Tomb Raider II, le retour d'une star pressée
Tu te souviens lorsque j'ai écrit un article sur le premier Tomb Raider ? Hé bien, je savais dans ma petite tête que j'écrirai un texte sur le second. Hé oui ! C'est fou ça !
Lors de sa sortie en 1997, sur PC et Playstation, Lara Croft est devenue une superstar, et sa seconde aventure confirme son insolent succès, en plus d'ouvrir la brèche à l'annualisation de la série, entraînant moult conséquences...
Lara Spot
Couverture The Face de juin 1997 |
Suite au succès phénoménal de Tomb Raider, Core Design, le studio anglais qui a développé le jeu, est bien décidé à remettre les mains dans le cambouis afin de concevoir une suite pour l'année suivante. Entre temps, Lara Croft, principale protagoniste de la première aventure, est devenue une star mondiale. Et fait assez rare: elle trône même fièrement dans les pages de la presse généraliste, voir carrément sur les couvertures des magazines. Cette visibilité perdurera au delà de la sortie du second volet: on se souvient de cette campagne de publicité pour Seat Ibiza mettant en scène le perso de Core Design, mais aussi de l'apparition de la star virtuelle à un concert de U2. Cette couverture médiatique est pour ainsi dire quasiment inédite pour un personnage vidéoludique. Au milieu des années 90, avoir une héroïne de jeu vidéo est encore relativement rare, si on excepte quelques noms comme Phantasy Star, Valis ou Metroid, et si on écarte les créatures cheloues et autres animaux anthropomorphes. Cette rareté provient du fait que pas mal de producteurs du secteur supposaient que jouer une femme ne plairait pas à son public cible: à savoir les jeunes garçons. Cette réticence a la peau dure puisque, encore actuellement, certains costards-cravates sont convaincus du bien fondé de cette affirmation, malgré l'énorme mutation de ce marché qui a vu son audience s'élargir considérablement.
Lara arrive donc à un moment charnière du média: celle de l'explosion de la 3D qui donne le tournis aux développeurs ne sachant pas encore quoi faire de tous ces polygones. Avec cette nouvelle dimension allouée à ce jeune média, on voit débarquer des jeux avec un nouveau ton, ou bien le prolongement de certains types de jeux qui en est qu'à leurs balbutiements. C'est par exemple le cas des survival horror qui ont commencé timidement leur carrière avec Alone In The Dark ou encore Clock Tower, avant l'arrivée du monstre Resident Evil; mais aussi les FPS qui peuvent enfin s'épanouir dans des aires totalement tridimensionnelles.
Publicités de Seat Ibiza (sorties bien après Tomb Raider II) mettant en scène Lara Croft:
Durant cette période, Tomb Raider s'érige comme un jeu d'un genre nouveau, à la croisée des chemins entre plateforme, exploration et action, dans lequel le joueur découvre des grottes et des temples enfouis dans les tréfonds de la Terre, gardés par des animaux belliqueux (qui laissent leur place à des créatures fantastiques dans le dernier tiers de l'histoire). Notre avatar n'est autre qu'une riche archéologue britannique, adepte d'aventures, qui ne se soucie guère de la survie des espèces en voie d'extinction, surtout celles osant se dresser devant elle. Je ne vais nullement m'éterniser sur le premier épisode, puisque j'ai déjà écrit des tartines dessus dans un précédent article, mais je pense qu'il est important de revenir sur l'aspect quelque peu singulier du jeu d'Eidos Interactive..
Comme susmentionné, cette héroïne a été largement mis en avant durant l'année 97, à tel point que même ma mère connaissait un peu le nom de Lara Croft. En effet, vérifier si ses parents profanes connaissent un personnage, dont vous ne leur aviez jamais mentionné l'existence, est un bon indicateur pour savoir si ce dernier dépasse les frontières du microcosme vidéoludique. Le problème est que la presse, même parfois spécialisée, préfèrent s'attarder exclusivement sur l'aspect sexy de madame (coucou Console +).
Cette mise en avant outrancière fut même une des raisons qui a fait que Toby Gard, le papa de Lara, a vite quitté Core Design, en embarquant avec lui Paul Douglas, co-créateur et programmeur principal de Tomb Raider, après la sortie du volet initial. Il ne supportait plus le traitement que l'on faisait subir à sa création. Tout du moins, c'est ce qui a été relaté un peu partout, pendant longtemps. Une des raisons officielle de son départ fut ces bonnes vieilles divergences artistiques entre le créateur et les pontes d'Eidos, l'éditeur du jeu. Le créatif avait suggéré un marketing mettant en avant le côté aventurière, inaccessible et indépendante de Lara (bien sûr, elle était façonnée principalement par des hommes), au sein d'une imagerie qui lorgnait davantage vers les films. Mais Eidos refusa et préféra, très tôt, tabler sur le sex-appeal du personnage. Une réponse des plus amers venant de gens qui ne voulaient pas entendre parler d'un protagoniste principal féminin, durant le processus de création du premier épisode. Ce cynisme engendrera une multitude d'idées à d'autres éditeurs, car (et même si ce n'était pas nouveau) on a vu beaucoup de protagonistes féminins commencer à se déshabiller sur les couvertures des magazines. Un des plus fameux exemples a été Nikki de Pandemonium! qui s'est littéralement métamorphosée dans la suite de ses aventures, délaissant son look naif d'adolescente en faveur d'une allure plus "femme fatale". Au final, l'héroïne d'Eidos a longtemps été montré du doigt, et à juste titre, comme étant un parfait exemple du problème de la représentation des femmes dans le jeu vidéo.
Durant la conception des Tomb Raider, L'équipe de développement a reconnu qu'elle ne voyait que très rarement le staff du marketing. Ce dernier était perçu par eux comme des gens totalement à côté de la plaque, qui les sollicitaient régulièrement pour des conneries. Ils étaient décrits comme une chose invisible qui planait parfois au dessus de leur tête pour les irriter. En outre, c'est probablement à cette force invisible que l'on doit les jaquettes moches de toute la saga (comme celle du II affichée en tête d'article)
Finalement, Toby Gard reviendra ultérieurement pour plancher sur le redémarrage de la série, initié par le studio américain Crystal Dynamics. Tout du moins, il sera surtout présent sur le développement de Tomb Raider Legend, avant de s'effacer sur celui d'Anniversary.
Pour en revenir au traitement du personnage dans la presse: moi même, du haut de mes 15 ans, et attendant fébrilement Tomb Raider II, j'étais un peu gêné par ce côté "objet sexuel" qui transpirait dans les quelques pages traitant de Lara Croft. Jamais on ne mentionnait réellement ce qu'était Tomb Raider, ou alors succinctement. Les quelques lignes s'attardaient exclusivement sur les courbes généreuses de l'héroïne, quand ce n'était pas sur sa fiche technique. A vrai dire, ce n'est pas une nouveauté que cette presse dite généraliste ne tende qu'à décrire les oeuvres d'une manière superflue (d'où le "généraliste", hé !). Et puis, c'est du jeu vidéo, hein ? On ne va tout de même pas s'emmerder à décrire véritablement ce qu'on peut ressentir en parcourant ce genre de titre.
Mais les joueurs n'étaient pas en reste, puisqu'au collège, il y avait toujours un élève pour te taquiner lorsque tu confiais adorer Tomb Raider. Pour lui, si tu kiffais, c'était surtout "pour mater Lara, hein ? Avoue !". Ces réflexions beaufisantes étaient parfois accompagnées d'une tapote avec le coude. Le spectre de Lara commençait donc à devenir quelque peu envahissant, à cette époque. Je me disais toujours: "Non mais hé ! Les gens ! Tomb Raider, ce n'est pas que ça ! Ce n'est pas que Lara Croft !"
Pour enfoncer le clou, c'est en celle belle année 1997 qu'Eidos commença à embaucher des mannequins grimées en Lara pour faire la promotion de chaque épisode. La première véritable (si on excepte celles apparues dans les salons, l'année précédente), et sûrement la plus emblématique, aura été Rhona Mitra qui, sous les traits de l'héroïne de Core Design, s'est même vu pousser la chansonnette à travers un album. Hé oui, la génération 32 bits, c'était aussi ça.
Par la suite, Rhona se serait fait éjecter par la sortie par Eidos qui la trouvait un poil trop bavarde. Certains prétendent qu'elle avait son caractère, et que c'était une des raisons de son départ. Difficile de savoir ce qui s'est réellement passé, mais on peut supposer aisément qu'elle ne devait pas assez s'écraser aux yeux d'une production qui préfère toujours les gens dociles, surtout lorsqu'il s'agit de femmes.
Lara comme nulle part ailleurs.
Avant de replonger dans les nouvelles aventures de l'héritière des Croft, j'ai usé et abusé de la courte démo présente dans un des CD de démos de Playstation Magazine, en cette fin d'année 1997, très prolifique en sorties de jeux. La Muraille de Chine, le premier niveau, constituait l'unique passage jouable, et une parfaite mise en bouche pour me hyper durant des jours, en attendant que le soft déboule dans les rayons. A ce propos, c'est probablement un des jeux que j'ai le plus attendu dans ma vie.
A quelques semaines de la sortie, l'émission Nulle Part Ailleurs consacrait une vingtaine de minutes à Tomb Raider II, ce qui me paraissait totalement incroyable. Pour recontextualiser: qu'une grande chaîne consacre autant de temps à discuter d'un jeu vidéo, sans prononcer les termes "violence", "addiction" et sans avoir un psy random qui pope sur le plateau, fut un cas unique dans la télévision, surtout sur une grande chaîne. Bien entendu, le traitement restait tout de même léger. Il ne faut pas s'attendre à des miracles lorsqu'il s'agit d'un talk show, mais cela faisait plaisir de voir des gens parler des améliorations graphiques, ainsi que des qualités intrinsèques du jeu, et non sur des élucubrations nébuleuses sur ce qu'il pourrait potentiellement produire. Dis-toi qu'aujourd'hui encore, il y a énormément de chemin à parcourir pour faire évoluer le traitement du jeu vidéo dans l'espace télévisuel, d'où l'aspect insolite de cette rubrique sur Canal + accordée au second opus de la saga phare d'Eidos.
Puis, Noël arriva et j'eus enfin l'objet tant convoité ! Heureusement, il marcha directement: Pas besoin de souffler sur le CD !
Une fois la console allumée, qu'est ce qui frappe en premier lieu ? Techniquement, on retrouve globalement le même moteur de jeu que le précédent volet, mais tout semble plus fin, notamment notre héroïne qui gagne quelques polygones lui allouant un rendu moins anguleux, plus agréable. Le chignon sur sa tête a été troqué contre une natte animée du plus belle effet. Cette même natte qui mettait à genoux le frame rate, lors des tests du premier Tomb Raider, précipitant sa suppression dans le jeu. Son visage paraît un poil moins grossier et ses animations gagnent en fluidité. Bon, ok, pendant les dialogues, les bouches des personnages sont toujours dépourvues de mouvements. En effet, souviens-toi: Lors de leurs prémices, beaucoup de jeux 3D en étaient encore à représenter des protagonistes qui communiquaient sans bouger les lèvres. Pour signifier qu'un perso prenne la parole, les développeurs leur faisaient bouger la tête, ainsi que les bras et les mains, histoire que le joueur comprenne qui parle. Pour couronner le tout, Miss Croft a une palette de mouvements plus étoffée: par exemple, elle peur grimper aux échelles, tourner en sautant mais aussi utiliser descendre en tyrolienne. Et que serait un Tomb Raider traditionnel sans les inutiles mais gratifiantes animations de saut de l'ange et du poirier. Cet accroissement des aptitudes de l'avatar a permis aux level designers de multiplier les possibilités dans la manière de bâtir leurs niveaux.
En sus, les lumières sont désormais plus dynamiques, accordant un surplus de tangibilité aux environnements traversés, en plus de les enrichir visuellement. En définitif, graphiquement, Tomb Raider II apporte moult subtilités cosmétiques plutôt bienvenues.
Bien entendu, selon la plateforme, le jeu sera davantage plus fin. Un bon PC s'en sort avec les honneurs, tandis que la Playstation propose un meilleur rendu que le premier jeu, mais affiche toujours des textures instables et disgracieuses.
La caméra claustrophobe fait également son grand retour, en pétant des câbles de temps à autre, spécifiquement dans les endroits exigus. même si, il est vrai, sa gestion a été grandement améliorée. Ne faisons pas la mauvaise langue. Ce n'est pas bon pour le palet.
Polygones-trotteurs
"Oh putain ! Il est où le plan ?!" |
Finalement, on retrouve le même type de graphismes que dans le précédent segment, mais les mondes parcourus bénéficient d'une colorimétrie plus large: Certains lieux sont plus colorés, gratifiant d'une ambiance qui diffère du premier opus; la cause à l'apparition de décors plus urbains. A vrai dire, c'est surtout Venise qui met de la "gaieté" à l'ensemble (si on peut dire ça), même si, je calme mes ardeurs, ça n'en devient pas subitement plus chatoyant pour autant: Juste quelques petites touches de couleurs rajoutées par ci, par là, qui changent quelque peu la tonalité du jeu par rapport à l'épisode pionnier. Ajoutons à cela le fait que certains paysages se déroulent dorénavant à ciel ouvert, diminuant drastiquement l'aspect anxiogène que l'on ressentait pendant l'intégralité du premier volet. De plus, le contraste entre les couleurs vives de Venise contrebalancent avec les couleurs froides des niveaux sous-marins. Une partie du périple laisse tout de même la place à des zones plus sombres faites de grottes oppressantes, de temples inquiétants, d'une épave étouffante, mais également d'une plate-forme offshore dotée de contours plus maussades.
A ce propos, ces zones urbaines sonnent parfois fausses avec l'ensemble du game design du jeu. C'est à dire: on accepte aisément d'avoir de gros interrupteurs dans des grottes inconnues, mais notre suspension volontaire d'incrédulité peut être ébranlée lorsqu'on retrouve cette même logique de progression, faite des mêmes mécanismes calquées au sein d'une ville italienne. Les mêmes reproches pouvaient être adressés à Resident Evil 2, lui qui transposait le level design du manoir du premier titre, composé de clefs et de médaillons chelous à trouver, dans un commissariat (qui sera mieux justifié dans le remake), puis carrément à l'échelle de la ville de Raccoon City dans Resident Evil 3. A titre personnel, ce "problème" ne me dérange absolument pas pour m'immerger dans l'univers de ces suites. Au contraire, j'aime bien cette étrangeté qui peut sonner comme dissonante pour certains joueurs. Je tolère ces mondes qui répondent à des logiques purement vidéoludiques qui leurs sont propres, même lorsqu'ils se dépeignent d'un soupçon de réalisme de façade. Tout du moins, je l'accepte pour des jeux vidéo de cette époque. Aujourd'hui, des concepts de gameplay faits de clefs de trèfle ou d'interrupteurs géants peuvent fonctionner si le contexte intra-diégétique le justifie réellement. Oui parce que, finalement, je peux tolérer l'invraisemblable si c'est bien fichu.
Tout ça pour dire que, oui, c'est bizarre d'avoir un Venise dépourvu de logique et dans laquelle on peut se questionner sur la manière dont évoluent les habitants. Mais osef ! C'est un jeu vidéo et on accueillait cela amplement à l'ère des 32 bits.
D'ailleurs, mes niveaux chouchous sont l'Opéra et l'épave de la Maria Doria. Le premier cité constitue la conclusion du périple à Venise, avec sa pièce centrale entourée de pas mal de recoins angoissants ensevelis dans la pénombre, et qui arrivent à dilapider notre stock de torches. Le second emmène le joueur dans les profondeurs de l'océan, dans les restes d'un paquebot renversé, délectant le joueur de progresser dans des corridors et autres pièces à l'envers. Je trouvais ça dingue de marcher sur le plafond et de pouvoir lever les yeux et contempler le sol.
L'ajout de véhicules que Lara peut piloter, lors de moments spécifiques, viennent gonfler les rangs des innovations en proposant un vent de fraîcheur presque salutaire. Presque ? En effet, si évoluer à Venise à bord d'un bateau fait plaisir, le motoneige du Tibet tape plutôt dans la frustration pure et dure. La faute à une maniabilité approximative ainsi qu'à des sauts difficiles à négocier, responsables de beaucoup de mordillages de manettes et de pleurs incessants. Mais honnêtement, avec le recul, j'en garde tout de même de bons souvenirs.
Au final, et malgré ces changements, Tomb Raider 2 reste le digne héritier de son prédécesseur, en immergeant le joueur dans un titre d'aventure toujours très hardcore, où le moindre saut doit être calculé sous peine de voir notre personnage s'écraser au sol. N'oublions pas non plus certains pièges bien vicelards qui nous poussent à recommencer plusieurs fois. Parfaite transition pour aborder le cas du système de saves qui délaissent les cristaux bleus du soft original, nous obligeant à sauvegarder à des points précis, par la possibilité de sauvegarder notre partie à tout instant. Cela facilite grandement la progression, mais il y a le revers si on utilise cette option abusivement: par exemple, le fait de sauvegarder pile au moment où Lara tombe d'un précipice ou sur des pics, nous faisant inlassablement revenir à ce moment précis, au moment de charger la partie. Les tableaux font invariablement la part belle à l'exploration, l'aventure et aux phases de plateformes nous octroyant toujours ce sentiment d'insécurité permanente. La verticalité du level design est tout aussi importante que son horizontalité: Il faut sans cesse scruter à 360° afin de voir si il n'y a pas une porte dérobée en hauteur, ou bien une ouverture cachée dans la pénombre, en contrebas d'une falaise. Ajoutons à cela la possibilité désormais d'utiliser des torches, afin d'éclairer les recoins les plus sombres. Grâce au nombre croissant de polygones alloué au moteur, les environnements sont nettement plus vaste qu'auparavant: On y trouve notamment de plus larges zones en extérieur. Sincèrement, l'exploration reste vraiment le coeur de l'expérience. J'ai déjà cité ce terme deux ligne plus haut, mais j'insiste vraiment sur cette caractéristique que les Tomb Raider de Crystal Dynamics vont perdre, au détriment de l'action (c'est surtout le cas pour Legend ainsi que la dernière trilogie). Il est vrai que les premiers volets ont cet aspect impitoyable tant dans leur gameplay rigide que dans l'exigence qu'ils imposent au joueur: Il n'est pas rare de tourner en rond pendant des heures, juste parce qu'on n'avait pas vu le tout petit trou de souris par lequel on peut passer. Cette série est clairement une de celle qui m'a fait tourner en bourrique pendant très longtemps, parfois abusivement, je le reconnais. Mais cela fait le sel des épisodes sous l'ère Playstation: Réussir à trouver son chemin gratifiait d'une telle satisfaction...
Au final, il n'est pas stupide de considérer Tomb Raider comme une déclinaison 3D de Rick Dangerous,ancienne gloire des années 80, lui aussi développé par Core Design.
Mais il y a une chose qu'on a tendance à rarement citer, lorsqu'on songe aux premiers Tomb Raider, c'est cette capacité à convier la peur avec une désarmante facilité. A l'époque, dans les magazines, spécialisées ou pas, on mentionnait guère le malaise que pouvait engendrer les aventures de Lara Croft. Ok, nous ne sommes pas non plus en face d'un Silent Hill, mais, personnellement, j'ai rarement ressenti ce sentiment d'être seul, d'avoir l'impression d'être totalement isolé du reste du monde et que, si je meurs, personne ne retrouvera ma dépouille. Cette oppression, véritable essence de la série de Core Design selon moi, est particulièrement réussie grâce à plusieurs facteurs: Déjà, par la présence du peu d'ennemis que l'on rencontre. Dans le segment inaugural, Lara décimait presqu'exclusivement des animaux, voir des êtres fantastiques, à la toute fin, comme je le dis en début de texte. L'apparition d'adversaires humains dans cette séquelle n'efface en rien ce sentiment de solitude. Les développeurs ont eu le bon goût de placer des ennemis avec parcimonie, même si ils demeurent plus nombreux que dans l'épisode initial. Ce nouveau type de menace ajoute un surplus de stress car ils sont capables de tirer sur nous, au loin. Les créatures que l'on affrontait dans le premier soft avaient plutôt tendance à se jeter sur nous.
Madame est toujours armée de ses doubles guns, en plus d'un joyeux fusil à pompe, d'un harpon et autres uzis qui viennent très vite grossir notre arsenal. La visée se fait toujours automatiquement et, pour esquiver, on a toujours tendance à sauter dans tous les sens, en vidant parallèlement nos chargeurs sur nos assaillants.
Les gunfights ne sont pas spécialement passionnants, mais ils ont au moins le mérite d'être parfois bien stressants, dans le bon sens du terme, même si ce second volet n'est pas avare en vacherie, puisqu'il est capable de faire poper un ennemi juste derrière nous, dans une pièce dépourvue de vie, trois secondes avant. D'après Gavin Rummery, le réalisateur du soft, l'orientation plus action de ce nouveau volet découlait en réalité d'une requête des fans qui trouvaient l'épisode d'origine trop chiche en ennemis. Finalement, ces derniers ne manqueront pas de déplorer le surplus d'action du jeu, de quoi faire soupirer un Rummery réalisant qu'il était impossible de contenter tout le monde. Lors d'une interview, il déclara même que si il pouvait modifier des éléments, il allegerait bien l'expérience de quelques ennemis, ce qui, selon lui, aurait amélioré le rythme de l'aventure.
En définitif, les premiers qualificatifs qui surgissent dans mon esprit, à l'évocation des Tomb Raider made in Core, sont exploration et angoisse.
De surcroit, on doit cette ambiance si singulière à l'omniprésence du silence, ponctué par quelques partitions musicales qui distillent subtilement un supplément de tension à une atmosphère déjà bien pesante. Ces dernières parviennent à briser une certaine routine. Je voyais les musiques comme une sorte de récompense, à l'instar des cutscenes, pour avoir braver tout un passage qui m'a perdu ou qui m'a fait rager à cause d'un level design sadique. Certaines pistes sont plus douces, à l'instar du fameux "Classical Lara qui nous accompagne pendant notre virée sur l'eau, à Venise (que l'on peut écouter également dans le tutorial: la demeure de la dame). D'autres consolident une tension, comme ces moments où l'on va croiser des ennemis. En outre, des thèmes comme "Awe" ou "Mystery" interviennent pour soutenir le caractère mystérieux d'un passage. Et enfin, d'autres tracks se chargent de d'injecter une dimension plus atmosphérique, à l'instar de "Caverns" ou "Chambers". Mention spéciale à "Lara Plays With The Snow" qui nous chaperonne pendant le passage en motoneige, avec ses relents très "jamesbondiens" illustrant à merveille l'orientation un poil plus action, émaillée d'un soupçon d'espionnage (l'infiltration dans la plateforme, les fuites en véhicules, la course contre la secte, etc), de ce Tomb Raider II.
Ce travail d'orfèvres est toujours l'oeuvre de Nathan McCree qui a eu nettement plus de temps pour composer, ayant eu pour conséquence une OST plus dense que celle du précédent volet, en plus d'avoir été plus impliqué dans le développement du titre; par exemple, il exigea de gérer lui même à quel moments clés telle ou telle piste allait se déclencher. Si je ne dis pas de bêtise, il me semble que l'homme a même eu l'honneur d'avoir été récompensé pour la piste "Classical Lara". Il faut dire que cette mélodie très classique détonne, surtout à l'époque.
C'était cette bonne vieille période des premières générations de disques Playstation où l'on pouvait écouter les OST, rien qu'en plaçant le jeu dans un lecteur CD. En effet, les musiques n'étaient pas encodées de la même manière que la grande majorité des softs sortis les années suivantes.
Il faut mourir pour s'endurcir
L'épave de la Maria Doria |
Difficile de ne pas retomber dans la redite avec mon précédent article, mais, si tu l'as lu, tu dois savoir à quel point cette série aime maltraiter son héroïne de mille et une façons, toutes plus terribles les unes que les autres. Le silence couplé à la froideur de la mise en scène intensifient l'aspect presque anti-climatique des morts: Voir Lara se faire subitement empaler par des pics, sans musique, parfois sans cri, avec ce corps inerte comme résultat, offre indubitablement un spectacle macabre. Dans Tomb Raider, il y a vraiment ce côté presque pragmatique dans ces morts subites suscitées par un malheureux faux pas, limite "réaliste" dans son parti pris. Un moyen simple et cru pour faire comprendre que ce jeu ne pardonne rien au joueur dissipé et/ou inconscient.
Ces morts glaciales et l'implacabilité de l'expérience étaient au diapason, débouchant sur une séquelle toute aussi délicate à clôturer. En effet, beaucoup de joueurs ont pu voir la plupart de l'aventure grâce au code permettant de choisir ses niveaux. Pour ma part, c'est comme cela que j'ai pu voir la seconde partie de Tomb Raider, avant de tout recommencer depuis le début. Pour le second épisode et le troisième, j'ai dû me débrouiller pour les terminer, puisque je n'ai eu accès au code de sélection des niveaux que tardivement. Mais il y a des niveaux où je suis resté bloqué, très longtemps. A ce propos, la version japonaise a été amputé de quelques pièges et adversaires allégeant quelque peu la difficulté du soft.
En ayant bouclé les deux premiers opus la même année, j'ai pu constater que le second segment a un rythme nettement plus maitrisé, même si, effectivement, il reste totalement dans la veine de son aîné: Même moteur, même level design (globalement), même assets et même gameplay. Les développeurs ont opté pour une formule "++" plutôt que de repartir sur une toute nouvelle direction.
Il faut dire qu'avec un délai de gestation bien plus court que sur le projet d'avant, malgré des effectifs doublés, il aurait été impossible de faire autre chose qu'un prolongement de la précédente itération. En effet, le développement de Tomb Raider II a été finalisé en moins d'un an. D'après Heather Stevens, graphiste et level designer, l'équipe a investi tellement de temps et d'énergie dans la création du grand frère qu'il aurait été impensable, pour elle, de s'éloigner du matériau d'origine pour cette suite, d'où l'implantation d'un grand nombre d'idées abandonnées pour le premier soft.
A l'instar de ce dernier, lors de la production, un éditeur de niveaux a été d'une grand aide pour tester les environnements à la volée, et pouvoir jauger leur viabilité et ainsi corriger les problèmes.
L'éditeur de niveaux de Tomb Raider II |
C'est l'histoire d'un citron
L'Opéra, un niveau plus effrayant que son nom. |
Tomb Raider II place aussi les germes qui ont conduit la série à sa chute, ainsi qu'à celle de son studio, Core Design. Tout au long de cet article, on peut déceler ce qui va, dorénavant, se répéter inlassablement à chaque épisode. A commencer par l'annualisation de la série. Ce sera désormais une récurrence: Chaque Noël sera synonyme d'une nouvelle cuvée de Lara Croft dans les rayons. Cette tendance, devançant des années avant Call of Duty, engendrera son lot de désagréments. Le premier étant la qualité en chute libre de la série à partir du troisième épisode. Que l'on apprécie ou non Tomb Raider III, il est l'épisode révélateur des limites d'une série qui n'a fait que radoter. La technique s'améliorera au fil du temps (graphismes en plus haute résolution, éclairages plus subtils, etc), mais la saga ne fera que du surplace, en plus de lorgner vers des choix de design douteux, allant d'une difficulté mal dosée (dans Tomb Raider III) jusqu'à des niveaux peu inspirés (Tomb Raider Chronicles). Seul l'épisode le plus "intimiste", Tomb Raider IV, sortait du lot, mais, malheureusement, il passait après trois jeux conçus dans le même moule.
Eidos ne put se résoudre à laisser filer sa poule aux oeufs d'or, ce qui conduit l'éditeur à presser le citron de manière déraisonnable, jusqu'à en écoeurer les plus fidèles aficionados.
De nombreux écrits et interviews, revenant sur le développement de ces jeux, évoquent les premières années à Core Design qui se sont déroulées dans une ambiance familiale, y compris durant la gestation des premiers Tomb Raider, et même malgré les nouveaux salariés venus grossir les rangs. L'équipe a travaillé longtemps dans cette grande maison victorienne qui servait de QG à Core, avec ses petites pièces où travailler. En ce temps là, les créatifs ne se souciaient pas de planifications ou autres documents de conception. Il arrivait même que des testeurs soufflaient des idées aux programmeurs et autres développeurs qui, eux, les écoutaient attentivement. Il n'y avait pas réellement de hiérarchie. Tout du moins, l'entreprise adoptait une structure hiérarchique résolument plus horizontale que verticale. Malgré cette atmosphère relax, beaucoup d'employés ont travaillé jusqu'à pas d'heures, égratignant leur santé au passage. Des lits de camps ont élu domicile, à l'adresse de la boite. McCree, le compositeur, a même retrouvé un des développeurs en train de dormir dans un placard, explique-t-il en riant, lors d'une interview.
Un créatif se rappelle que, si ils arrivaient à enchaîner les nuits blanches, c'est parce qu'ils étaient encore suffisamment jeunes pour le faire, se justifie-t-il.
Durant la création de l'épisode original, Heather Stevens, level designer, se souvient qu'elle préférait continuer à travailler le soir, chez elle, plutôt que rester dans les locaux du studio, contrairement à certains collègues. Pour elle, il était impératif qu'elle puisse partager la même pièce que son conjoint, les soirées et week-ends.
L'équipe originelle du premier Tomb Raider |
Cependant, l'équipe arrivait à bout de force, après la génèse difficile et chaotique de Tomb Raider 1, puis en ayant cravacher comme des dingues pour boucler celle de Tomb Raider II, en seulement quelques mois. Après ça, l'équipe a été en partie brisée par le crunch quasi constant sur la production du second volet. Feu Neal Boyd (qui nous a quitté en 2020), level designer, confessa, lors d'une interview, avoir divorcé de sa femme qui lui reprochait de ne plus la voir. Ce dernier n'a même pas vu sa fille grandir, pendant deux ans.
Malgré un éditeur qui obligeait très vite une partie de son régiment a travailler sur leur série phare, les créateurs bénéficiaient d'une relative liberté. Un exemple de cette large marge de manoeuvre fut qu'Andy Sandham, level designer et scénariste sur les Tomb Raider III à V, est celui qui a eu l'idée de tuer Lara Croft à la fin du quatrième volet. Cette note d'attention décrivait l'épuisement dans lequel sombrait l'équipe de Core Design. Tuer leur iconique personnage fut donc une manière de totalement arrêter les frais et de pouvoir enfin passer à autre chose. Comme personne ne venait interférer pour imposer des choix artistiques durant le développement, les créatifs ont pu mener à bien cet assassinat en sous-marin.
Il n'en fut rien... puisque Jeremy Heath-Smith, le PDG de Core, lorsqu'il eut la surprise de cette découverte, convoqua l'équipe pour les engueuler. L'échéance de sortie de ce The Last Revelation était imminente. Il était donc trop tard pour rectifier le tir. Cependant, les devs ont pu "adoucir" la mort de cette archéologue qu'ils commençaient à connaître trop bien. Eidos commanda un cinquième et ultime épisode sur Playstation, pendant que d'autres s'occupaient toujours du prochain opus Next Gen, le fort boiteux L'Ange Des Ténèbres, développé dans de nouveaux locaux flambant neuf et avec beaucoup plus de personnel. Cette dernière œuvre deviendra la risée du milieu, et scella le destin de Core Design qui s'est vu se faire retirer leur bébé, au profil du studio américain Crystal Dynamics qui avait le vent en poupe, après avoir sorti les excellents Soul Reaver. Titres qui possédaient quelques points communs avec le gameplay des Tomb Raider, et qui abritaient un moteur physique qui a tapé dans l'oeil d'Eidos. Ce transfert a été très mal vécu par les artistes du studio britannique, qui ont eu l'impression qu'on les punissait sévèrement.
Ceci étant dit, cela faisait déjà quelques épisodes que tout n'allait déjà plus très bien au sein de l'entreprise: L'ambiance décontractée et familiale a vite laissée la place à une atmosphère parfois délétère, notamment à cause d'une scission qui s'était créée entre la team originelle et les nouveaux arrivants. Les premiers étaient perçus comme une sorte d'entité divine insaisissable, et les chanceux qui arrivèrent à être pistonnés sur les projets Tomb Raider furent jalousés par les développeurs rattachés à d'autres projets. Ces derniers ne bénéficiaient pas des faveurs financières accordées aux équipes qui planchaient sur les aventures de Lara. Parce que, oui, l'argent coulait à flot pour eux. Mais à partir du troisième volet, les ventes de la licence ont commencé à baisser au fur et à mesure des sorties successives des épisodes.
Concept art de Lara lors de l'élaboration de Tomb Raider II |
Un des emblématiques ennemies du soft: Un sbire de la secte de Bartoli |
L'annualisation des Tomb Raider ayant provoqué des crunchs bien toxiques (preuve que cette pratique ne date pas d'hier), combinée à la désorganisation des équipes de développement, devenue un problème dès lors que le studio a accroit ses effectifs, sont autant de facteurs qui ont conduit à l'inconstance qualitatif de la série, après la sortie du deuxième épisode.
De surcroit, il y a ce contraste entre ce que le marketing a décidé de mettre en avant, et la proposition réelle de ces jeux a longtemps alimenté une confusion. En tout cas, pour moi, j'avais toujours été gêné par ces images montrant une Lara Croft charnelle en total décalage avec l'aspect purement aventure/plateforme du game design et de l'ambiance oppressante de la saga.
Bien entendu, il subsiste de petits clins d'oeil aux formes plantureuses de l'héritière, spécifiquement la conclusion de l'histoire qui se termine avec une scène dans laquelle Lara s'adresse au joueur, brisant le quatrième mur, et abat la caméra, avant de prendre une douche. D'après les devs, il s'agissait d'une réponse à cette fausse rumeur affirmant que l'on pouvait activer un mode "nude" qui permettait de pouvoir jouer avec notre aventurière à poil. Une autre réponse malicieuse résidait à travers une manipulation à réaliser dans TR II pour soi-disant enclencher ce nude mode qui, en réalité, une fois qu'on l'amorçait, faisait exploser le personnage dans les airs. Un pied de nez aux joueurs pervers.
En définitif, Tomb Raider II marque très certainement l'apogée des opus signés par Core Design, à cette époque où, très vite, le succès a fait tourner la tête aux grandes pontes d'Eidos; l'éditeur qui s'est même vu nommé l'entreprise ayant eu la croissance la plus rapide au monde, lors du forum économique mondial de l'année 1998. Cette séquelle réussit même l'exploit de dépasser les ventes colossales de son ainé et ouvrira une nouvelle ère pour l'aventurière au petit sac à dos, avec la mise en chantier de films, avec Angelina Jolie en tête d'affiche. Des œuvres filmiques à la qualité médiocre, certes, mais témoin d'une époque où la saga de Core trônait encore dignement sur le toit du monde, avant sa dégringolade façon Scarface.
Pour ma part, il s'agit probablement du meilleur épisode de la série, juste devant le premier et Underworld, la conclusion de l'arc Legend, écrite par un Crystal Dynamics plus ou moins inspiré.
Tomb Raider II est, en tout cas, l'épisode qu'un fan talentueux, Nicobass, a choisi pour mettre en chantier un remake via un fangame développé sous Unreal Engine 4 et qui, franchement, a l'air super chouette.
Voilà, c'est ici que nos chemins se séparent cher(e) lecteur/lectrice. Peut être que je reprendrais la plume, un jour, pour la troisième aventure de Lara Croft, si je trouve l'inspiration. En attendant, prend soin de toi et va répandre la bonne parole comme quoi ce n'est pas toujours facile d'être une archéologue aventurière...
Tomb Raider II Remake
Moggy
Commentaires
Enregistrer un commentaire