La difficulté dans les jeux vidéo


Ces derniers temps, les réseaux sociaux sont animés par le retour du désormais débat récurrent sur la difficulté dans les jeux vidéo, et plus précisément sur la pertinence ou non d'apporter un mode "facile" pour les productions ardues qui n'en proposent pas. J'ai pas mal discuté ces derniers jours avec diverses personnes, et je dois avouer que je suis étonné de trouver autant de joueurs récalcitrants à l'idée d'inclure de tels modes d'accessibilité. Ce nouvel article s'apparentera donc plus à un billet d'humeur car j'avais vraiment envie de t'en toucher deux mots. 

"De mon temps, on avait une orange à Noël !"

Cauldron, un des (très nombreux) titres micros réputé pour sa haute difficulté.

Depuis la nuit des temps, la difficulté est inscrite dans l'ADN du média. Dans les années 80/90, on ne dénombre plus les titres extrêmement difficiles qui pullulaient sur consoles et micro-ordinateurs. A cette époque d'une extrême vacherie, les jeux qu'on ne terminait pas représentaient l'écrasante majorité. Personnellement, la cause principale résidait dans le côté rugueux et ardu des expériences proposées. En second venait les softs sur lesquels je bloquais pour cause d'objectifs manquant de clarté. Et pour cause, la plupart des titres étaient développés par des jeunes programmeurs, certes talentueux, mais inexpérimentés. Mais surtout, la grammaire du jeu vidéo était totalement à défricher: En résultait des productions qui ont été confectionné par tâtonnements et, en grosse partie, à l'aveugle. Tout n'était encore qu'expérimentations. Bien sûr, bon nombre de titres, aux velléités cyniques, n'avaient pour but que de vendre un max d'exemplaires en se reposant exclusivement sur des succès sortis dans les salles d'arcade. Mais si on met de côté ces clones, énormément de logiciels ont vu le jour grâce à la fougue et à la passion d'une seule, voir deux ou trois personnes. Et ils devaient tous endosser une multitude de casquettes, devenant tour à tour designers, graphistes, level designers et game designers. Les jeux étaient difficiles, mais ce n'était pas nécessairement la conséquence d'une quelconque lubie de vision d'auteur. En général, ils édifiaient leurs délires, puis demandaient à leurs potes ou bien à leur petit frère ou petite soeur de tester leurs créations. Aucune pelleté de testeurs n'étaient présents pour mettre en lumière l'aberrante difficulté des softs, ni sur la mauvaise compréhension de leur game design. Et même dans de plus grosses structures, les employés qui essayaient les diverses créations des uns et des autres ne savaient pas toujours quoi en penser. Des programmeurs comme Matthew Smith, géniteur de Manic Miner et Jet Set Willy, se retrouvaient donc seuls aux commandes de leur création.
Bien évidemment, les enfants étaient le public ciblé (ainsi que les geeks) et, à cette époque, nous n'avions pas un esprit critique aussi développé qu'aujourd'hui. Nous avons eu le temps désormais de digérer plusieurs décennies de codes vidéoludiques qui n'ont cessé de muter avec le temps, via la multitude d'expérimentations qui ont vu naitre des genres se développer dans l'industrie, germant au gré des avancées technologiques. Mais lorsqu'on lance des titres parus sur Amstrad CPC, Commodore 64 ou ZX Spectrum, il faut reconnaître que, passé l'aspect rudimentaire des softs (que je continue de chérir de tout mon coeur), on se retrouve vite découragé par tant de difficulté, parfois induite par des contrôles peu instinctifs. 

Pour l'anecdote, lorsque, plus jeune, je me suis aventuré dans la création à travers les éditeurs de niveaux, inclus dans certains titres, j'avais tendance à engendrer des tableaux affreusement cotons. Par exemple, je me souviens des zones que j'avais créé dans Tenchu 2, que je m'empressais de mettre entre les mains de mes copains: Ils trouvaient tous ça abusivement difficile. Mon esprit de débutant en game design en herbe était encore trop immature, et j'avais tendance à toujours vouloir rajouter moult ennemis et pièges ici et là. Mon enthousiasme en faisait trop. Résultat: mes niveaux étaient tellement horribles à parcourir que même moi je galérais dessus.

Ghosts'n Goblins de Capcom, un jeu d'arcade réputé pour son incroyable difficulté.


En parallèle de ces titres de salon cohabitaient les jeux d'arcade, alias les gouffres à pièces pour les joueurs désireux de se dépasser. Le challenge distillé dans cette catégorie de softs me paraissaient plus délibéré. J'entends par là que la courbe de difficulté tendait plus vers le bas, via un premier niveau plus ou moins accessible, avant de grimper drastiquement dans les zones suivantes, créant une frustration chez les joueurs, les incitant à payer de nouveau pour tenter d'aller plus loin, et ainsi se surpasser. Le plaisir de voir son nom inscrit dans les high score, à la vue de tous, était également une source supplémentaire de motivation. Ce modèle économique rapportait une certaine rentabilité aux éditeurs. Sur la génération 8 et 16 bit, on a vu énormément de portages de succès d'arcade atterrir dans les salons, conservant parfois leurs impitoyables atours. Par ailleurs, les autres titres originaux, développés spécifiquement sur consoles, conservaient un challenge relevé pour ne pas léser les joueurs ayant payé cher leur cartouche. En effet, en ligne droite, la plupart des hits de l'époque se terminaient entre 30 minutes et 2h en moyenne, et sans moyen de sauvegarder (si on écarte les RPG et autres jeux d'aventure). L'équipe de développement pimentait donc leurs programmes afin de contraindre les joueurs de multiplier les sessions de jeu, rallongeant artificiellement la durée de vie des premiers runs. En d'autres termes, c'était un bon moyen pour masquer le contenu parfois famélique des softs.
Réaliser des jeux difficiles étaient donc une norme. Les développeurs ne conscientisaient pas forcément le fait que seul une infime partie de leurs joueurs parvenaient à voir la conclusion de leurs oeuvres. Et ce n'était pas grave. On ne se questionnait pas autant auparavant. Tout était donc nouveau.

Castle of Illusion (1990) sur Sega Megadrive proposait un mode easy vraiment TRES easy: Le nombre de niveaux chutait et le reste à parcourir était d'un simplicité enfantine.


En définitif, lorsque j'étais enfant et que je trouvais un jeu intraitable, j'étais frustré, voir rebuté, mais j'aimais revenir dessus. Après, j'exerçais déjà un fascination pour tous ces bip-bip un peu bruyants. Force est de constater que, même à cette époque, des enfants de mon âge jetaient l'éponge plus vite que moi. Non pas parce qu'ils étaient foncièrement mauvais, mais tout simplement parce que ça ne les intéressait pas de réessayer 50 fois le même passage. Parce que, oui, il fallait avoir une patience d'acier (et pas avoir autre chose à foutre aussi) pour parvenir à atteindre les niveaux supérieurs de ces softs.
Et pourtant, très vite, des développeurs ont pensé à mettre à disposition différents modes de difficulté, notamment durant l'ère 16 bit où bon nombre de titres, notamment sur consoles (Megadrive et Super Nes en tête), offraient le choix de paramétrer la difficulté au travers de ce qui allait devenir les traditionnels mode "easy", "normal" et "hard". Certains softs proposaient même des options supplémentaires comme "very easy" et "very hard". Certains concepteurs avaient déjà à l'esprit le fait de rendre accessible leurs jeux à un large public (pourtant pas très large, en ce temps là).

X-Files S3X03 (D.P.O.): Mulder est impressionné par les prouesses de Darin Oswald, un ado paratonnerre et perturbé, sur la borne Virtua Fighter (sous le regard de Scully et Jack Black).

Sois dur et tais-toi !


Les années passèrent et l'univers du média n'a cessé de croitre en popularité, en plus de subir une multitude de bouleversements technologiques ayant eu pour conséquence d'exciter l'imagination des créateurs: L'apparition de la 3D a donné des idées et de nouvelles envies à tout un tas de développeurs. De l'ère Playstation jusqu'à aujourd'hui, on a vu naitre un large éventail de choix pour tous les goûts et tous les public; la DS et la Wii ayant explosé une nouvelle barrière en ouvrant la voie à ce que les core gamers et journalistes ont appelé les "jeux casus", pendant un temps: Des titres très accessibles pour la mamie calfeutrée dans sa maison de retraite ou encore le papa pressé qui critiquaient les "poketmécon" qu'il méprisait, durant de si longues années. Et ajoutons à cela le marché des indépendants qui n'a cessé de rayonner depuis la fin des années 2000,  parallèlement à celui des téléphones portables qui a pris une place de plus en plus prépondérante.
Dans tout ce vivier réside donc des titres très accessibles qui vont des party games aux expériences nettement plus narratives. Au final, le média s'adresse désormais à tous types de joueurs.
Pourtant, plusieurs hits très ardus ont mis sur le tapis le débat sur la légitimité ou non de proposer un mode "facile" pour que ces derniers puissent être joués par le plus grand nombre. Dernièrement, c'est la sortie de Returnal sur Playstation 5 qui a ravivé la flamme. L'équipe d'Housemarque a pondu un soft d'action d'une difficulté sans concession. Aucune option ne permet d'adoucir l'aventure. Il y a quelques temps, c'était l'absence de mode "easy" dans l'indomptable Sekiro qui a lancé le débat sur l'accessibilité dans le jeu vidéo. D'un côté se trouvent les joueurs qui ne veulent pas entendre parler d'un mode facile pour Sekiro ou Returnal. Ceux là estiment que proposer de telles options facilitant la progression serait trahir "la vision d'auteur". De l'autre côté résident les défenseurs d'un média plus inclusif, même dans les softs réputés hardcore, histoire qu'un plus grand nombre puisse profiter plus aisément de ces titres coriaces. Je me situe clairement dans la seconde catégorie. Personnellement, j'aime les jeux exigeants tout autant que les expériences dénuées de réel challenge.


Si je suis revenu succinctement sur la difficulté dans les jeux d'antan, c'est parce que bon nombre des "anti-mode facile" brandissent parfois l'argument des anciennes gloires comme une excuse valable pour ne pas faciliter la tâche des joueurs désireux de tenter des aventures usuellement taillées pour les joueurs "experts". Ce que j'ai écrit plus haut invalide en partie l'excuse du "oui mais c'était dur avant" car beaucoup de softs étaient délicats à traverser, oui, mais pas forcément pour de bonnes raisons. Ou alors, lorsqu'elles l'étaient, c'était davantage pour répondre à un modèle économique très spécifique (jeux d'arcades).
De plus, comme susmentionné, beaucoup de titres 16 bit laissaient la liberté aux joueurs de paramétrer leur niveau de difficulté. Pourquoi est-ce qu'inclure un tel mode dans Returnal ou Sekiro deviendrait-il subitement une atteinte à une quelconque vision d'auteur ?
Pareillement, je n'ai pas l'impression que les joueurs criaient au scandale lorsque des cheat codes parsemaient les pages des magazines d'époque (sans parler des heureux possesseurs d'action replay qui "cassaient" les logiciels). Pour autant, effectivement, avoir un code allouant la possibilité d'être invulnérable ou un autre qui nous octroyait le choix des niveaux transformaient littéralement le game design, et donc l'expérience voulue initialement par les développeurs.. 
Qu'un jeu abrite en son sein de tels codes cachés ou différents modes d'accessibilité directement dans les options ne retirait en rien ses qualités intrinsèques, puisque, de toute façon, les joueurs aguerris ont toujours eu accès à leurs modes "normal", "hardest", voir "cauchemardesque". En clair, on ne leur a jamais rien extirpé. On rajoute seulement un choix supplémentaire à l'attention de joueurs qui ne veulent pas jouer exactement comme eux.
Il n'y a pas eu non plus de levées de boucliers lorsque Ninja Gaiden II est sorti avec un mode qui adoucissait un peu l'aspect intransigeant de l'aventure. Pourtant, la premier opus de la Team Ninja était réputé pour sa difficulté légendaire.

Ninja Gaiden II

J'estime qu'il n'y a pas de mal à s'adresser autant aux joueurs occasionnels qu'aux joueurs confirmés. Et on a eu une pelleté de sagas qui ont fait ce choix, à l'instar de Halo, Gears of War, God War ou encore The Last of Us. Ce dernier exemple met également en lumière le fait que beaucoup de productions (les AAA notamment) mettent l'accent sur l'histoire, sur un voyage. Il n'est pas honteux de juste vouloir flâner dans ces mondes virtuels sans se sentir oppresser par des objectifs compliqués à finaliser. Les jeux n'ont plus besoin de nous tenter de rajouter des pièces dans une fente pour ravir nos instincts de scorers. Une grosse partie des jeux sont devenus des objets très complexes, que l'on peut apprécier de différentes manières. 
Le designer Mike Lopez expliqua sur Gamasutra.com que la difficulté n'était qu'un des éléments constitutifs d'un game design, et qu'il y en avait d'autres à bien structurer et gérer pour fournir une expérience convaincante aux utilisateurs. D'autres designers ont démontré que le challenge peut être renouveler sans forcément convier la difficulté.
Il arrive que des joueurs préfèrent commencer en mode facile, pour leur premier run, avant de rejouer dans les niveaux les plus élevés lorsqu'ils se sentiront plus à l'aise.
De surcroit, les gens qui s'opposent à cette idée d'inclure des modes easy sur les oeuvres exigeantes ne se rendent pas compte que, pour des joueurs occasionnels, réduire la difficulté ne va pas subitement transformer ces expériences en balade touristique (et quand bien même ce serait le cas, on s'en fout, non ?): Un joueur moins doué pourra tout de même galérer à progresser dans ces réajustements "amicaux".

Bien évidemment, je suis pour l'intégration de mode facile, lorsque cela est possible. Néanmoins, il ne faudrait pas que cela devienne obligatoire; que ce soit imposé sous la contrainte. Je comprends parfaitement que de petits studios n'aient pas les ressources nécessaires pour inclure une telle option.

La série Bayonetta inclut également plusieurs modes de difficulté, ne se cantonnant pas à un public traditionnel de core gamers. 


La vision d'auteur

"La darksoulisation du feu de camp !"


Comme nous venons de le voir, les modes de difficulté ont accompagné le média depuis des décennies, alors pourquoi est-ce qu'inclure ce genre de mode devient soudainement une entrave à la "vision d'auteur".
Effectivement, après avoir discuter sur Twitter avec des détracteurs de modes accessibles, l'argument numéro un qui popait sans cesse est que ces options dénatureraient l'expérience voulue par les créateurs. Que cela trahirait donc la vision des auteurs. Pourquoi ? Pourquoi cette question taraude autant les esprits aujourd'hui ?
Je me suis demandé si il n'y avait plus consensus depuis l'avènement de Dark Souls, ce fameux jeu de From Software qui a su remettre en avant une certaine science du gameplay rugueux et sans concession. La série des Souls (en incluant bien évidemment Demon's Souls, Bloodborne et Sekiro) sont l'oeuvre d'un certain Hidetaka Miyazaki, anciennement simple développeur du studio sur la série Armored Core, avant qu'il ne  réalise Demon's Souls, puis Dark Souls, qui ont propulsé le monsieur tout en haut de la hiérarchie de sa boite, tout en devenant un des artistes les plus influents du milieu. Depuis 2011, on ne compte plus la quantité de titres (particulièrement chez les indés) qui rendent hommage à cette saga, en instaurant un gameplay ardu. Les souls sont des jeux qui se "méritent". Ils ne sont pas sadiques, mais ils donnent la satisfaction aux joueurs d'assimiler par eux même la meilleure manière de franchir un obstacle, un ennemi ou un boss. Les aventuriers qui osent se plonger dans ces décors macabres et gothiques avancent avec parcimonie, leurs sens en éveil, et apprennent à se dépasser. Des jeux compliqués mais pas injustes en somme. Dark Souls érige l'échec en pilier central du game design. "La série rend les joueurs meilleurs" comme le décrivent si bien les aficionados de la saga. La joie ressentie au moment d'enfin réussir à appréhender les patterns d'un boss, qui nous paraissaient impossible auparavant, est hautement gratifiant. D'ailleurs, Miyazaki déclarait lui même que les Souls étaient difficiles, mais il encourageait les joueurs à ne pas abandonner pour autant. Que persévérer fera vivre une aventure unique à ceux qui s'accrocheront.
Je comprends donc parfaitement les sensations offertes par cette philosophie de jeu, au même titre que je suis tout autant réceptif par la dureté des Ninja Gaiden.
Mais je suis aussi conscient que d'autres gens n'ont peut être pas envie de jouer comme moi. Si les développeurs ont le temps et les ressources pour inclure un mode réduisant, même légèrement, la difficulté d'un Souls ou d'un Cuphead, je dis banco !
Quand cela est possible, le jeu vidéo gagnerait à laisser le choix.

Cuphead

En évoquant Cuphead juste au-dessus, j'avais à l'esprit que le débat sur la difficulté avait déjà été abordé à la sortie du jeu, avec le même son de cloche chez les allergiques des modes faciles, suivie de la même rengaine sur la préservation de la vision d'auteur. Oui, sauf que les développeurs avaient eux même confié qu'ils auraient aimé intégrer un mode facile, mais que le développement de leur shoot'em up les avaient éreinté. 
D'autres indés ont reconnu qu'ils auraient apprécié élargir leur public, mais qu'ils n'ont pas eu le temps, ni l'armada de personnels apte à décortiquer leurs oeuvres. Headbang Club confessa que l'équilibrage de leur Double Kick Heroes avait été compliqué et que, lors des différentes présentations du jeu dans divers évènements, ils furent étonné du fossé entre les joueurs.
D'autres indépendants n'ont pas hésité à trancher, à l'instar du créateur de Furi, ce boss fight intransigeant, en introduisant une option "promenade" à sa sortie, puis un mode "invincible" paru ultérieurement. Idem, ça n'a pas gueulé tant que ça: les férus de challenge ont tout de même pu s'adonner au jeu tel qu'il a été originellement pensé, de même que certains ont pu faire des speedruns sur Youtube et Twitch. Finalement, tout le monde s'est retrouvé.
Dans le même ordre d'idée, peu avant la sortie officielle de son soft, Maddy Thorson, développeur.euse de Celeste, avait déclaré sur Twitter que, lors de la conception, la difficulté avait été essentiel à l'histoire. Malgré ces déclarations, son platformer montagnard inclut un grand nombre de paramètres dans les options visant à réduire considérablement la difficulté du périple de Madeline, l'héroine de l'aventure. Une démarche non-excluante salutaire, en somme.
Pour finir là-dessus, Cory Barlog, le réalisateur de God of War PS4, tranche en faveur des modes d'accessibilité, en plus d'affirmer que ces ajouts ne détournent en rien la vision artistique de son travail.
En fin de compte, peut être que ce qui cristallise les polémiques est ce contexte précis dans lequel un jeu exigeant sort sans aucun paramètre pour alléger la difficulté. C'est le rajout ultérieur qui fait grincer des dents. C'est peut être juste ça le problème...

Celeste

En outre, inconsciemment ou consciemment, le joueur élitiste ressent peut être le besoin d'appartenir à une caste de ceux qui ont le droit de voir "la lumière" au delà de la porte interdite. Un noyau dur qui se complait dans sa supposée légitimité d'être entre comparses ayant triomphé de l'adversité; les seul(e)s à avoir le droit de profiter de la direction artistique du niveau suivant. Parce que, oui, si on parle de jeu vidéo comme d'un art, il est tout de même dommage d'être un art aussi excluant.
Le joueur ou la joueuse qui a acheté son jeu au prix fort n'aurait-iel jamais le droit de profiter de tout le travail d'orfèvre concocté par les graphistes ou animateur ? Ou doit-iel impérativement se coltiner le travail du game designer ? C'est un vaste débat, je trouve...

Pour terminer sur cette histoire de "vision d'auteur", j'ai l'impression que ça ne touche les joueurs que lorsqu'on s'attaque à la difficulté. Je n'entends pas cet argument lorsque des développeurs sortent un DLC (comme pour Ninja Gaiden par exemple) dévoilant un nouveau personnage qui se manie totalement différemment, et qui n'a pas toujours été étudié pour s'harmoniser avec le gameplay et le level design du jeu original.
En outre, si on suit le raisonnement du mode "easy" qui dénaturerait la vision de l'auteur, il faudrait également songer à éliminer les modes "difficile" qui rajoutent parfois artificiellement des embûches ou des malus dans l'expérience d'origine.
Et quid des ajouts rigolos qui peuvent altérer la sacro-sainte vision d'auteur, à l'instar du filtre en noir et blanc de L.A Noire, par exemple.
Je ne m'épancherai même pas sur tous ces mods graphiques et de ceux altérant le gameplay des jeux tels qu'ils ont été conçus par les studios ?

L.A Noire et son filtre noir & blanc.


Un débat difficile et sans cheat code


En sus, je trouve cela dommage que cette polémique éclot quelques mois après qu'on ait salué l'équipe de Naughty Dog pour avoir misé sur le tout inclusif, en bardant son The Last of Us II d'une multitude d'options à la carte, à destination notamment des personnes handicapées, pour que le plus de joueurs puissent profiter de l'aventure via un surplus de confort non négligeable. Bien entendu, pas mal de ces paramètres simplifient grandement l'expérience. Ils peuvent tout à fait remplacer les sempiternels différents modes de difficulté. Ces derniers peuvent évoluer et muter pour être transformé en ce que proposent Céleste ou The Last of Us 2. En définitif, il n'y a pas qu'une seule manière d'aborder l'accessibilité dans un jeu.
"Oui mais monsieur, c'est pas pareil ! The Last of Us mise à fond sur son aspect narratif, alors que mon Dark Souls, c'est vraiment une philosophie de jeu différente". Je répondrais que ce n'est pas aux joueurs de trancher sur cette question, mais aux développeurs de peser le pour et le contre.

Un autre argument excluant qui me me chiffonne également est celui affirmant en gros que "ces jeux là sont à nous, et qu'il y a d'autres jeux pour les autres". Je me doute bien que ceux qui balancent ça n'ont pas forcément le coeur rempli de mépris, mais je ne peux m'empêcher de trouver ça regrettable, encore une fois, que des gens qui tomberaient sous le charme d'une DA, par exemple, soient trop intimidés et refouleraient donc leurs envies justement à cause de l'aspect impitoyable d'un soft.
Et puis, parfois, juste savoir qu'un mode facile existe dans les menus, ça peut rassurer.
Evidemment, je mets un bémol tout de même: Il ne faudrait pas non plus que les joueurs exigent d'avoir ce genre de bouée de secours. Je ne voudrais pas non plus qu'on retombe dans ce travers qui m'exaspère depuis plusieurs années, à savoir les joueurs pourris-gâtés qui font signer des pétitions pour n'importe quoi. J'insiste donc encore une fois que c'est aux créatifs de décider si ils veulent/peuvent rajouter des options d'accessibilité ou non.

Menu des "commandes alternatives" de The Last of Us II

D'ailleurs, en parlant de développeurs, j'ai pu discuter un peu de tout ça avec des connaissances/amis développeurs. La plupart sont plutôt ouverts pour l'intégration de telles options, et aucun ne se sentirait atteint dans leur vision d'auteur. Il y en a même un qui compte justement refourguer un mode facile à son Rogue lite. Certains semblent également un peu gêné de la toxicité masculiniste qui se dégage de certaines discussions.
Bien entendu, tous n'ont pas d'avis tranchés et s'interrogent encore, et parmi les milliards de développeurs dans le monde, il y a des avis divergeants sur le sujet. Et effectivement, le débat reste intéressant en soi. Cela permet de faire le point sur ce qu'il faudrait faire pour que le média évolue sereinement.
A noter également que les développeurs sont aussi préoccupés par le fait que la plupart des joueurs ne terminent jamais leurs jeux. Bien entendu, on pourrait pointer du doigt la propension des open worlds à être très longs, mais la trop grande difficulté de certaines productions sont aussi à mettre en cause. Il suffit de voir la liste des trophées des titres pour s'en convaincre...
Il n'y a donc qu'une minorité de joueurs qui voient la seconde partie des jeux, et un plus petit pourcentage encore qui arrive à la conclusion. Toutes ces raisons peuvent contrarier les créateurs et les motiver à tendre vers plus d'inclusivité dans leurs oeuvres, pour qu'un maximum puisse admirer toutes les jolies choses que les graphistes, level designers, game designers et autres compositeurs ont réalisé. En définitif, laissons les magiciens du jeu vidéo décider si ils optent pour incorporer de telles options, puis laissons les joueurs libre de les activer ou pas.

J'ignore de la pertinence du pavé que je viens de pondre, mais cette question m'aura permis de rédiger tout ce texte qui me tenait à coeur. Et désolé si tout ne semble pas aussi structuré que les articles habituelles. J'espère que la lecture aura été agréable. Je te fais un bisou et on se retrouve bientôt ? 

Moggy




Commentaires

  1. Concernant la série des DarkSoul, je me rappelle que les développeurs voulaient lancer un défi au joueur et que mécaniquement, il fallait que ce soit dur : C'est rare dans un jeu où il faut rester prudent après des dizaines d'heures de jeu, même face aux premiers ennemis.

    Dans la série des Etrian Odyssey, on progresse petit à petit dans l'exploration de la forêt parce que si on brûle les étapes, on risque de se faire bouffer par un Chevreuil
    (https://www.youtube.com/watch?v=dB_PVPyn6n8)
    On s'habitue à la "zone de confort" avant de pousser l'exploration. Si le jeu était plus facile, on se contenterait de galoper vers le fond, tabasser le boss et FIN. Il n'y aurait pas le côté "préparation" qui serait nécessaire quand on explore un terrain inconnu de toute civilisation.

    Enfin voilà, y'a des jeux qui ne devraient pas baisser la difficulté si l'élément principal du jeu est le danger (le premier Resident Evil était flipant parce que Leon se baladait qu'avec 3 balles dans son pistolet. Dans RE5, il a +80 cartouches de fusil à pompe)


    Après, il y a des jeux où un mode "automatique" a été rajouté. Je pense par exemple au New Super Mario Bros WiiU : Le jeu de base est plutôt facile et il est très généreux avec les vies. On vient à se demander pourquoi avoir ajouté un option qui skip carrément le niveau. La difficulté est censé progresser de manière linéaire, si je ne suis pas fichu de finir le niveau2, qu'en serait-il du niveau 3,4,5...etc ?
    Je veux bien de l'assistance sur des commandes compliqués : Le mode facile de Bayonetta permet de lancer des combos de fous rien qu'avec le bouton A. Dans certains jeux de course, on indique la trajectoire idéal et quand freiner, et parfois même, ça freine tout seul !

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    1. Dans mon texte, j'explique qu'un jeu peut avoir un mode facile qui ne te permet forcément de "rouler sur le jeu". ^^
      Et pour Resident Evil, Jill représentait le mode facile du jeu. Et ça l'était mais juste légèrement.
      Du coup, je ne comprends vraiment pas pourquoi tous les jeux ne pourraient pas avoir de mode facile ? Et pourquoi ça pose problème aujourd'hui ?
      Les modes de difficulté intermédiaires et difficiles sont toujours là. Moi quand je joue à un jeu, j'évite le mode easy mais ça me concerne moi.
      De toute façon, easy ou pas, on vit dans un monde où on peut tout voir en stream ou sur Youtube, donc pourquoi ne pas mettre différents modes d'accessibilité dans un max de jeux ?
      Les challengers peuvent toujours kiffer sur des jeux durs donc où réside le problème ?

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  2. Voilà un article bien documenté et très intéressant. C'est vrai que les Souls sont un exemple compliqué car, si j'ai bien compris, les jeux sont pensés pour opposer de la résistance. Mais en même temps, c'est bien cela qui fait que je n'y toucherai sans doute jamais. Sans surprise, je suis aussi plutôt partisane de laisser le choix de la difficulté aux joueurs. Certes, j'ai fait The Last of Us en difficile, mais je n'y serais sans doute jamais arrivée si je n'avais pas fait le jeu en facile ou normal, avant. On a bien le droit de vouloir savourer l'histoire sans être confrontés à une barrière toutes les 10 min^^ En plus, le système de trophées permet souvent de récompenser les joueurs qui osent un niveau de difficulté supplémentaire, donc il n'y a vraiment pas de raison de chouiner. Après comme tu dis, la question de céder à tous les caprices des joueurs est un autre problème. Que penses-tu du tweet qui est passé sur le fait que Resident VIII est moins effrayant car le VII avait été jugé trop terrifiant ? Au plaisir de te relire.

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    1. Oh coucou vous ! ^^
      Je suis très content que cet article t'ait plu ! ça fait plaisir. :)

      Et oui Dark Souls remet sur le devant un certain type de difficulté qui récompense vraiment le "dépassement de soi" qui incite le joueur à apprendre du jeu. Donc oui, ils opposent de la résistance, dans un sens.

      Et oui, comme tu dis, il y a des joueurs qui apprécient rejouer aux jeux dans tous les modes de difficulté (y compris le mode easy). Moi j'aime bien faire ça parfois. ^^
      Et oui, tu as raison sur les trophées. Je ne crois pas que j'aborde ça dans le texte mais, oui, il y a des succès spécifiques qui récompensent les joueurs chevronnés. Donc tout le monde s'y retrouve encore plus, finalement. Non je pense que ces joueurs qui gueulent ont l'impression qu'on leur retire un truc "bien à eux". C'est vraiment une manière de pensée élitiste.
      Et effectivement, je ne demande pas à ce que TOUS les devs proposent un mode facile.

      Ah ouais le tweet sur Capcom qui voulait adoucir la peur dans REVIII. J'ai trouvé ça un peu triste comme déclaration, mais ça fait malheureusement partie des tares de Capcom sur Resident Evil: Ils veulent que ça se vendent un max, mais en même temps, ils veulent contenter tout le monde: Les fans hardcore qui veulent de la survie et de la frayeur pure + ceux qui ont connu la série depuis l'orientation nettement plus action des volets post-RE4. Et ça donne des espèce d'épisodes qui bouffent à tous les râteliers comme RE6 ou alors des trucs cools mais difformes comme RE7 (et apparemment encore plus le VIII) qui commence d'une manière (effrayante et intrigante) pour ensuite revenir dans un carcan plus action et un peu fadasse. ça donne des jeux un peu étrange dans leur DA. C'est dommage. :(

      Et merci encore pour ton commentaire. C'est toujours cool ! ^^

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  3. Sincèrement cet article m'a fait un bien fou (et en plus j'ai appris plein de choses, c'est génial). Je me retrouve beaucoup dans ton point de vue sur cette volonté d'ajouter de l'accessibilité dans les jeux. J'ai vraiment du mal à comprendre ceux qui refusent catégoriquement tout ajout d'un mode facile ou autres éléments pouvant permettre à plus de monde d'accéder à un jeu. C'est comme si on obligeait tout le monde à rouler en velo sans utiliser de petites roues stabilisatrices pour commencer. Et ça revient très vite autour des Souls avec des arguments comme si tu veux voir le lore, mate des vidéos ou c'est la difficulté qui fait le jeu. From Software a apporté quelques éléments d'accessibilité comme la co-op, les esprits dans Elden Ring et j'espère que le studio va continuer en ce sens. Hades a apporté, lui, un mode qui te permet de mieux encaisser les dégâts, et j'ai vraiment eu cette sensation de petite bouée de sauvetage présente pour m'aider le temps d'apprendre à flotter.

    Je pense clairement qu'on peut rendre plus accessible les titres sans les dénaturer. Comme tu le dis, les jeux peuvent être abordés de diverses manières : là où quelqu'un recherche le challenge (finir en haute difficulté, le plus rapidement possible) d'autres veulent s'imprégner d'un univers. Tout comme un film peut être perçu sur le plan purement technique par certains, tandis que d'autres s'intéresseront d'abord au récit ou aux personnages.

    Il faut espérer que les mentalités évoluent mais y a encore du chemin. Je sais désormais que je vais éviter ce sujet comme la peste sur les réseaux sociaux. C'est bien trop éreintant...

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    1. Hé bien ! Je suis vraiment content que cet article t'ait fait un bin fou. Vraiment ! ça fait plaisir. :)
      Pareil. Je ne comprends pas ceux qui refusent cet accessibilité. Comme décrit dans ce texte, je trouve les arguments toujours bancals et aucun d'entre eux ne m'ont interpellé et/ou m'ont fait dire "Aaahh oui. Je ne voyais pas ça comme ça". Il n'y a aucune raison valable de ne pas inclure plus d'accessibilité, lorsque c'est possible.

      Et moi aussi j'aimerais bien éviter ce débat, mais il revient désormais régulièrement dès qu'un From Software sort ou n'importe quel jeu réputé pour sa difficulté. Après, je dis que j'évite, mais je suis un peu tombé dedans dernièrement, lorsqu'Elden Ring, malgré lui, a relancé le truc. :p

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