Jet Set Willy, le nouveau riche

Montage du jeu vidéo Jet Set Willy Matthew Smith

Décidément, mes premiers pas de blogueurs s'attardent étonnamment sur mon passé de joueur. Je pense avoir un certain besoin de partager tous les jeux ou consoles qui ont façonné ma personne. Dès la création de ce blog, j'avais instantanément quelques titres en tête, et Jet Set Willy faisait partie de ceux-là. Il a longtemps été une curiosité pour moi. Sur micro ordinateurs, les graphismes rudimentaires des jeux ont exercé une certaine fascination et ont stimulé une part importante de mon imagination, pendant très longtemps...


Tonton Miner

Jaquette du jeu Manic Miner

Je vous annonce tout de suite que j'écris un peu au gré de mes envies et mes articles n'adopteront pas tous une construction identique. Avant de pleinement plonger dans Jet Set Willy, j'avais envie de revenir sur le premier épisode, Manic Miner, un titre sorti en 1983 et signé par un certain Mathew Smith. Je découvris ce jeu chez mes grands-parents, sur l'Amstrad CPC 6128 de mon tonton. Le même CPC que mes soeurs et mois avions eu par la suite. Il est même fort probable que mes premiers pas vidéoludiques se soient faits chez lui. Ce fut vraisemblablement le cas également pour mon cousin et ma cousine, mais je n'en suis pas sûr...

A cette époque, mon oncle vivait encore chez ses parents, à Colombes, car il était encore un jeune homme d'une vingtaine d'années qui débutait dans la vie active et qui, à travers mon regard d'enfant, puait la classe. En fait, il se dégageait de lui une aura mystérieuse qui découlait de son côté taciturne. En tout cas, il parlait parfois peu en notre présence. Il y avait un sérieux dans ses attitudes qui flirtait par moment avec une certaine froideur. Je pense que ça le faisait parfois chier qu'on squatte dans sa chambre, tout simplement. Enfin... c'était l'impression que j'en avais. Mais ne vous méprenez pas. Cette distanciation était très souvent contrebalancée par tous ces moments où il semblait vraiment heureux de nous avoir dans les pattes. Cela lui permettait justement de nous faire jouer à tout un tas jeux. Il avait même quelques fous rires quand il restait avec nous et qu'il constatait à quel point nous jouions mal ou quand nous racontions une connerie. Je me souviens quand il dégainait ses disquettes piratées blindées de jeux, et qu'il nous demandait à quoi nous voulions jouer. Je pense que le fait qu'il ait une attirance naturelle pour ce média, alors qu'il était un adulte, renforçait le respect qu'on émettait à son égard. Comme si le fait qu'il ait été une des seules grandes personnes avec lesquels nous pouvions parler jeu vidéo lui octroyait une certaine aura de rareté, à contrario des autres qui ne voyaient pas l'intérêt de ces bip bip, un peu pénibles, qui commençaient à prendre de plus en plus de place dans nos vies.
Lorsque je dis "parler", c'est parler comme les enfants pouvait le faire. J'imagine que nous devions le gonfler assez régulièrement avec nos questions à la con. Mais voilà, il y avait toujours ce mélange de complicité et de distance avec lui qui tissait des liens relativement étranges, mais indéniablement marquants. Il est vrai qu'avec mon cousin et ma cousine, nous squattions souvent sa chambre. Pour nous, son antre était une sorte de caverne d'Ali Baba truffée de films et de jeux. On se délectait de fouiller ses étagères pleines de VHS et de disquettes. Niveau cinéma, j'ai pu découvrir quelques trucs comme Astérix et Rocky, par exemple. Et niveau jeux vidéo, j'ai découvert Manic Miner.

Image du jeu Manic Miner Central Cavern, premier niveau.

Manic Miner était un titre sorti initialement sur ZX Spectrum, puis sur quelques micro-ordinateurs comme BBC Micro, Commodore 64, Amiga, MSX, Amstrad CPC, etc...
Il était un descendant de Miner2049er, soft paru en 1982, soit un an avant Manic Miner. Concrètement, ce dernier s'apparentait à un jeu de plateforme à écrans fixes, dans lequel le joueur dirigeait Willy, un minier qui découvrait une mystérieuse mine remplis de trésors. Le personnage devait collecter tous les objets présents dans un tableau si il voulait espérer passer au suivant, en accédant à la sortie. Les vingt cavernes de la mine abritaient un éventail d'ennemis farfelus qui pouvaient être fixes ou évoluant dans des chemins prédéfinis. D'autres dangers parsemaient ces souterrains, comme certaines plateformes qui se dérobaient lorsque Willy restait trop longtemps dessus. En sus, il ne fallait pas trop traîner dans les tableaux, car l'oxygène, représenté par une barre en bas de l'écran, venait rapidement à manquer.

Screen de Manic MinerLes graphismes, très simples, affichaient d'adorables petits sprites monochromes traduisant un univers totalement déjanté: notre héros croisait le chemin de créatures assez loufoques comme des pingouins, de dangereux téléphones, des toilettes folles, de curieuses boules, etc...
La difficulté hautement élevée ne pardonnait pas le moindre faux pas. En effet, la précision du joueur était mise à contribution puisqu'il fallait jauger ses moindres déplacements: Calculer ses sauts au pixel près devenait indispensable si on désirait évoluer dans ces cavernes. Leur gestion était complexifiée par le fait qu'on ne pouvait pas contrôler Willy lors de ses bonds, nous obligeant à anticiper l'endroit où il allait atterrir. Etre en contact, même très légèrement, avec un ennemi provoquait une mort subite. Idem en ce qui concernait les chutes trop importantes. Le personnage n'avait aucun moyen de se défendre et il fallait toujours tenter de contourner le moindre obstacle. Chaque niveau se construisait comme casse-tête nous incitant à réfléchir avant de se lancer, et ainsi se créer une image mentale de l'itinéraire que l'on allait entreprendre: Préméditer l'ordre d'obtention des objets et des chemins à emprunter devenait indispensable à notre survie. L'art du slalom de pièges devait imprégner l'esprit du joueur. Le level design était à ce titre rudement bien élaboré car méticuleusement pensé dans ses moindres détails. Le soft était par ailleurs dépourvu de bugs, ce qui était tout à fait incroyable puisqu'il avait été conçu par un seul concepteur, le jeune Matthew Smith, dans un délai relativement bref. Une prouesse assez bluffante qui méritait d'être souligner.

Image de Manic Miner du niveau Endorian ForestDétail amusant: Petit, je pensais que le héros de Manic Miner portait un chapeau de cuisine. Ce n'est que des années plus tard, en émulation, que j'ai pu constater que ce qui trônait au dessus de sa tête était en réalité juste ses cheveux.
Manic Miner fut le premier jeu sur Zx Spectrum à introduire une piste musicale. La particularité était que les 2 canaux sonores utilisés pour la compo ne comportaient aucune interruption.
Il y avait des changements mineurs (Ha ha !) entre les différentes versions: que ce soit sur Zx Spectrum, Amstrad CPC ou autres, le titre restait à peu près le même. Seules les couleurs différaient ainsi que le peu d'ambiance sonore. Certains designs changeaient également. Ceci étant dit, quelques petites différences étaient amusantes à noter: L'un des niveaux, "Eugene's Lair" plaçait un petit ennemi circulaire qui affichait un sourire radieux dans sa version Zx Spectrum. Sur Amstrad CPC, la salle se renomma "Eugene Was Here" et la joie de vivre s'effaçait sur le visage de la créature... Comme si il était arrivé quelque chose à ce mystérieux Eugene, ou qu'il manquait à cette chose.
En réalité, Eugene était le prénom d'un développeur de Liverpool, Eugene Evans, qui fut une star de la société Imagine, avant qu'il parte rejoindre l'éminent studio de Psygnosis, quelques années après. Evans aussi avait travaillé au sein de Bug-Byte, l'entreprise de jeux vidéo qui employait Matthew Smith, lors du développement du jeu. Le Eugene du niveau était une sorte de caricature que le jeune développeur a intégré à Manic Miner.
Dans ce tableau résidaient également des toilettes tueuses, fruit de l'imagination du petit frère de Smith. Ce dernier avait 3 ans à l'époque et il tenait à voir des cuvettes dans la création de son grand frère.

Image de Manic Miner. Comparaison du niveau Eugene's Lair ou Eugene Was Here de Zx Spectrum à CPC
A Gauche, la version ZX Spectrum du tableau "Eugene's Lair".
A droite, sa transformation sur Amstrad CPC.


La maison des essais

Niveau au début de Jet Set Willy (Amstrad CPC)

Après ce petit interlude dédié à Manic Miner, rentrons dans le vif du sujet en abordant enfin le cas Jet Set Willy, l'un des titres majeurs auxquels j'ai pu jouer sur mon clinquant CPC 6128. Cette suite de Manic Miner, sorti en 1984, nous permettait de retrouver notre ami Willy qui s'était enrichi grâce aux trésors glanés dans les mines du précédent jeu. Pour représenter sa nouvelle condition de nouveau riche, son sprite affichait dorénavant un chapeau haut de forme sur sa tête. Ayant eu la folie des grandeurs, il acheta un immense manoir et organisa une immense fête, avec plein de convives. Après avoir retourné la maison, les invités quittèrent les lieux. Willy, totalement saoul et fatigué, s'apprêta à aller dormir, mais sa gouvernante, Maria, était furieuse de voir tout ce foutoir. Hors de question pour elle de nettoyer tout ça ! Elle contraignit notre héros à ranger toute la demeure avant d'aller au lit. Pas moyen de se reposer avant d'avoir récupérer tous les objets éparpillés dans les différentes pièces du manoir afin de satisfaire la madame.

Personnellement, et pendant très longtemps, je pensais que ce protagoniste qui lui demandait de décamper était sa femme. En effet, beaucoup de ces anciens jeux vidéo étaient peu informatifs sur la nature exacte des motivations des personnages, allouant un flou qui enveloppait les histoires. On ne comprenait pas toujours pourquoi les héros bravaient moult dangers. Parfois, le scénario et/ou le contexte nous était conté dans les notices ou derrière les boites des jeux. D'autres fois, nous n'avions rien de tout cela puisque le piratage était monnaie courant dans ces années là. Donc l'imagination tournait plein pot dans nos esprits. Ces softs se trouvaient également dans des compilations que nous achetions dans les grandes surfaces, par exemple, car c'était plus économique et plus sympa d'avoir plein de titres d'un coup.
La chambre et le lit de Jet Set Willy avec Maria
L'objet de la convoitise
Enfin bref... Pour en revenir à notre pauvre Willy, sa vision des choses avait été quelques peu biaisée par l'alcool qu'il venait d'ingurgiter à sa soirée, favorisant l'apparition de quelques hallucinations cocasses et souvent inquiétantes (enfin... je trouve). On peut affirmer que Jet Set Willy était une sorte de simulateur de bad-trip. Pendant son périple à travers sa maison, toutes les pièces qu'il traversait lui paraissaient plus grandes, plus dangereuses car remplies de créatures loufoques. Le nom des salles apparaissaient en bas de l'écran, à l'instar du jeu précédent. Certaines demeuraient assez énigmatiques et faisaient parfois des clins d'oeils à des oeuvres qui avaient marqué Mr. Smith. Contrairement à Manic Miner, qui nous obligeait à collecter tous les items d'une salle afin de passer à la suivante, Jet Set Willy nous autorisait de parcourir librement chacun des lieux, axant son gameplay sur la mise en avant de l'exploration. Grosso modo, Manic Miner était assez clair et concis dans son déroulement: Le joueur atterrit dans un tableau. Il récupère les objets et, hop, par ici la sortie. En mettant l'accent sur l'exploration, Jet Set Willy offrait une dimension ouverte vraiment excitante pour l'époque. Le joueur pouvait choisir son chemin, intensifiant cette impression d'avoir une aventure tentaculaire. C'est assez difficile d'expliquer la sensation de grandeur qui émanait d'un tel titre pour quelqu'un qui aurait découvert le jeu vidéo, il y a 10 ou 15 ans.


Nightmare Room de Jet Set Willy CPC versionL'une des caractéristiques de Jet Set Willy était son humour décalé qui se noyait dans un trip psychédélique. En effet, les adversaires qui se dressaient devant notre héros bourré étaient pour le moins conventionnels, d'autant plus dans un manoir. On y croisait des lapins, des flèches, des compas, des téléphones meurtriers, des toilettes cassantes, des couteaux suisses tranchants, des pingouins et autres étrangetés.  Tous ces animaux et objets animés nous retiraient une vie si ils entraient en collision avec notre avatar. La moindre faute ne pardonnait pas ! En parlant de ça, une fois la vie envolée, le jeu reprenait illico, à l'endroit où l'on venait de mourir, ce qui était vraiment vache étant donné que l'on pouvait se refaire toucher la seconde suivante, de nouveau par la main de celui qui venait de nous ôter la vie. Les bestioles avaient tendance à se retrouver à l'emplacement exact où réapparaissait Willy. Oui... Vraiment vache ! Et si nous étions pas assez réactif, nous perdions trois... puis quatre vies à la suite. Nous pouvions perdre successivement plusieurs essais d'un coup, toujours avec ce son: "Tchip" "Tchip" "Tchip" venant souligner notre mort. L'écran de Game Over était d'ailleurs lui aussi singulier, puisqu'il mettait en scène Willy se faire écraser par un pied qui s'allongeait. 
Pied qui écrase Jet Set Willy
"Tuuuuuuuuuuuuuuuiiiiiii !"
"Merde ! Fais chier !!"
Il fallait également faire attention à ne pas tomber de trop haut, pour ne pas perdre encore une énième vie. Le monde était définitivement cruel envers ce petit personnage immaculé de blanc.

La maniabilité préconisait vraiment le placement au pixel près, obligeant le joueur à anticiper et à placer le personnage au bon endroit, au bon moment. Lorsque les ennemis abondaient en grand nombre, il fallait parfois observer les vas-et viens de ces derniers afin de mémoriser la brèche qui nous permettrait de traverser sans heurt jusqu'au tableau suivant. En définitif, cette jouabilité millimétrée exigeait une attention accrue de notre part, à la fois en se concentrant sur nos placements méticuleux, mais aussi de ceux de nos indésirables invités.
A l'instar de Manic Miner, il était impossible de se défendre, donc il valait mieux esquiver les intrus en passant dessous, dessus ou alors tout simplement fuir.

Lorsque je relançais une partie, je me demandais perpétuellement quel chemin j'allais emprunter cette fois. Le couloir ouest ? Par le bas et ensuite à droite ? Je cogitai rapidement afin de choisir la trajectoire qui me maintiendrait en vie le plus longtemps. Parfois, je tentais le diable en allant explorer directement les pièces les plus cotons. C'est parfois tellement amusant de choisir sa propre mort, non ?
Je vous rappelle qu'il n'y avait pas de sauvegarde en ce temps là. Si nous voulions terminer un jeu, nous devions relancer une nouvelle partie un nombre incalculable de fois, et revoir inlassablement les mêmes premiers tableaux.

Screenshot du jeu vidéo Jet Set Willy
Les screens publiés proviennent de 
plusieurs versions.
En outre, l'accès à certains objets demeurait une énigme: Ces derniers semblaient totalement inaccessibles. En général, je ne cherchais que rarement à les dénicher, car j'étais bien trop occupé à essayer de récupérer ceux qui étaient plus "facile"à atteindre. D'ailleurs, je récupérais souvent les mêmes en premier. Après moult tentatives, une sorte de mimétisme se créait et j'empruntais finalement le même itinéraire, sauf en cas d'excentricités de ma part. Au fil des années, les premières salles du manoir ont pu devenir plus familières à mes yeux. Les créatures qui habitaient ces pièces étaient devenues de vieilles amies à qui j'adressais un petit coucou en passant. Ambiance sympa...
En revanche, la tension revenait fréquemment lorsque je revenais dans les salles les plus difficiles à arpenter. Et ensuite, lorsque j'ai pu en traverser pour la première fois certaines, l'angoisse et l'excitation de défricher de nouvelles zones inexplorées reprenaient le dessus... jusqu'à la prochaine mort. Mort qui ne tardait jamais à pointer le bout de son nez.

Manoir de Jet Set Willy dans les pages de Crash, en 1984 ou 1985.
Extrait du magazine britannique Crash qui dévoilait le level design complet du jeu.
La construction architecturale du manoir avait, pour inspiration initiale, les maisons traditionnelles de campagnes anglaises, de l'aveu de Matthew Smith. Bon, ok, une sacrée maison anglaise, on est d'accord.


Bonjour monsieur monochrome

Screen Jet Set Willy version ZX Spectrum


Les graphismes misaient sur le minimalisme, avec ses sprites et ses décors épurés aux couleurs uniques, à l'instar de Manic Miner. Finalement, Jet Set Willy calquait tout un tas d'éléments de son prédécesseur, mais pour le transposer dans une aventure bien plus vaste.
Et pour l'époque, il paraissait véritablement gigantesque avec ses 61 pièces à visiter.
Sa suite, Jet Set Willy II: The Final Frontier, poussait la démesure encore plus loin, avec sa disquette garnie de 130 salles à traverser.
JET SET WILLY II ! PLUS DE PIECES ! PLUS DE WILLY ! PLUS CHOC ! PLUS DE STREUMONS !
Version Amstrad CPC de Jet Set WillyPersonnellement, je possédais les deux épisodes. A vrai dire, je confondais même les deux, pendant longtemps. Normal étant donné qu'ils se ressemblaient énormément. En réalité, cette séquelle, qui fut d'abord créé sur CPC, tenait plus de l'extension que de la véritable suite, car les nouvelles pièces venaient s'adjoindre à celles du jeu de base. 
En sus, il n'a pas été programmé par Matthew Smith mais par le duo Derrick P. Rowson et Steve Wetherill.
Dans cette nouvelle itération, Willy pouvait maintenant changer de direction pendant un saut, assouplissant grandement le gameplay et adoucissant quelque peu la difficulté. Dans le précédent soft, il n'y avait pas moyen de changer de direction au dernier moment. A l'instar de Manic Miner, le joueur devait absolument calculer mentalement à quel endroit le personnage allait atterrir (comme dit un peu plus haut). Mais ne vous laissez pas attendrir par ces petites attentions, car cette simplification du gameplay n'était pas du luxe, croyez-moi. En effet, en contrepartie, l'augmentation du nombre de tableaux à parcourir et d'objets à récupérer augmentait drastiquement la difficulté du titre. Il y avait même un passage dans lequel Willy se retrouvait en orbite et arborait une tenue de cosmonaute.

Côté ambiance, on pouvait activer une envahissante musique anxiogène qui se répétait en boucle, à l'instar de Manic Miner. Autant vous dire que je ne la mettais jamais. Je ne pense pas être le seul qui procédait ainsi. Sur Zx spectrum, la piste sonore qui nous accompagnait avait pour thème musicale la chanson "Ah Si J'étais Riche" de la comédie musicale "Un Violon Sur Le Toit". Dans d'autres copies, la mélodie entêtante qui bouclait était "In the Hall of the Mountain King". Une musique classique en soit plutôt cool mais qui se transformait en motif sonore sorti tout droit des enfers, dans l'oeuvre de Matthew Smith. Sur Commodore 64, "Invention N°1" de Bach assistait le périple de Willy.
En revanche, sur Amstrad CPC, Steve Wetherill , responsable de la musique sur cette version, dû créer une composition originale. Il utilisa 2 canaux sonores et laissa le troisième pour les bruitages.
Comme pour les autres, il valait mieux couper la mélodie afin d'éviter la cacophonie ambiante. Un détail rigolo était que la musique ne comportait aucune interruption.
D'ailleurs, sans elle, l'aventure baignait dans une atmosphère silencieuse qui renforçait l'aspect oppressant du périple, car le reste de l'ambiance sonore était très pauvre. Elle comportait en tout que trois ou quatre sons différents. 
Image du jeu vidéo Jet Set Willy
Je me souviendrai toujours du bruit des sauts. Le petit "tudududududu" qui venait souligner chacun de nos bonds. La petite mélodie augmentait de ton lors de la montée, puis diminuait à la descente. Lorsque l'on tombait de trop haut, cette maudite note descendante n'en finissait jamais. Mais jamais !
Curieusement, c'était un jeu qui m'inspirait (et m'inspire encore) sous la douche. Je ne saurais pas trop vous expliquer pourquoi, mais je reproduis de temps à autres les bruits des sauts de Willy, tout seul. Moui... je suis dans mon monde, lorsque personne ne me regarde ou m'écoute dans la salle de bain, vous savez...

 L'inquiétante étrangeté 

Etrange peluche de nounours. L'inquiétante étrangeté.

Voilà ce qu'a dû ressentir ce pauvre Willy lorsqu'il du parcourir son manoir avec sa vision altérée des choses: Il a dû faire l'expérience de l'intime, du décor familier qui, d'un coup, devint plus menaçant. C'est un peu le concept de l'inquiétante étrangeté: A savoir un lieu ou une situation familière qui se transforme subitement et parfois subtilement en quelque chose d'étrange ou d'angoissant. Je risque de revenir un peu plus en détail sur ce concept lorsque j'aborderai (un jour) le cas de Silent Hill. Ça va être cool, je vous assure !
En attendant, ces deux Jet Set Willy provoquaient un certain malaise lorsque j'y jouais. Alors, ok, le quotidien représenté par le manoir et les objets de deux mètres, ainsi que les visages monstrueux, tendaient plus vers le cauchemar profondément fantasmagorique, mais je pense vraiment que le fait qu'il y ait du familier dans ces décors appuyaient le côté inquiétant, de mon point de vue.
A ce titre, la jaquette du jeu me renvoyait une image sale et brutale, accentuant ce sentiment d'avoir un univers malsain en face de moi. Tout dans l'image me troublait: Tout d'abord, la scène en elle-même qui présentait ce pauvre Willy décuver dans la cuvette des toilettes, mais aussi les proportions quelques peu saugrenues de la pièce. La dame/créature qui ouvrait la porte avait une allure spéciale. La cover était habillée dans des teintes de couleurs un peu floutées qui conféraient un caractère vague à l'illustration. Tous ces détails visuels ont fini par marquer l'enfant que j'étais. Je devais avoir entre 6 et 7 ans lorsque je découvris ce jeu.
Image de Jet Set WillyEn fait, les titres 8 bits, et plus précisément les titres occidentaux qui sortaient sur micros, me laissaient une empreinte un peu particulière dans mon esprit.

Pour l'anecdote, il y a quelques mois, j'ai pu parler de mes impressions d'enfants à des quarantenaires/cinquantenaires sur une page Facebook dédiée aux machines Amstrad. Lorsque j'évoquai mon intimidation face à des programmes comme Fruity Frank ou Jet Set Willy, je me suis retrouvé en face d'un mur d'incompréhension. Ils ne comprenaient pas en quoi ces jeux étaient "bizarres" esthétiquement. Ce qui veut dire que pour un enfant né dans les années 80, ces programmes ne produisaient pas du tout le même effet que sur des adolescents ou jeunes adultes de cette époque. Je ne sais pas quelles impressions laisseraient ce genre de softs sur des enfants habitués à des jeux colorés, beaux et souvent en 3D. Alors, on  imaginerait bien un Jet Set Willy dessiné par un jeune auteur indépendant. Il aurait parfaitement sa place dans ce milieu là, d'ailleurs. Et il ne serait solliciter que par une petite niche de joueurs (les plus chelous peut être).

Jaquette de Jet Set Willy
Cover de Jet Set Willy.

Pourtant, lorsque Matthew Smith imagina Manic Miner et Jet Set Willy, il voulut insuffler un humour absurde, typiquement anglais. Cela se traduisait à l'écran par un aspect déjanté caractérisé par la multitude de créatures et d'objets de la vie quotidienne qui voulaient s'en prendre à notre héros. 
Il n'aimait pas tellement la violence et ses jeux mettaient volontiers l'accent sur l'absurde et l'humour. Ses oeuvres axait sur la fuite et l'évitement plutôt que sur l'affrontement, comme cité plus haut. Même ce fameux pied écraseur, en fin de partie, était une allusion directe aux Monty Python. En revanche, pour moi, cela ajoutait un surplus de malsain, alors que pour son géniteur, cela s'apparentait davantage à de la comédie plutôt qu'à de la violence. Dans ma vision d'enfant impressionnable, je percevais cet écrasement comme un énième trip inquiétant. Idem en ce qui concernait les créatures qui hantaient le manoir. C'était censé être rigolo mais moi je trouvais ça juste bizarre. Tout cela était dû aux graphismes et à l'ambiance que renvoyaient les limitations techniques de ces micro ordinateurs. Parfois, et malgré la volonté des programmeurs et développeurs, leurs jeux paraissaient étranges. Mais c'était vraiment le fait qu'ils soient un peu moches qui me donnait cette impression. Je suis sûr que je n'étais pas le seul enfant à avoir été un peu effrayé (même si c'est un grand mot) mais aussi fasciné par certains vieux titres sur micros. Cette "laideur", cette limitation technique arrivait à insuffler parfois des atmosphères vraiment surprenantes et totalement disparues aujourd'hui. Cela était conjugué à quelques fautes de goût, dues à l'inexpérience, de ces jeunes créateurs qui tâtonnaient encore dans ces années là.
Ceci étant dit, l'humour du titre de Smith me mettait le plus souvent mal à l'aise car, comme je l'ai écrit un peu plus haut, ces objets banals, qui s'animaient et se transformaient en machines à tuer, éveillaient en moi plutôt de l'inquiétude.

Image du level The Beach de Jet Set Willy
Image rare d'un joueur érudit, seul avec
ses chimères.
Un voile de mystère enveloppait certains logiciels, dû à l'absence de scénario ou presque, qui parachevait d'ancrer un peu plus ces derniers dans un terreau un peu anxiogène, et alimentait parfois certaines théories. En ce qui concerne Jet Set Willy, une d'entre elle émit l'idée que le manoir appartenait auparavant à un scientifique, et que les créatures qui hantaient les différentes pièces furent le fruits de ses malheureuses expériences. Une autre rumeur courait sur le fait qu'il existait une salle secrète, accessible uniquement en attendant une grosse vague sur la plage, qui permettrait d'atteindre une île déserte. Plus précisément, en effectuant une série de manipulations, il était soi-disant possible de rejoindre ensuite cette zone dissimulée. De nombreux joueurs ont passé du temps à attendre l'arrivée de la fameuse vague. Ce qui déclencha cette rumeur étaient que, dans les lignes de code originales, le nom "The Gaping Pit" fut découvert, alimentant ce fantasme de pièce sécrète. Par la suite, le magazine Crash eut même publié le courrier d'un lecteur qui certifiait comment accéder à cette fameuse zone cachée. C'était évidemment du bullshit et "The Gaping Pit" était en réalité le nom donné initialement au niveau "We Must Perform A Quirkafleeg".  Dans Jet Set Willy II, la possibilité de naviguer sur une île déserte fut ajouté, en guise de clin d'oeil. Ce genre de délire qu'on se racontait au coin du feu cristallisait la fascination qu'une frange de joueurs pouvaient ressentir à l'encontre du soft. En outre, je ne parlais pas vraiment de ces vieux titres avec les copains d'école. Les discussions sur le jeu vidéo sont arrivées un peu plus tardivement, avec l'ère 16 bits, dans mon cas. Et même si je continuais à jouer sur ordinateurs, nous parlions exclusivement des consoles les plus récentes dans la cour de récré.

Page du magazine Tilt qui parle de Jet Set Willy
Cet extrait du magazine Tilt traitant du jeu alimentait cette théorie du savant fou. 

L'impossible épopée

Ecran titre du jeu Jet Set Willy avec le Triangle de Penrose

L'écran titre donnait le ton: Le triangle de Penrose, cette figure impossible, illustrait l'accueil et le Sonate au Clair de Lune de Beethoven donnait le LA. Ce fut d'ailleurs la première fois que j'entendis cette musique classique. Elle devint par la suite une de mes compositions classiques préférées. Cette version CPC (qui fut la mienne, je le rappelle) extirpait de ses entrailles cette composition sinistre en utilisant son chip sonore comme d'un moyen de mettre la pression au joueur, avant même de commencer. De surcroît, un aspect fort mélancolique émanait de cette reprise avec ces tonalités graves que crachaient mon 6128. Deux canaux sonores suffisaient donc pour provoquer tous ces sentiments. Il m'arrivait très régulièrement de laisser l'écran titre afin de laisser la musique défiler quelques minutes, hypnotisé par ces notes, et fasciné par les couleurs tricolores et changeantes du triangle. En parallèle, j'essayais parfois de lire, le plus rapidement possible, ce putain de texte en bordure d'écran qui défilait à une vitesse inhumaine.
Par la suite, j'entendis de nouveau le Sonate au Clair de Lune dans Earthworm Jim 2, dans un des niveaux les plus bizarres du jeu, mais surtout dans l'adaptation cinématographique de Misery, dans une scène clef du film. Dire que cette composition m'ait marqué est un euphémisme...

Screen de Jet Set Willy du niveau The BowJe vous ai parlé du triangle de Penrose ou tripoutre ? Si ? hmm ? Non je ne crois pas. Ah non ! Je crois pas. En fait, cette figure a été décrite en 1934 par Oscar Reutersvard, mais fut réellement mise en lumière dans les années 50 par le mathématicien Roger Penrose. A première vue, c'est une figure qui représente un triangle équilatéral. Mais en y regardant de plus près, ses perspectives semblent étranges et impossibles à reproduire dans la réalité. Par le passé, de nombreuses tentatives de représentations 3D de cet objet furent réalisées, mais sans succès.
En réalité, la tripoutre ne peut exister qu'en deux dimensions, où les perspectives sont figées. En effet, il s'agit d'une illusion d'optique et le triangle est en fait constitué de trois barres carrées reliées entre elles, comportant une cassure,  et placées sous un certain angle de telle sorte à créer cette impression d'objet triangulaire aberrant.
C'est une illusion hypnotisante car son caractère invraisemblable attire l'oeil de celui qui l'observe.
Je pense que, inconsciemment, ce fut l'une des raisons pour lesquels je restais scotché sur l'écran titre.


Amusant d'avoir affublé ce dernier de cette forme dans un jeu qui fut ironiquement quasiment impossible à terminer à sa sortie. En effet, ce dernier fut gangrené par divers bugs qui allouaient un sens presque littéral au triangle de Penrose: Dans la version initiale, lorsque le joueur pénétrait dans le niveau  "We Must Perform a Quikafleeg" après avoir parcouru "The Attic", il mourrait immédiatement. Plus précisément, lorsque Willy entrait dans cette dernière salle, une série de bugs se déclenchaient instantanément, corrompant plusieurs autres pièces de la demeure. Par exemple, des monstres disparaissaient dans "The Chapel", mais aussi des tableaux devenaient impraticables car ils provoquaient une mort subite (comme dans le niveau sus-cité). Finalement, ces problèmes étaient provoqués par une des flèches de The Attic, un des pièges les plus vicieux du titre, qui, une fois le tableau traversé, continuait son chemin et restait donc dans la mémoire du logiciel, écrasant des données fondamentales du programme.
Pour l'anecdote, Software Projects, éditeur du jeu, faisait mine que tous ces bugs n'en n'étaient pas vraiment et qu'en fait, une fois que le joueur pénétrait "The Attic", d'autres salles se gorgèrent de gaz toxiques, rehaussant volontairement la difficulté de l'aventure (comme si elle ne l'était pas déjà suffisamment). Ces explications farfelues n'empêcha pas l'éditeur de délivrer les fameuses mises à jour qui laissèrent une odeur de retro-pédalage. (qui constituèrent effectivement une sorte d'aveux de leur part). "The Attic Bug" deviendra le nom de toute cette mésaventure, et grâce à cette histoire, Jet Set Willy fut donc un précurseur malgré lui dans un domaine particulier: Il fut un des tous premiers titres à bénéficier d'un correctif.

Screenshot de Jet Set Willy The ChapelCela dit, même en épurant le jeu de tous bugs, le périple restait incroyablement coton. Une vraie saloperie pour les nerfs. Mais malgré l'immense difficulté, j'avais tendance à y revenir inlassablement puisque la curiosité de découvrir les parties inexplorées du manoir prenait le pas sur la frustration. Comme je le suggère dans un autre chapitre un peu plus haut, on avait systématiquement tendance à se retaper les dix mêmes salles centrales, celles qui entouraient le tableau initial. Mais lorsque l'on commençait à aller explorer les aires plus extrêmes de la demeure, il y avait invariablement cette excitation qui pointait le bout de son nez. Je me disais que, cette fois, ça y est, j'allai enfin fouler l'inconnu. Bien entendu, lorsqu'on perdait de nouveau dix vies en l'espace de deux fractions de secondes, sur le même ennemi, faisait chuter toute l'adrénaline qu'on venait de sécréter. Comme le gosse persévérant que j'étais, je relançais plusieurs parties avant de jeter l'éponge... Et comme souvent, même avec des jeux aussi intimidants, j'y revenais toujours au bout d'un moment.
Logo de l'éditeur développeur Software Projects avec Matthew Smith
Le triangle apparaissait également sur le logo
de Software Projects, l'éditeur des jeux.
La découverte de nouvelles salles jouait sur un contraste saisissant entre différents jeux de motifs. On passait d'une salle sombre, presque sinistre, avec des têtes de monstres flottantes à une pièce plus joyeuse, éclairée et ornée de lapins danseurs ou de canards. Malgré le fait que pas mal de clones de créatures apparaissaient dans d'autres tableaux, il y avait régulièrement quelques surprises visuelles. Pas toujours de bonnes surprises, d'ailleurs: la faute à ces saletés de salles qui abritaient des flèches qui défilaient d'un côté de l'écran jusqu'à l'autre (dont la fameuse qui provoquait le fameux bug). Qu'importe la difficulté, la soif de l'inconnu était plus forte.
Pour des gens découvrant le titre aujourd'hui, je ne sais pas si ils pourraient être intéressés vraiment. Alors, si, je pense que l'intérêt reste encore intact. Personnellement, je le trouve encore agréable à parcourir, ce qui n'est pas forcément le cas de tous les jeux que j'ai aimé par le passé.
En revanche, je pense que la fascination que j'ai pu développer pour ce manoir, altéré par la vision déformée de Willy, ne doit pas avoir le même impact aujourd'hui. Je ne sais pas si d'autres jeunes joueurs peuvent se plonger avec autant de délectation.
Si un jeune fan lit ce texte, qu'il me fasse signe ! Je serais tellement content que Jet Set Willy puisse toujours charmer de nouveaux joueurs. Au moins un, quoi... Aller...

Le triangle de Penrose était peut être un parallèle au joueur qui s'acharnait comme un con à relancer un tel périple impossible, encore et encore, comme si il était fasciné par cet aspect, essayant d'apprivoiser cette adversité afin d'espérer et de comprendre comment récupérer tous les objets. Cette figure représentée dans Jet Set Willy serait-il le miroir du jeu: Figure aux contours mystérieuses et impraticables, à l'image de ce manoir qui semblait insurmontable à dompter, et qui recouvrait les pièces les plus inaccessible d'un voile de mystère.
... Ou alors Matthew Smith trouvait la figure juste trop cool et qu'il la trouvait rigolote à programmer pour l'écran titre. Je me prends peut être juste la tête sur son utilité.

double screens du Triangle de Perth qui reprend le triangle de Penrose dans une sculpture en Australie.
Le Triangle de Perth: Une sculpture située à East Perth, en Australie.
La perspective n'est pas la même sur les deux images.
J'espère que les gens ne se font pas écraser, lorsqu'ils
essaient de bien voir la figure.

"Où tu vas, Papa ?

- Je reviens. Je vais acheter un paquet de clopes..."

Photo de Matthew Smith créateur de Manic Miner et Jet Set Willy avec un cadre du jeu.
Matthew Smith

Attardons-nous maintenant sur Matthew Smith, le créateur de Manic Miner et Jet Set Willy. Cet anglais était devenu très tôt un féru d'informatique. Pendant des mois, il réclamait un TRS-80 à ses parents, qu'il obtint à l'âge de 12 ans environ. Il démonta la machine pour voir ce qu'il y avait dedans, car il voulait absolument savoir comment tout cela fonctionnait. Il avait ensuite l'habitude de trainer dans un magasin Tandy où il retrouvait d'autres jeunes amateurs d'informatique avec lesquels il jouait et programmait. Chris Cannon, un ami qui travaillait pour l'éditeur de logiciels Bug Byte, venait de temps à autre dans cette boutique. Ce dernier connaissait le jeune développeur Eugene Evans, qui, je le rappelle, travaillait pour Bug Byte. Grâce à cette relation, l'éditeur prêta un Spectrum à Smith pour qu'il développe trois jeux pour eux. Son premier logiciel, Styx, était un shoot'em up.
Screen du jeu vidéo Miner2049er
Miner2049er, une des inspirations pour
Manic Miner.
Par la suite, Alan Maton, responsable de projet chez l'éditeur, demanda si il ne serait pas intéressant de produire un titre ressemblant un peu à Donkey Kong qui avait cartonné sévère, à cette époque. Cela tombait à point nommé puisque le jeune Matthew avait dépensé sans compter dans les bornes d'arcade pour jouer à ce titre. Il le connaissait donc bien. L'idée originale qui germa dans la tête du développeur fut une caricature d'Eugene Evans. Pour l'anecdote, lorsque Smith commença à coder Manic Miner, Evans pensait qu'il serait impossible qu’un logiciel Spectrum puisse comporter 16 écrans. Défi relevé haut la main puisque Manic Miner en possédait 20 !

Matthew avait tout juste 16 ans lorsqu'il programma la première aventure de Willy. Il en avait 17 lorsque le jeu fut commercialisé. Pour l'anecdote, il plancha sur Manic Miner de nuit car les composants qu'il développa pour son ordinateur se brisèrent à chaque fois qu'un autre membre de sa famille mettait la bouilloire en marche. Le développement nocturne lui permettait donc de travailler plus sereinement. Cela ne l'a pas non plus empêché de boucler la programmation de son soft en huit semaines. Manic Miner cartonna à sa sortie, couronnant de succès le nouveau créateur de Liverpool. Cela dit, Matt quitta malgré tout Bug Byte à cause d'un différend financier, et il rejoignit Alan Maton, Soo Matoo (la femme d'Alan) et Chris Cannon qui, eux aussi, quittèrent l'éditeur pour fonder Software Projects. Smith réussit tout de même à emporter son premier succès sous le coude. Par la suite, le jeu fut converti sur la plupart des micro ordinateurs de l'époque, élargissant considérablement le parc du jeu..
Photo du jeune Matthew Smith, programmeur de Manic Miner et Jet Set Willy
Photo du jeune Matthew Smith.

Il ne se délectera pas longtemps de ce triomphe puisqu'il plancha rapidement sur la suite, Jet Set Willy, qui confirmèrent le goût du monsieur pour l'humour déjanté et excentrique. Durant le développement de ce nouveau projet, une pression monstre écrasait le jeune codeur, largement plus que pour celui de Manic Miner, et pour un temps de développement pourtant bien moindre que prévu. Cet empressement vinrent à la fois des vendeurs et des distributeurs. De surcroît, les gens se demandaient ce que le créateur anglais allait sortir de son chapeau. Mais ce dernier n'aimait pas du tout travailler sous la pression. Il considérera même cela comme une véritable nuisance. Contrairement à son  prédécesseur, qui avait eu un développement plutôt agréable, cette séquelle avait été bien plus problématique à concevoir, notamment à cause du délai. "Sept nuances en enfer" furent les termes que Matt utilisa pour décrire la gestation de Jet Set Willy.
Après plusieurs mois, le titre sortit bugué, comme je l'ai décrit un peu plus haut dans mon article. Dommage, car Manic Miner, lui, était nickel de ce côté là: Aucun bug ne parasitait son programme. On pouvait y envisager là une jolie qualité pour un soft développé par un seul garçon.
Plus ou moins rapidement, il fut porté sur les plus populaires micro ordinateurs de l'époque dont Amstrad CPC, ZX Spectrum, Commodore 64, MSX, etc...
Des versions Amiga et Atari ST furent même développés, plus tard, en 1989 par Software Projects, mais elles furent finalement annulées. Ces portages sont toutefois trouvables sur le net...

Ce qui rendait cette série fascinante était l'aspect méta qui dressait une sorte de parallèle entre Willy et son créateur: Le héros était initialement un minier intrépide qui devint immensément riche à la fin de l'aventure. Il s'offrit un manoir et organisa une teuf en invitant des convives. On pourrait dire que le personnage était un miroir déformant du jeune programmeur anglais, puisque ce dernier connut le succès grâce à son premier soft. Il gagna également pas mal d'argent, qu'il injecta assez vite dans la suite et dans son entreprise, Software Projects. Bon, à contrario, il n'avait pas du tout les moyens de se payer un manoir comme Willy. Mais, après la sortie de cette séquelle, sa passion pour la programmation se tasse, et il connut ensuite cette parenthèse de vie où il préférait faire la fête plutôt que de créer des jeux vidéo.

Page du magazine Personal Computer Games avec l'interview de Matthew Smith.
Page du magazine Personal Computer Games
dans laquelle Smith fut interviewé en 1984.
Jet Set Willy offrait une dimension étonnante à son héros dans ce second titre. Il était intéressant de souligner que Willy, le courageux minier se retrouvait, tout d'un coup, dans une situation peu flatteuse: Il était présenté soûl, avait la folie des grandeurs et il se retrouva en quelque sorte fautif de la situation qu'il occasionna. Le personnage n'avait plus rien du héros courageux du précédent titre. Au contraire, on avait presque affaire à une sorte d'antihéros, ou tout du moins un héros qui gagnait un peu en épaisseur. Une caractéristique singulière dans ce milieu qui ne mettait en avant que des héros foncièrement transparents (pour la plupart).
L'ascension de Matthew Smith en superstar du jeu vidéo anglais à l'époque n'a pas fait de lui quelqu'un d'imbu ou d'orgueilleux, bien au contraire. Lorsque l'homme fut interviewé à ce sujet, à de multiple reprises, il faisait souvent preuve de modestie, et paraissait même assez mal à l'aise avec l'idée qu'on puisse le considérer comme une star.

Super Mario Bros sortit plusieurs mois après, redistribuant les cartes des jeux de plateforme. Toutefois, il est amusant de voir à quoi pouvait ressembler le dernier succès occidental du platformer à cet instant, puis le comparer à celui des japonais, via le plus célèbre des plombiers. On oublie un peu trop souvent qu'il y avait toute une culture du platformer à l'occidental, qui fut tout de même importante dans les années 80. Ce vivier de talents, originaire de Liverpool pour beaucoup, a su engendrer tout un tas de hits qui élevèrent certains studios en incontournables, et qui ont fait les beaux jours des joueurs. L'emergence puis le succès de Imagine, Bug Byte (qui mettra la clé sous la porte assez vite, en 1985) Ocean Software et même le supra cultissime Psygnosis ont presque tous commencé durant la même période, et plus ou moins au même endroit (à quelques km près). On comparait souvent Liverpool à une sorte de Silicon Valley britannique. Les programmeurs, très jeunes pour beaucoup, adoptaient une attitude de bricoleurs punks. Des mecs comme Eugene Evans conduisait même une lotus comme voiture de service. Ceux ayant triomphé, à l'instar de ce dernier, ont gagné pas mal d'argent. Certains flambaient avant de redescendre très vite. Les sociétés se frottaient les mains de voir ces jeux vidéo rapporter autant d'argent. Replonger dans ces archives fait un petit pincement au coeur, lorsque l'on sait aujourd'hui que ces entreprises, qui nous ont donné tellement d'heures de bonheurs lorsque nous étions enfants, ont disparu, soit après avoir fait faillite, ou soit après s'être fait racheter par une plus grosse entité.
En parlant de ça d'ailleurs, en 1988, Software Projects ferma ses portes, sans qu'un nouveau jeu signé de son développeur star ne put voir le jour...
Entre temps, Jet Set Willy II sortit et, si vous êtes attentif à mon texte, il ne fut pas signé de la main de Matthew.

Tee-Shirt du sprite du jeu vidéo Jet Set Willy

Ensuite, l'homme disparut des radars, pendant des années. Plus aucune nouvelle de lui. Aucune lettre, aucun fax ! Il ne créa pas non plus la suite officielle de Jet Set Willy qu'il envisageait sous l'appellation de "Willy Meet Taxman" (littéralement Willy rencontre l'inspecteur des impôts), qui aurait vu Willy rendre des comptes sur toute la fortune qu'il avait gagné. D'ailleurs, ce projet portait également comme nom de code "The Mega Tree". Cependant, il aurait planché sur le jeu "Attack of the Mutant Zombie Flesh Eating Chickens from Mars", mais que, insatisfait de son travail, il aurait définitivement jeté l'éponge. Le titre fut tout de même publié après avoir été réécrit puis rebaptisé "Star Paws". Certaines images furent même diffusées dans les magazines, dès 1987.

Screen du jeu vidéo Attack of the Mutant Zombie   Flesh Eating Chickens from Mars de Matthew smith
Le fameux "Attack of the Mutant Zombie
Flesh Eating Chickens from Mars"
qui prend toute la place dans ma légende.
Les plus folles rumeurs courraient à son sujet, comme le fait qu'il aurait séjourné en hôpital psychiatrique car le succès l'avait usé, qu'il serait tombé dans la drogue après avoir engrangé beaucoup d'argent, ou encore qu'il se serait retiré pour aller rejoindre un coin reculé de la Hollande. Un site web "Où est passé Matthew Smith ?" a même vu le jour. La moindre petite info qui pointait le bout de son nez était écrite sur cette page via des mises à jour régulières. Les gens allaient de sa petite théorie ou affirmation: Certains déclaraient l'avoir aperçu dans un supermarché, tandis que d'autres avaient cru l'entendre à la radio. Il y a eu véritablement un mythe né autour de la disparition soudaine du bonhomme, faisant naître une aura mystérieuse autour du soft. Certains passionnés jouaient à Jet Set Willy tout en sachant que son créateur s'était mystérieusement volatilisé. Une des histoires les plus dingues relatait le fait que l'artiste n'avait peut être jamais existé et que Manic Miner avait été créé intégralement par un programme. Ces légendes urbaines persistèrent malgré les démentis. Pour tenter de faire taire ces rumeurs, le magazine Sinclair User publia même une interview du développeur en 1984. Mais le romantisme qui émanait de certaines de ces histoires occultait la vérité aux yeux de certains fans. Ces derniers désiraient croire en une fable d'extraordinaire qui planait autour de la conception de ces jeux. Et puis, mince, quoi ! Qu'est ce qu'il était advenu de ce type qui s'était volatilisé en plein success story ?

Page d'une pub pour les jeux Software Projects dont Jet Set Willy
Double page d'une publicité des logiciels Software Projects.

Puis, un beau jour, il réapparu de nouveau en 1999. Il déclara être parti effectivement en Hollande, dans les alentours de 1995. Il confirma qu'il avait multiplier les jobs, et qu'il avait notamment travaillé dans des usines de transformations alimentaires.
Lors d'interviews, il déclara se considérer comme étant quelqu'un d'assez simple. Ses jeux lui avaient rapporté un peu d'argent, mais il en avait réinjecté dans son studio. Le reste avait été dépensé assez rapidement. Il ne put rester en Hollande, car ses papiers n'étaient malheureusement plus en règle. Il fut donc contraint de revenir chez lui. Lorsqu'il revint au pays et qu'il regardait ce que les gens disaient de lui sur internet, il fut agréablement surpris de constater qu'il n'avait pas été oublié. Il signala son retour sur son site, afin de prévenir ses fans que son coeur battait toujours. Il fut stupéfait de toutes les rumeurs qui circulaient à son sujet. Quand même... Certaines d'entre elles supposaient qu'il était peut être mort ou qu'il avait rejoint une communauté de hippies.
De retour en Angleterre, il développa tout de même Scrabble sur Game Boy Color, ce qui fait qu'il n'a pas tout fait arrêté de développer des logiciels après la sortie de Jet Set Willy, comme on peut le lire régulièrement sur le net.

Ceci étant dit, ses dernières maigres contributions vidéoludiques laissent à croire qu'il a globalement tiré une croix sur le monde du jeu vidéo. Il continua néanmoins à venir dans les salons ou conférences auxquels il fut invité, comme dernièrement, au PLAY Expo Manchester, pour fêter les 35 ans de Jet Set Willy. Par ailleurs, un documentaire, du nom de Jet Set Willy 48k About a Legend et réalisé par Paolo Santagostino, a été présenté lors de cet événement.

Trailer du documentaire Jet Set Willy, 48k About a Legend


PLAY Expo Manchester avec Matthew Smith en conférence pour parler de Jet Set Willy.Son empreinte atypique a engendré moult suites et remakes. Tout d'abord, le fameux correctif délivré par Software Projects, lors de la sortie du jeu, avait ouvert une brèche aux pirates qui a ensuite permis des suites non officielles de voir le jour, ainsi que des éditeurs de niveaux, pour que vous ou moi puissions créer notre propre Jet Set Willy. Les joueurs désireux de prolonger l'expérience avait donc l'embarras du choix.
On a même eu droit à un remake paru sur PC et un homebrew sur Game Boy Color.

Ah ! Et mention spéciale à l'Amiga qui connut pas loin de 8 versions du jeu (dont plusieurs avaient été annulé, à l'instar du portage Atari ST). A ce sujet, le Jet Set Willy II Amiga était très différent de l'original, notamment au niveau de sa direction artistique. Celle-ci reprenait un peu plus la charte graphique "basique" de ce que proposait l'Amiga, avec des couleurs aux teintes marrons. Les décors, Willy ainsi que les créatures changeaient complètement de look. Exit également la progression par tableaux fixes. L'aventure Amiga allouait les services d'un bon gros scrolling des familles: La caméra suivait donc les pas du personnage.


Screen des homebrew ou fangame Jet Set Willy
Petite selection de suites non officielles. De gauche à droite: A Bulgarian Requiem, Jet Set Willy The Nightmare Edition et Jet Set Willy PC Remake.

Au revoir

Et voilà. L'article touche bientôt à sa fin. Je ne pensais pas qu'il serait si long que ça.  Mais je vous assure qu'il a été rédigé avec tout plein d'amour. J'imagine que vous avez remarqué à quel point ces jeux m'ont marqué. Hé oui. Cela dit, rétrospectivement, Jet Set Willy aura été le titre de la fascination et du malaise, mais aussi du gameplay simple conjugué à cette jouabilité incroyablement précise.
Manic Miner, lui, est un souvenir un peu plus ancien, nébuleux. Lorsque j'y repense, je me revois toujours jouer chez mon tonton. Ce sont des souvenirs tendres, bien entendu, mais mêlés à de la tristesse. En effet, mon oncle est mort, il y a quelques années. Il a été malheureusement emporté par la maladie. Les circonstances dans lesquelles j'ai appris la nouvelle ont été quelques peu... déconcertantes. Difficile de rentrer dans les détails de ces histoires familiales, car ça demanderait un sacré pavé, mais disons que j'ai appris son décès de la bouche de ma mère, lors d'un diner lambda, avec ma compagne, mon ex beau père et mon fils. Le tout au détour d'une assiette de riz un peu trop cuite. Il s'est éteint dans cette période où je ne parlais plus tellement à ma famille. Je me dis parfois que c'est con d'être au courant si tardivement, et de cette manière. Ce que j'ai trouvé un peu gênant, c'est que pendant quelques temps, après avoir appris la nouvelle, quelques membres de ma famille ont fait part de ma ressemblance physique avec lui, à tel point que ma mère m'appelle par son prénom, par moment...
Mon oncle me faisait jouer à ses jeux CPC, parfois en compagnie de mon cousin et ma cousine, parfois avec lui et d'autres fois il me laissait tout seul, jusqu'au moment où je le faisais chier pour qu'il change de disquette. Je ne sais même pas si c'est lui qui m'a fait jouer aux jeux vidéo pour la première fois. Il fut en tout cas une des premières personne, ça c'est certain. Il a vraisemblablement été la première impulsion qui anima la première germe de ma passion pour ce média. Mes soeurs ont ensuite continué à alimenter cette flamme.
En tout cas, lorsqu'on a eu Jet Set Willy, je me souviens que je m'exclamais parfois en me disant "C'est comme le jeu de tonton !". Hé oui...
Ces souvenirs forts que j'entretiens avec Manic Miner, Jet Set Willy (par ricochet) et mon oncle, qui fut également mon parrain, sont remplis d'ambivalence faite de moments calmes, de parenthèses, mais aussi de tristesse car cette personne, ce membre de ma famille n'existe plus. Je n'étais même pas spécialement proche de lui, mais ces doux moments ont bien existé...

Pour finir sur une note plus joyeuse, je vous partage cette petite chanson hommage à Jet Set Willy, composée par le groupe The British IBM.
Ahlala... J'imagine tellement les détracteurs de jeux vidéo lâchés un "n'importe quoi..." en ne comprenant pas pourquoi des gens puissent composer une chanson dédiée à un jeu vidéo, vieux et rudimentaire, qui plus est. Je me délecte rien qu'en imaginant leur tronche dépité.
En même temps, ça voudrait aussi dire que ces personnes seraient tombées sur ce texte et auraient potentiellement lu l'article en entier. Improbable.



Moggy


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