réussite: Les scènes s'enchaînent et sont régulièrement ponctuées par des révélations d'éléments régissant les règles de ce monde. La présentation de ces différents concepts arrivent au bon moment, juste pour qu'on lâche régulièrement des "what going on ??" Il y a une fascination et une stupéfaction, entretenues par les mystères entourant l'intrigue, qui donnent envie d'en savoir plus.
Le récit, qui entremêle sociologie et ésotérisme, reste intrigant tout du long, et, on se doute, les évènements ne vont pas se dégoupiller comme prévu. Quelques rebondissements, en général plutôt bien sentis, vont venir pimenter la grande traversée de Sam Porter, et plus précisément sur la dernière grosse ligne droite. En effet, au crépuscule de l'aventure, les tenants et aboutissant sont distillés en poupées russes, à l'instar de Metal Gear Solid, et encore plus Metal Gear Solid 2: En somme, des vérités révélées sont parfois contredites l'heure suivante, ou bien les informations divulguées au compte gouttes prennent une interprétation totalement inédite, lorsque d'autres pièces du puzzle viennent se greffer au scénario, donnant des perspectives différentes à la compréhension de l'univers, ou dévoilant une facette inédite d'un personnage.
Cependant, il faut reconnaître que l'histoire nous demande d'ingurgiter pas mal d'informations pour nous plonger pleinement dans son univers. J'avoue avoir été perdu les premières heures (et même au delà). Il faut retenir des termes comme "Mules", "Grève", "Néantisation", "chiralium", "rapatrier", "prepper" "Odradek", "Timefall", mais également assimiler les règles et l'historique des événements. Bien entendu, il est possible à tout moment de revenir sur ces termes via les données que l'on peut consulter de temps à autre.
Au final, il est important d'insister sur le fait que ça faisait longtemps que je n'avais pas été surpris par un monde créé de toute pièce pour un jeu vidéo. Une proposition plutôt rafraîchissante et unique dans sa direction artistique, son contexte et son lore qui ne me donne pas cette impression d'avoir été vu cent fois ailleurs.
Extrême Limite
Le coeur du game design de Death Stranding est aussi déstabilisant et déroutant que son univers. Concrètement, il s'agit d'un jeu de livraison. Oui, oui ! La majeure partie du temps, le joueur se rend d'un point A à un point B en courant dans des environnements vastes et dépeuplés, afin d'aller livrer des marchandises à des gens. En parallèle, Sam devra connecter le réseau chiral des différentes infrastructures qu'il rencontrera. L'ubérisation du gameplay est donc au centre de l'expérience, désarmant les joueurs vétérans qui peuvent aisément être désappointés tant leurs repères sont mis à mal par les actions qu'ils doivent exécuter: Effectivement, 86,4% de l'expérience peut être résumée à des quêtes Fedex. De son propre aveu, Kojima a voulu s'éloigner au maximum des genres traditionnels aux codes vidéoludiques très ancrés, afin qu'un maximum de joueurs éprouvent le même sentiment d'être perdu, et passent par la même courbe d'apprentissage.
C'est là que la maniabilité très particulière entre en jeu: Les développeurs ont misé sur un personnage "fragile" physiquement, qui peut trébucher sur des pierres ou être déstabilisé si il porte des charges trop lourdes. Il peut littéralement se casser la gueule si il emprunte un chemin trop raide. Le maniement est par ailleurs plutôt délicat et il faudra un petit temps d'adaptation afin d'être en symbiose avec Sam (et ainsi créer un lien avec lui). La gestion de la course prend en compte l'équilibre et le poids du personnage. De surcroit, ce dernier a une inertie plutôt "lourde". Je l'ai déjà souligné lors de mon
bilan 2021, mais j'aime spécifiquement les héros qui ne sont pas nécessairement super réactifs ou vifs. Bien entendu, lorsque c'est le cas, ça peut être un véritable plaisir de contrôler un Dante ultra souple ou un Ryu Hayabusa à la vélocité surnaturelle. Juste que je n'aimerais pas que l'ensemble du média converge vers des contrôles systématiquement ultra souples. Un point qui résume parfaitement la "pénibilité" des escapades du personnage est le fait que ses chaussures peuvent s'abimer, réduisant le peu de souplesse des déplacements. A l'image, cela peut se traduire jusqu'à une extrême lenteur de progression.
Il y a donc un aspect presque simulation aux pérégrinations du protagoniste de Death Stranding, qui enracine le sentiment de souffrir lors de certaines livraisons. Un Mud Runner pédestre, en somme, qui ne s'apprécie que lorsqu'on accepte de sillonner cet immense open world, segmenté en plusieurs grandes zones désolées. Il faut braver et escalader des montagnes, se creuser la tête pour traverser ou contourner une cascade, etc... Vraisemblablement, les game designers ont façonné leur gameplay afin que le joueur fasse corps avec son avatar virtuel, avec la manette servant de lien tangible à cet union.
Entre chaque livraison, le joueur pourra se reposer dans les relais de Bridges via les salles de repos. Dès lors, il aura la possibilité de prendre des douches, faire pipi et consulter ses mails. Ensuite, il aura l'occasion de checker les prochains arrivages et anticiper ses itinéraires: Par exemple, en répartissant les accessoires et les armes dont il aura besoin, en choisissant un véhicule (moto, camionnette) ou encore en visualisant sa carte et en dessinant un itinéraire dessus afin de ne pas se perdre et emprunter le meilleur chemin possible.
Ensuite, c'est parti pour une nouvelle partie de randonnée...
Ces préparatifs avant les missions évoquent furieusement la structure de Metal Gear Solid Peace Walker, mais surtout Metal Gear Solid V.
Ces quêtes "Fedex", que l'on pointe usuellement du doigt dans le jeu vidéo, se révèlent être subitement intéressantes car le gameplay, aux sensations très singulières, a été pensé pour être au diapason avec elles. Et si cela fonctionne autant, c'est parce que tout le jeu s'articule autour de ces missions, à contrario d'autres oeuvres qui se servent de ces tâches subsidiaires afin de remplir artificiellement la durée de vie. Les développeurs ont donc méticuleusement placés ces impératifs au sein d'un game design très spécifiques afin qu'elles s'harmonisent judicieusement avec ce dernier. En d'autres termes, ce sont tous les éléments du soft qui se mettent au service de ces tâches. Death Stranding démontre que si les quêtes Fedex sont rébarbatifs dans bon nombre de jeux vidéo, c'est vraisembabmement parce que les développeurs les négligent. Dans un J-RPG, il y aurait moyen de rendre plus captivante la mission que nous confie cet habitant random qui a perdu son chat. Juste que les créatifs n'ont pas le coeur d'insuffler quoique ce soit d'intéressant à ces parenthèse frivoles (à quelques exceptions près).
Attention ! Les voyages du livreur Aphenphosmphobique (ouf !), déjà semés d'embûches à cause des terrains inhospitaliers, seront très régulièrement entravés par l'apparition des échoués, ces entités invisibles qui donneront du fil à retordre à notre courtier de l'extrême. En général, lorsque la Timefall, cette pluie noire meurtrière, est présente, cela signifie que l'on va potentiellement avoir affaire aux échoués. Il y a des manières de les repérer et les contourner, notamment grâce à notre BB, ce nouveau-né enfermé dans un caisson vitré, et relié à Sam. Lorsqu'un de ces fantômes nous grille, il est toujours possible d'essayer de s'en défaire. Mais lorsqu'on se fait attraper, une partie de la zone s'immacule de noir avant qu'une multitude d'échoués tentent de nous emporter. Ces séquences sont l'occasion pour le joueur de s'équiper d'armes afin de se défaire de ces êtres qui se matérialisent parfois sous forme humanoïde, de quadrupèdes ou autres.
Au fil de la partie, et à mesure que le réseau chiral est rétablit, Sam bénéficiera de plus en plus d'accessoires et d'armes afin de parfaire sa mission, dont des projectiles drainant son propre sang capable de détruire les échoués. Bridges mettra également à notre disposition des échelles, des tyroliennes, mais aussi de quoi construire des petits abris contre la pluie, et tout un tas d'autres outils salutaires pour notre progression. Notre protagoniste aura également la possibilité de construire des ponts qui l'aideront à traverser les rivières trop profondes ou encore de dangereux ravins. En sus, le joueur pourra collecter différents métaux et ingrédients afin de crafter ses propres accessoires, ou pour établir de nouvelles routes sur ces terres dévastées et ainsi éviter l'hostilité du paysage.
Les échoués et l'environnement ne représentent pas les uniques menaces. En effet, des campements de mules, ces individus devenus accros aux livraisons, notamment suite à une exposition prolongée au chilarium, sont répartis aux quatre coins du pays. En général, lorsque notre avatar se rapproche de leurs zones, la discrétion est préconisée afin de ne pas se faire repérer par ces ex-livreurs qui ont perdu la tête. Si ils nous décèlent, ces derniers feront tout pour subtiliser les marchandises de Sam. Personnellement, lorsque cela m'arrivait, je prenais mes jambes à mon cou, surtout lorsque les mules étaient trop nombreuses. A contrario, il y a plusieurs manières de les neutraliser, comme utiliser des armes non-létales. Oui, car je te rappelle que si on tue quelqu'un, on risque une néantisation qui peut tout faire sauter. Ces séquences renvoient irrémédiablement à Metal Gear Solid. Malheureusement, ce ne sont clairement pas ces passages qui me laisseront un souvenir impérissable. Mais elles ont le mérite de rajouter une surcouche de stress à nos expéditions, car il est vrai qu'éradiquer ces menaces aurait peut être diminuer la tension de nos livraisons. La manière d'appréhender, ainsi que la structure même des campements, n'invitent pas à expérimenter plusieurs options. Disons que j'avais tendance à feinter les mêmes patterns des ennemis pour m'en sortir, sans avoir nécessairement envie de tester mon arsenal, à l'opposée d'un Metal Gear Solid V dans lequel je prenais un malin plaisir à tenter des approches d'infiltration différentes. Evidemment, l'essence même de Death Stranding ne réside pas dans ces phases. J'en suis conscient.
Tu l'auras compris (ou remarqué si tu connais le titre), on a affaire à une expérience radicale dans ses choix de game design. Un soft qui tord le cou aux habitudes vidéoludiques des joueurs. Et mine de rien, il s'agit presque d'une anomalie dans le paysage des AAA. Mais, encore une fois, cette radicalité a toujours été l'apanage d'Hideo Kojima. On se souvient des phases insolites de gameplay qui venaient dérailler la routine du joueur, notamment à travers les boss des MGS, comme Psycho Mantis ou The End. La longue montée dans les escaliers d'une tour dans le premier épisode, ou la longue montée par l'échelle dans le troisième sont autant d'exemples de choix risqués que les développeurs ont entrepris. Le dernier bébé de l'équipe prend à revers tout ce que d'autres grands studios emblématiques produisent en open world: Dans Death Stranding, l'immense terrain de jeu n'est pas bardé d'activités annexes à accomplir. Il n'y a pas un type à chaque mètre carré qui propose une quête, ni d'animaux à aller chasser, ni de mini-games auxquels s'adonner. On est très loin du "jeu service" à la Assassin's Creed ou Far Cry, une des marottes d'Ubisoft, depuis quelques années. Non ! Dans le nouveau Kojima Prods, ce qui importe est cette typographie totalement tributaire du gameplay. Cet espace vierge, dénué d'activités annexes, va droit au but, ne dévie jamais le joueur de sa trajectoire, tout en le conviant à une introspection sur sa condition humaine. Il y a assurément un côté survie lors des expéditions car, mis à part la maniabilité tatillonne, le game design n'invite pas le joueur à explorer ces imposantes étendues. La difficulté de franchir le moindre caillou et la menace de la pluie, véritable épée de Damoclès, dissuadent plutôt le joueur aventureux.
Le post-apo optimiste
Death Stranding érige la routine et la patience comme des éléments primordiaux de l'expérience. Le joueur est plongé dans ce monde saccagé qui ne demande qu'à être reconstruit, et il est induit à prendre son mal en patience lorsqu'on lui demande pour la énième fois de traverser de longues distances, avec pour unique consigne d'être précautionneux avec les colis qu'on lui a confié, et en se montrant prudent là où il met les pieds.
A mon grand étonnement, l'aspect horrifique, que je pensais retrouver, ne constitue nullement une des composantes principales du titre de Kojima Productions. L'oeuvre s'articule en réalité sur une atmosphère moins délétère que mélancolique. Cette dernière concède volontiers axer sur une lenteur persistante qui ne quitte que rarement la narration, ainsi que les phases de gameplay. Cette suspension du temps inhérente à l'expérience doit impérativement être accepté par le joueur si il veut s'immerger pleinement dans le jeu, mais aussi pour s'imprégner de la solitude voulue par les développeurs. Malgré la désolation du pays dépeinte dans l'histoire, ainsi que la présence des échoués, le soft préfère s'accorder sur une tonalité plutôt optimiste. En tout cas, ça a clairement été mon ressenti durant toute l'aventure. Les longues traversées de Sam sont parfois ponctuées de chansons qui viennent occasionnellement soutenir l'atmosphère d'un voile de douceur. Sam peut également se reposer à tout moment et piquer un petit somme, ou encore faire trempette dans une source thermale, gratifiant le titre d'un aspect contemplatif assumé. Il y a une certaine beauté à s'arrêter, puis admirer ce pays désormais plus que l'ombre de lui-même. C'est d'ailleurs dans ces moments que l'intérêt du mode photo prend son envol. En tout cas, pour tous les photographes en herbe comme moi. C'est dommage que ceux qui ont boucler le jeu à sa sortie n'ont pas pu profiter de cette option, qui fut implanté ultérieurement. Et puis, t'as vu ? Mes superbes clichés de QUALITAY attestent de l'utilité d'une telle feature !
|
"Hmmm !! Du Schweppes !" |
L'humour distillé ici et là n'est pas étranger à ce refus de sombrer dans le pessimisme. Là encore, on retrouve la signature discernable des jeux made in Kojima: Malgré les problématiques qu'il aborde dans ses oeuvres, et malgré les inquiétudes qui l'animent, il ne peut se résoudre à totalement pencher dans la noirceur la plus déprimante. Il y a toujours un bon mot ou bien un élément saugrenu qui désamorce ponctuellement la tension environnante. En règle générale, ça sied plutôt bien à l'expérience, mais, comme précité, l'humour, en plus de verser occasionnellement dans le mauvais goût, intervient aussi à des moments inopportuns. Il m'est arrivé de me dire: "C'est juste con...", tandis qu'une scène venait tout juste de m'emporter. Cela fait partie des quelques ratés de cette réalisation qui, heureusement, n'entache en rien la qualité du soft.
La thématique centrale de Death Stranding est "le lien". L'histoire ne va jamais cesser de s'interroger sur ce qu'il adviendrait si les liens sociaux entre les individus étaient brisés. Comment pourrait-on se reconstruire privé de cette sociabilisation que l'on considère comme indispensable à notre survie ? Le scénario va pointer la fragilité de notre civilisation ainsi que souligner l'importance d'être relier les uns aux autres afin d'échanger, de partager et de se toucher. Comment va-t-on pouvoir survivre sans pouvoir se faire quatre fois la bises sur la joue pour se dire bonjour ? "C'est que, avec ce Covid, les traditions foutent le camp ma bonne dame !"
Absolument tout dans le jeu va se mettre au service de ce thème: La mission de Sam Porter est d'aller reconnecter le réseau chiral et ainsi relier les derniers habitants du pays les uns aux autres. Notre BB est relié à notre avatar, autant physiquement, via la capsule du petit être, que psychiquement mais aussi sentimentalement. Les échoués sont reliés entre eux par un cordon ombilical. Le lien qui subsiste entre Mama et Lockne, les liens paternels et maternels, etc...
Avec brio, le jeu arrive à instaurer un côté anxiogène uniquement par l'absence ou la difficulté qu'ont les protagonistes à se voir ou à se toucher: Sam n'aime pas le contact physique, et la plupart de ses interlocuteurs ne lui parlent qu'à travers des hologrammes. Ces moyens de communications confèrent un aspect froid à l'univers. Dans le même ordre d'idée, j'ai toujours vu les cinématiques conviant des personnages "en chair et en os" comme des bulles de respiration: J'étais content de pouvoir m'adresser à des gens qui pouvaient me toucher, me tourner autour de moi ou me retenir par le bras. Pourtant, moi ça me gonfle en règle général de faire la bise.
Même la dimension online asynchrone de Death Stranding, dans la lignée de la saga Dark Souls, encourage les joueurs à créer du lien entre eux: Par exemple, un pont construit par une personne pourra être utilisé dans la partie d'une autre. Pareillement, il est possible de récupérer les marchandises perdues d'un autre joueur et les lui remettre à disposition dans un casier. Ce facteur social insuffle également de l'espoir au sein de ce monde décrépit.
Globalement, cette thématique, qui parcourt tous les pores du jeu, est intégré avec brio, même si elle semble parfois un poil trop appuyé.
Une des premières idées venue à l'esprit d'Hideo Kojima a été le concept du bâton et de la corde, relaté dans le livre "La Corde" du romancier Kôbô Abe. Dans cet ouvrage, l'auteur y explique que les deux objets précités comptent parmi les toutes premières inventions de l'humanité: Tout d'abord, les humains ont appris à repousser les menaces armés de bâtons, puis ils ont appris à attraper et à attacher des choses entre elles. Le game designer déplore que dans la plupart des jeux vidéo, seul le bâton (les armes) est utilisé pour progresser. Dans Death Stranding, il met davantage l'accent sur la corde, qui permet de relier et connecter les gens entre eux, au détriment du bâton, même si cette dernière peut se révéler parfois utile contre nos assaillants.
En définitif, chaque éléments constitutifs du titre sont parfaitement liés entre eux: de l'histoire au gameplay. A ce propos, la dissonance ludo-narratif, si souvent présente dans le média, brille ici par sa quasi absence.
Très joli votre pont
Les screenshots qui parsèment l'article le confirment: Le jeu est visuellement très beau. Le moteur Decima, créé par Guerilla Games pour Horizon Zero Dawn et prêté à Kojima Prod pour les besoins de Death Stranding, fait des merveilles une fois de plus. Même dépourvus d'animaux et de végétations luxuriantes, les environnements bénéficient d'un soin particulier, et sont bien plus variés que ce qu'on pourrait imaginer. Mention spéciale aux étendues enneigées (déjà nickel dans Horizon), véritables souffrances à parcourir, qui se targuent d'effets visuels aux petits oignons, comme les pas de Sam s'enfonçant dans la neige ou encore les tempêtes aveuglantes. Un ravissement pour les yeux ! (Je parle des graphismes. Evidemment qu'une tempête, c'est pas bon pour les yeux.) En outre, les animations de notre avatar sont convaincantes et contribuent à nous immerger dans la peau de ce livreur. De surcroit, il y a tous ces petits détails dans ces dernières qui poussent le réalisme un peu plus loin. Bon ok, c'est devenu monnaie courante dans les grosses productions, mais elles fonctionnent à merveille ici, et vont de concert avec la fragilité du personnage.
La modélisation des personnages et leurs expressions sont bluffantes, même si un cran en dessous de The Last of Us 2. Mais j'ai envie de dire: Difficile de s'attaquer à la production de Naughty Dog qui reste, pour le moment, un modèle du genre. Tu le sais probablement déjà, mais l'équipe de Kojima a fait appel à de nombreuses célébrités pour prêter leurs traits aux différents protagonistes. Norman Reedus, la star de The Walking Dead, incarne Sam Porter. Léa Seydoux campe une Fragile (pas si fragile) vraiment étonnante, contrairement à ce que laissaient suggérer mes craintes initiales. Guillermo Del Toro, le réalisateur du Labyrinthe de Pan et des Hellboy, lègue son corps à Deadman. Mads Mikkelsen, l'acteur d'Hannibal et des Pusher, joue Cliff (mon préféré). Nicolas Winding Refn, le réalisateur de Drive et de la trilogie précitée, donne son coeur à Heartman. Le désormais célèbre doubleur Troy Baker, Joel de The Last of Us, devient ici Higgs. Margaret Qualley, remarquée (pour moi) dans l'obsédante série The Leftovers, est Mama. Tommy Earl Jones se cache derrière le masque de Die-Hard Man. Tandis que la mystérieuse Amelie est incarnée par une version rajeunie de Lindsay Wagner. D'autres stars, plus ou moins potes avec Hideo Kojima, prêtent également leur visage aux différent "clients" qui croiseront le chemin de Sam, à l'instar du journaliste Geoff Keighley ou le présentateur vedette Conan O'Brien. Voilà... J'arrête là cet épuisant name dropping.
"Death Stranding, L'Aventure Continue" aperçu par Moggy sur Terre 3:
Franchement, le casting principal fonctionne bien, malgré l'appréhension des joueurs, lors des différentes présentations du titre. Il y a juste Amelie qui dénote par rapport au reste, mais cela tient davantage au chara design et de la mise en scène du personnage plus qu'à l'interprétation de l'actrice. C'est dommage vu son importance dans le récit. Cependant, je dis ça, mais ses expressions s'avèrent tout de même moins convaincantes que Fragile, Deadman ou encore Cliff. Certaines scènes en sa présence sont plus embarrassantes que touchantes. Pour l'anecdote, Kojima a dû convaincre Lindsay Wagner de participer au projet, car cette dernière ne portait pas les jeux vidéo dans son coeur. Elle estimait que la violence cimentait un peu trop le média à son goût. Le papa des Metal Gear lui a pitché son projet en mettant en avant l'aspect coopératif entre les joueurs ainsi que les thématiques sous-jacentes, ce qui a, parait-il, séduit l'actrice. Je me suis déjà demandé si, lors de leur collaboration, il ne lui avait pas révélé qu'il s'était inspiré d'elle et de son rôle de Super Jaimie, dans la série éponyme des années 70, pour les besoins d'un protagoniste de Snatcher, titre que le développeur avait réalisé en 1988.
|
Snatcher |
En revanche, l'artiste japonais n'a pas eu besoin de supplier Norman Reedus pour participer au projet. On imagine aisément que l'annulation de Silent Hills, dans lequel il devait tenir le rôle principal, a dû frustrer l'acteur qui s'est vite laissé embarqué par les nouvelles idées du studio. Guillermo Del Toro, lui aussi rattaché au défunt projet horrifique, a suivi Kojima pour ce nouveau projet. Tout du moins, il accepta que l'équipe scanne son corps. Cependant, ce n'est pas le metteur en scène mexicain qui prête sa voix our Deadman, ni ne réalise les captures de mouvements. Idem en ce qui concerne Nicolas Winding Refn, un ami de Kojima, qui n'a participé qu'aux séances de scans pour Heartman. C'est d'ailleurs grâce à l'amitié avec le cinéaste danois que le développeur a pu entrer en contact avec Mads Mikkelsen, pour lui proposer le rôle de Cliff. L'acteur est vite tombé sous le charme du créateur de bips-bips en le qualifiant plusieurs fois d'artiste "visionnaire" dans son domaine, tellement il était fasciné par le monde qu'il voulait bâtir pour son jeu. Ok, ces déclarations peuvent paraître être des effets de com, c'est bien possible, mais vu l'implication du bonhomme, on peut légitimement se dire que c'est sincère. De plus, ça doit être excitant de plonger dans la création d'un univers aussi singulier que celui de Death Stranding. Et quoiqu'on pense de Kojima et de son melon, il faut rendre à César ce qui appartient à César et lui reconnaître sa patte clairement reconnaissable au milieu de toute la production vidéoludique (qu'on apprécie ou non ses jeux).
Malgré l'aspect ultra réaliste des visages, le soft évite l'Uncanny Valley (ou la vallée dérangeante), à savoir ce syndrome qui démontre que plus un robot (ou un être virtuel) ressemble à un être humain, plus ses imperfections vous nous paraître dérangeantes, voir effrayantes. A contrario, plus des objets ou robots, clairement identifiés comme artificiels, vont avoir des comportements humanoïdes, plus on va ressentir de l'empathie et trouver ça rigolo... jusqu'à arriver à un certain degré de réalisme. Une fois ce dernier dépassé, on va éprouver de la répulsion ou de la gêne. Par exemple, l'humanité qui se dégage de Numéro 5 du film Short Circuit ou le robot de Wall-E va nous paraître adorable, contrairement aux dernières avancées technologiques sur les androïdes japonais.
Si le titre évite globalement cet écueil, c'est parce que, d'après les déclarations de Kojima, ce sont les véritables expressions faciales ainsi que leur tête qui ont été apposées sur les visages virtuels des personnages. Après, il est vrai que selon les plans ou les éclairages, il peut subsister quelques moments où on peut se dire: "Ah là... c'est limite, limite".
|
Petite session de scan pour Guillermo Del Toro |
|
Dawson's Creek |
Chemin de croix
|
Hideo Kojima and his son |
Lorsqu'il fut lâché par Konami et "perdu dans la nature", Kojima a dû frapper à la porte de divers studios afin de trouver un financement et de la main d'oeuvre pour échafauder un nouveau projet, bien après la sortie de Metal Gear Solid V: The Phantom Pain, sa dernière création inachevée. L'homme dût (re)bâtir des liens, "d'abord tout seul", selon ses dires, puis tisser des affinités avec d'autres développeurs et éditeurs afin de pouvoir concrétiser ses prochaines visions artistiques. Je me souviens de cette confidence qui avait un peu fait grincer des dents certains indépendants et journalistes (à juste titre d'ailleurs), car le fait qu'il affirme avoir dû redémarrer "tout seul" n'était probablement pas le meilleur terme à utiliser face à des développeurs indés qui sont VRAIMENT tout seul, lorsqu'ils commencent. Et qui finissent parfois l'aventure en solo ou presque. Ceci étant dit, on ne peut nier le fait que la star ait été déboussolé après le clash qu'il eut avec Konami, l'entreprise qui l'a pris sous son aile depuis plus de trente ans.
Pour l'éditeur japonais, qui en 2015 avait pris ses distances avec le milieu du jeu vidéo au profit de salles de sport et de machines à sous, l'artiste devenait ingérable et réclamait des budgets de plus en plus conséquents pour des projets qui dépassaient largement les dates fixées par le studio. D'après certaines sources, les choses n'étaient guère reluisantes au sein de la maison mère au Japon, à cette époque, car d'autres éminents créateurs se sont vus être rétrogradés: Certains ont été réassignés à d'autres postes comme nettoyeurs de salles de sport ou techniciens de pachinko, tandis que d'autres étaient épiés constamment via les caméras de surveillance. Des conditions de travail déplorables qui ont sûrement joué un rôle dans le départ d'Hideo Kojima, le plus occidental des créateurs japonais. A ce titre, le fait que l'artiste fasse les yeux doux à d'autres entreprises juste après son départ de Konami a pas mal agacé ce la boite. Il faut savoir que, culturellement au Japon, cela ne procéder comme tel.
Quoiqu'il en soit, le papa de Solid Snake ne cache pas qu'il se bat continuellement avec la solitude. Il a déjà avoué se sentir seul au sein de la société. Mais lorsqu'il dût fonder un nouveau studio, il remarqua que bon nombres de ses collègues l'ont rejoint, mais aussi d'autres artistes qui lui ont clamé leur dévouement sans faille, parfois de vive voix. Sans même en avoir perpétuellement conscience, il avait construit lui-même des liens professionnels et amicaux qui se sont forgés au fil du temps. Des connections sociales qu'il ne veut absolument pas perdre.
Le développeur japonais désire que les joueurs ressentent la solitude, ainsi qu'une sensation de plénitude lorsqu'ils établissent des connexions avec d'autres congénères, même si ce n'est uniquement qu'à travers des artéfacts laissés par ces derniers. Il estime que tant de gens endurent cet isolement et cette mise à l'écart de nos sociétés individualistes. Que cet état immuable pouvait assurément leurs peser sur le long terme. L'objectif de Death Stranding est de tenter d'éprouver ces émotions.
Parallèlement, l'homme observe notre monde se fissurer davantage, notamment avec des événements majeurs comme l'élection de Trump, la construction du mur à la frontière du Mexique, mais également le Brexit. Toutes ces choses lui ont inspiré les thématiques de son dernier titre.
|
Illustrations de Yoji Shinkawa |
Très vite dans le processus de développement, l'auteur refait appel à des vétérans de Metal Gear Solid, à l'instar de Kyle Cooper le réalisateur des génériques de MGS 2,3 et 5, mais aussi de Yoji Shinkawa, l'illustrateur et fidèle collaborateur de Kojima, qui est le directeur artistique de Death Stranding. Pour l'anecdote, le chara designer a trouvé que créer les protagonistes de cette production était plus facile que ses travaux antérieurs, étant donné qu'il a pu composer ses designs en ayant pour modèle des acteurs en chair et en os. Discuter avec eux lui a ensuite permis de détourer le caractère visuel de chaque personnage, de savoir avec quels vêtements les affubler, et quels gimmicks leur coller dans les pattes afin de les rendre clairement identifiables. Par exemple, Kojima a révélé que le parapluie et le sac de Fragile est un hommage direct à Mary Poppins.
Ce nouveau projet est aussi l'occasion pour Kojima de recréer un nouvel univers de toutes pièces. Si on excepte les jeux qu'il a produit, comme Boktai, Zone of The Enders ou encore Castlevania Lord of Shadow, l'artiste planchait surtout sur la série des Metal Gear. Un univers qu'il a certes imaginé, avec son équipe, jusque dans ses derniers retranchements, mais il s'était totalement enfermé dedans. Cela faisait depuis le développement de Metal Gear Solid 2 qu'il désirait passer le flambeau à ses collaborateurs pour la suite de la saga. D'ailleurs, la toute fin de MGS 2 révèle une double lecture et peut totalement être interprété comme un message que le créateur délivre à ses collègues. Et puis, l'homme n'arrivait pas à laisser filer son bébé et revenait systématiquement reprendre les commandes des épisodes suivants, tel un Hayao Miyazaki refusant de prendre sa retraite.
Pour Death Stranding, il a dû reprendre la plume et remplir une feuille vierge: Le background, les personnages et les nouvelles règles de ce nouveau monde ont dû être imaginé. Durant des années, une frange de joueurs espéraient que le monsieur allait enfin oeuvrer sur autre chose qu'un énième Metal Gear Solid.
Lorsque les premiers trailers sont tombés, je reconnais avoir été perplexe sur la réutilisation d'authentiques visages d'acteurs pour les personnages. J'étais partagé entre la fascination de voir ces têtes connus s'exprimer et évoluer intégralement au sein d'un univers graphiquement bluffant, mais aussi un poil déçu de ne pas retrouver des protagonistes au faciès unique. Qu'il était dommage d'avoir une telle débauche de moyens dans ce milieu qui autorisaient la création sans limite de visages inédits, et se cantonner qu'à modéliser ceux de célébrités de notre monde. A l'origine, si le cinéma réemploie les mêmes acteurs, c'est (entre autre) parce que cet art est limité par des contraintes purement physiques, économiques et logistiques. Tout du moins, c'était le cas historiquement avant que la technologie ne permette de s'affranchir de ces entraves, via l'animation ou les films en full performance capture.
Puis, j'ai vite saisi que ça faisait partie du projet de l'équipe de Kojima Productions: Ce parti-pris d'intégrer de vrais stars dans Death Stranding alloue une certaine proximité avec le cinéma et que, ce n'est un secret pour personne, le père Hideo est un féru du 7ème art depuis qu'il est tout petit, depuis que ses parents lui ont montré rituellement plusieurs films par semaine. En sus, rencontrer des acteurs, avec leur propre sensibilité et provenant d'un autre média, pouvaient enrichir l'univers.
En définitif, Death Stranding établit un pont entre jeu vidéo et cinéma. De plus, il n'est pas le premier projet ayant une appétence pour la modélisations de stars. On pourrait citer Kevin Spacey dans Call of Duty Infinity War, Ellen Page dans Beyond Two Souls, mais SURTOUT Bruce Willis dans Apocalypse.
La starification des acteurs a encore de beaux jours devant elle. Indirectement, ce choix artistique a attiré les regards de la presse généraliste qui a justement noté cette proximité avec le cinéma: ça leur a permis de signaler la présence de Léa Seydoux ou encore de Lindsay Wagner au sein de cet étrange jeu vidéo post-apocalyptique.
Le jeu connecté au joueur
Il est "amusant" de noter que Death Stranding fait partie de ces oeuvres tellement singulières qu'elle a été mal perçu par certains joueurs l'ayant découvert via des lives. En effet, beaucoup d'entre eux n'ont pas tout de suite compris l'intérêt ludique d'une telle expérience, lorsqu'ils ont visionné des streamers y jouer en direct, relançant le débat sur l'impossibilité de pleinement apprécier un jeu vidéo uniquement par ce biais. Personnellement, je suis de cet avis, même si cette pratique a des qualités indéniables (dont sociales justement), mais, lorsqu'on est spectateur, il est difficile d'avoir un avis définitif sur une expérience telle que le dernier Kojima Productions.
La fin de l'article approche et je n'ai pas mentionné le doublage. J'ai parcouru l'intégralité du soft avec les dialogues doublés en français et, contrairement à divers avis, j'ai beaucoup apprécié la qualité de celle-ci. Franchement, on a des doubleurs de qualité dans notre pays et j'avais envie de saluer leur travail. Cependant, je dois reconnaître que j'ai dû mettre une ou deux heures pour m'habituer à la voix de Norman Reedus. Quand je l'entendais, j'avais juste l'impression que c'était le Daryl taciturne de The Walking Dead qui avait popé dans un autre monde post-apocalyptique. Mais très sincèrement, je n'ai jamais été réellement gêné à part cela.
Comme nous l'avons vu précédemment, Hideo Kojima a une nouvelle fois utilisé le jeu vidéo pour traiter de la condition humaine, mais aussi aborder les peurs qui le préoccupent. Véritable expérience sociale tournée vers la positivité, Death Stranding étonne et marque son empreinte (de poix). Il se targue en sus d'être une oeuvre qui redéfinit intelligemment l'open world, comme Zelda Breath of The Wild l'a fait quelques année auparavant. Il questionne son rapport à l'espace comme peu de jeux en monde ouvert ne l'ont fait.
A titre personnel, j'ai achevé l'aventure après une bonne cinquantaine d'heures et, à ce sujet, la conclusion reste une des plus jolies qui m'ait été donné de voir dans ma vie de joueur.
Ma compagne, elle aussi, a bouclé le jeu, en 2019. Elle l'a même recommencé un second run. Effectivement, elle a finalisé tellement de livraisons pendant qu'elle était enceinte. Pour l'anecdote, on a galéré à trouvé un prénom à ce second enfant. Même lorsqu'elle a accouché, quelques mois plus tard, on n'était toujours pas décidé. Une semaine avant que ce petit humain vienne au monde, elle est venue me voir car elle a eu une illumination: Le prénom "Sam" a subitement fusé dans sa tête. Je trouvais ça cool en plus d'être soulagé d'avoir enfin trouvé un nom pour ce petit bout, après des mois à galérer de trouver un autre sobriquet que "no name" ou "tomate" (comme l'avait suggéré notre premier fils). Cela tombait à point nommé car le jour même où on a trouvé ce prénom, on allait commencé A Normal Lost Phone, jeu co-créé par mon amie Elizabeth qui a un certain Sam pour personnage central.
Ce n'est que des mois après la naissance de notre bébé que j'ai dit à ma compagne: "Hé mais ! T'as vu ? le personnage de Death Stranding s'appelle Sam aussi." On venait alors de réaliser que le premier jeu qui l'a accompagné avait un Sam comme protagoniste principal. On pourrait y voir une coïncidence, mais on préfère se dire que ce prénom est sorti de l'inconscient de madame. Qui plus est, il s'agit également d'un "Sam P."
Et puis comme Mulder l'a dit dans la saison 3 d'X-Files: "Si les coïncidences n'étaient que des coïncidences, pourquoi les remarquerions-nous à ce point ?"
En attendant, je te laisse, j'ai un colis à aller récupérer dans un point relais (véridique)...
Des bisous !
Moggy
Commentaires
Enregistrer un commentaire