Jak & Daxter, la série précurseur de la Playstation 2

 

Jak & Daxter Cover

Jak & Daxter évoque immanquablement le moment où la toute jeune Playstation 2 prend enfin son envol, basculant de console franchement dispensable à machine incontournable déterminée à tout écraser. Prêt pour sortir en ce doux Noël 2001, cette toute nouvelle licence du studio Naughty Dog, qu'on ne présente déjà plus à l'époque car couronné de succès par la trilogie Crash Bandicoot, va confirmer le talent de ces développeurs californiens pour leur art de la plateforme bien placée.

La salve précurseur

Jak & Daxter: Concept Art

Ce titre m'aura permis de vérifier comment correctement orthographier "précurseur" au féminin. Et il semblerait qu'on écrive de la même manière au masculin et au féminin. Hé oui oui oui.
Comme mentionnée dans mon introduction, les premiers pas de la Playstation 2 furent timides: La nouvelle bécane de Sony devait tout casser, mais elle a surtout mis du temps à convaincre pleinement. Son line up rachitique a surtout brillé par son manque cruel de bons jeux, mis à part un SSX intéressant, mais noyé sous les blagues que furent Fantavision ou des portages techniquement faiblardes, à l'instar de Dead or Alive 2, qui faisait pâle figure en face de la version Dreamcast. D'ailleurs, en cette fin d'année 2000, la star des consoles était belle et bien la machine de Sega qui empilait les hits quelques mois avant le couperet: A savoir la fin de sa commercialisation et le retrait de Sega sur le marché des consoles de salon.
Par la suite, les prémices de la PS2 n'aura proposé que peu de titres mémorables (Onimusha et Gran Turismo 3), et il faudra attendre la dernière partie de l'année 2001 pour que le monolithe noir de Sony empile les succès. En effet, les joueurs insatisfaits se sont mangés, coup sur coup, GTA III, Devil May Cry, Silent Hill 2 et ce fameux Jak & Daxter. Et le tout en l'espace de très peu de temps. "Voilà ! T'es satisfait maintenant, joueur ?!" Personnellement, cette machine, qui ne m'intéressait guère, est devenue le nouvel objet de ma convoitise, du jour au lendemain. Et je me souviens qu'à l'époque de la sortie du jeu, j'habitais chez l'une de mes soeurs. Frangine qui avait littéralement pété un câble un soir, car elle était revenue avec un gros sac Micromania ! "Qu'est-ce qu'il y a dedans ??", je l'interrogeai. "Oh non non. C'est rien. C'est rien" qu'elle me répondit. Et elle sortit la sainte trinité (+1) de sa "poche" bleutée. Effectivement, elle venait d'acheter les quatre derniers jeux précités. Par précaution, elle me demanda de "ne pas le dire à Maman. On sait jamais..." Ahlala... la fougue des premières années de salaires...
Et c'est comme cela que j'ai pu terminer Silent Hill 2 et un peu toucher aux trois autres titres. Il aura tout de même fallu quelques mois encore avant que je puisse réellement jouer à Jak & Daxter, au moment d'emménager dans mon premier chez moi.

Jak & Daxter Gameplay

Avant sa sortie, le soft se précisait comme étant un des hits les plus beaux jamais sortis. Je me souviens avoir vu des vidéos de présentation sur Game One, et on était effectivement face à un jeu qui rendait enfin justice à la nouvelle console de Sony. Mis à part Gran Turismo 3, aucun titre ne ne parvenait à nous décrocher la mâchoire, surtout pour les joueurs ayant déjà poncé Jet Set Radio ou Shenmue sur feu Dreamcast. Jak & Daxter, à l'instar de Silent Hill 2 puis Metal Gear Solid 2 l'année suivante, faisaient partie des vitrines technologiques de la PS2. Tu sais, cette époque où l'on parlait encore du fameux et fumeux "Emotion Engine", le processeur principal que vantait tellement la firme japonaise, qui devait totalement révolutionner le jeu vidéo. Le studio Naughty Dog fournit également enfin un platformer digne de ce nom sur la bécane noire, même si on a tout de même eu droit au très sympathique Klonoa 2 de Namco, auparavant.

Une épopée qui ne crash jamais

Jak & Daxter: Vue panoramique

Le titre nous relate l'histoire de Jak & Daxter, des habitants d'une autre planète, qui devront parcourir le monde afin de rendre l'apparence initiale de Daxter: En effet, le début de l'aventure nous présente ce dernier en train de tomber dans une mare remplie d'éco noire, une matière aux propriétés exceptionnelles, qui va le transformer en une créature, croisement entre une loutre et une mangouste. Bien entendu, cette histoire servira principalement de prétexte afin d'explorer différents niveaux pour y collecter moult objets, comme les orbes précurseurs, des espèce d'oeufs de pâques disséminés un peu partout. Ces items feront office de monnaie, mais viendront aussi titiller la fibre des complétistes. De surcroit, nos deux héros devront dénicher des piles d'énergies qui permettront grosso modo de progresser plus loin dans nos expéditions: Tantôt elles pourront alimenter un objet, tantôt elles ouvriront une porte. En somme, elles représentent le seul moyen d'aller plus loin dans notre périple. En outre, la possibilité de converser avec les habitants peuplant cet univers, et leur rendre service, servira à obtenir davantage de ces items.
Concrètement, à l'écran, nous ne jouons que Jak, un personnage totalement muet, un choix des développeurs d'en faire un réceptacle efficace pour le joueur, d'après les dires de Jason Rubin, un des cofondateurs de Naughty Dog. Finalement, cela rejoint l'idée de Nintendo qui désirait museler Link, le héros de la série Zelda, depuis des décennies. Notre avatar sera constamment accompagné de Daxter qui, à contrario, ne fait que parler. A croire qu'il récupère le ratio de paroles que ne peut débiter son compagnon. Ce side-kick constitue le ressort comique du duo. Et d'après Bob Rafei, le directeur artistique du projet, l'inspiration principale pour ce protagoniste fut Mushu de Mulan. Jak peut sauter, courir et attaquer les ennemis. Il pourra même puiser dans différentes sources d'eco qui lui conféreront temporairement certains pouvoirs. Il représente la partie action du duo, tandis que son comparse poilu dialogue et donne quelques conseils de temps à autre. On ne peut même pas spécialement affirmer qu'il tisse le lien entre Jak et les autres habitants, puisqu'à de nombreuses reprises, Daxter se fera snober par certains lorsqu'il balance ses vannes. D'après Rubin, l'intention d'octroyer la parole à Daxter et non à Jak venait de la peur de la distanciation engendrée par une mauvaise blague prononcée par notre avatar si il avait été doué de parole (et d'humour). Le papa de Crash Bandicoot prend en exemple Gex, le gecko de Crystal Dynamics qui passait son temps à enchaîner les blagues référentielles au cinéma dont certaines de mauvais goût. Un marqueur de personnalité susceptible de repousser le joueur, toujours d'après Rubin. Alors que déplacer ce marqueur sur Daxter permet de contourner ce "problème". Si Daxter est lourdingue, au moins, il n'est pas le personnage que contrôle le joueur, et ce dernier n'est pas perturbé de prendre les commandes d'un protagoniste repoussant. Bien entendu, c'est la philosophie de Jason Rubin. De toute façon, cette volonté des créatifs vole en éclat puisque Jak sera doué de parole dans le second segment de la trilogie. Je trouve qu'il est intéressant, selon l'expérience proposée, de laisser aux joueurs l'opportunité de jouer des anti-héros ou bien des incarnations aux caractères bien identifiables. Je ne suis pas toujours fana des héros muets. Ou plutôt, si, je peux apprécier, mais je ne voudrais pas que ce procédé représente l'écrasante majorité des avatars de jeux vidéo. 

Jak & Daxter: cutscene

Jak & Daxter est un jeu de plateforme mais, à la différence de la trilogie Crash Bandicoot parue sur Playstation, il propose un monde semi-ouvert. Notre héros ne se déplace pas du bas de l'écran, le premier plan, jusqu'en haut, l'horizon, confiné dans un couloir plus ou moins exigu. Non, Jak se balade librement dans des décors relativement vastes pour un titre du genre. Le soft se rapproche davantage d'un Mario 64, d'un Banjo-Kazooie ou même de Gex 3D (histoire de reciter cette licence). Notre infortuné héros démarre de son village natal puis ira explorer les plages aux alentours, la jungle, des mines remplies de lave, ainsi que d'autres environnements qui checkent le cahier des charges de la variété à tout prix. Le tout ponctué de vestiges d'une ancienne civilisation précurseur qui jure avec le reste du paysage. Le sentiment de liberté procurait un sentiment grisant pour l'époque. Et découvrir une nouvelle parcelle de cet univers était un ravissement de tous les instants. Mention spéciale à la cité précurseur sous-marine, avec ses teintes bleutées qui contrastent magnifiquement avec le vert de l'eau stagnante électrifiée. Par ailleurs, ce niveau rappelle fortement certains décors de Crash Bandicoot 2. La permission allouée au joueur de pouvoir explorer différents secteurs permet enfin de s'émanciper des couloirs de Crash Bandicoot. Les couleurs chatoyantes prédominent une bonne portion des tableaux, et semblent provenir, elles aussi, de l'héritage de la trilogie précitée. Histoire d'enfoncer le clou du réalisme, un cycle jour/nuit est implanté dans le programme, nous accordant de profiter d'une double ambiance des mondes traversés.
Une des volontés de Naughty Dog a été d'octroyer une certaine cohérence dans l'enchaînement des différents environnements. Un axe important du développement aura été ce souhait de proposer une aventure dénuée de temps de chargement afin de fluidifier les déplacements, mais également la liberté concédée d'aller et venir dans les niveaux. A contrario de beaucoup de jeux, ici, aucun écran de chargement ne vient perturber notre progression. Dans le même ordre d'idées, si je ne dis pas de connerie, il me semble même que Jak & Daxter plafonne à 60 FPS, maximisant d'autant plus cette course à la fluidité recherchée par les développeurs, même si quelques rares chutes de framerate viennent ternir ce tableau si idyllique. 

Afin de bâtir un univers encore plus organique, les créatifs désiraient que le joueur puisse avoir une vue panoramique sur l'étendue du monde: Par exemple, lorsqu'il atteint un point élevé, qu'il puisse contempler certains lieux qu'il a déjà parcouru, et apercevoir d'autres contrées encore inexplorées. Ultérieurement, on retrouvera ce genre de philosophie dans des jeux comme Dark Souls qui autorisent également de scruter des lieux explorables, lors de nos vertigineuses ascensions dans les cieux.
Cela permet de rendre tangible un univers de pixels et de polygones, en plus de satisfaire notre désir d'anticipation des surprises à venir.
De l'aveu de Rafei, la possibilité de montrer des parcelles de niveaux au loin a été un véritable casse-tête à concevoir, même si le surplus de puissance de la PS2, comparé à celle du PSOne, leur a donné des ailes. Quoiqu'on en dise, toutes ces prouesses techniques a été le fruit du nouveau moteur maison de la firme américaine, de leur travail acharné mais aussi de moults concessions car, il faut le reconnaître, la Playstation 2 a été, notamment lors de ses premières années d'existence, très difficile à dompter pour de nombreux développeurs. Pour l'occasion, Andy Gavin, un des co-fondateur du studio, mettra sur pied le GOAL, un tout nouveau langage de programmation prometteur, mais compliqué à déchiffrer pour une partie de l'équipe. C'est cet outil qui a permis la fluidité du jeu, les belles vues, les jolis objets et les couleurs vives. Toutes ces difficultés se conjuguaient avec la faible mémoire allouée à la console, rendant encore plus impressionnant le tour de force de Naughty Dog, surtout pour le premier volet d'une nouvelle licence, en plus d'avoir réussi à le pondre au sein de la première génération de titres de cette machine.

Cité Précurseur du jeu vidéo Jak & Daxter

Faire des bons en avant

Jak and Daxter: screenshot

Jak se manie aisément et on retrouve la parfaite panoplie du héros de platformer: Donc, évidemment, on sautille, on attaque les ennemis en les frappant ou... en tournoyant, pouvoir hérité du plus célèbre bandicoot de la Playstation originale. Les animations, à l'instar des graphismes, étaient, certes, convaincantes, mais également incroyablement bien découpées entre elles: On ne ressentait pas le côté "haché" de ce qui pullulait encore à côté.  Le travail sur les quelques cutscenes nous concèdent d'admirer le travail des animateurs. Les facéties et les grimaces de Daxter suffisaient à exalter le joueur fana de jolies choses. A l'époque, on se disait que les jeux vidéo ne tarderont pas à rattraper Pixar dans la qualité de ses graphismes et animations. Même topo lors de la sortie de Jak II qui améliorera ces différentes qualités. On comprend mieux l'excellence de ces détails puisqu'on d'anciens animateurs de chez Disney ont rejoint les rangs de Naughty Dog. A noter que l'équipe a modifié ces animations pour notre version PAL: Les programmeurs ont dû précisément retirer certaines frames des mouvements des protagonistes pour optimiser le jeu par chez nous. Les animations étaient donc moins détaillées, mais comme elles duraient aussi moins longtemps, on ne voyait pas vraiment de différence avec les versions NTSC.

Petit détail que j'ai toujours trouvé kiffant est c'est propension de Naughty Dog à parfaitement jouer avec l'étirement des polygones, notamment lorsque Jak s'écrase au sol ou allonge son corps, lors de certaines actions, maximisant le flow des parties. On retrouvait déjà cette science de "l'étirement" avec les polygones de Crash Bandicoot, lorsque, par exemple, ce dernier s'éclatait au sol avec son attaque plat ventre.

Globalement, notre avatar répond au doigt et à l'oeil, mais il arrive parfois qu'on évalue mal la distance: Il n'est effectivement pas rare de taper trop tôt sur un ennemi, pensant qu'il est sensiblement plus près de Jak. Et puis, comme à l'accoutumée dans les jeux de plateforme 3D, trépasser dans le vide, car on n'arrive pas à voir où se situe exactement notre personnage, peut survenir sporadiquement. Cependant, le jeu demeure suffisamment limpide pour qu'on s'y retrouve la plupart du temps. Ajoutons à cela une difficulté qui sait se montrer raisonnable. Ce n'est pas pour autant qu'on ne meurt pas souvent. C'est d'ailleurs dans ces moments là que la pénébilité de Daxter peut se révéler, lui qui ne peut s'empêcher de lâcher une petite vanne après chaque mort. Au début, on trouve ça rigolo et rafraichissant, mais périr successivement et réentendre ses mêmes commentaires en boucle peut vite devenir agaçant à la longue.

Daxter qui commente notre mort dans Jak & Daxter.
Ferme-là !

Le plus souvent, nos traversées seront pédestres, mais il arrivera, à quelques occasions, que notre duo devra utiliser une espèce de vaisseau planant pour progresser efficacement. Ces phases marquent le préambule de ce qui deviendra une des composantes majeures des deux épisodes suivants, à savoir la multiplication des passages en véhicules. Dans ce premier opus, ces apartés se révèlent être un poil délicate (pour ne pas dire lourdingue) car il faudra s'y reprendre plusieurs fois avant de réussir à franchir certains obstacles. Encore une fois, rien de bien rédhibitoire non plus.
Pour accompagner nos pérégrinations, des petites mélodies entêtantes sont placées ici et là, et évoluent de manière dynamique selon l'endroit où l'on se situe. En gros, les transitions entre chaque piste se font en douceur, et l'ajout d'un petit son supplémentaire peut intervenir si on se trouve à un point A ou G d'un niveau. Au détour d'une interview, Josh Mancell, le compositeur, déclara qu'il a été influencé par le level design non linéaire du projet pour composer ses musiques. En sus, il désirait insuffler un aspect "musique du monde d'un autre monde" dans la bande son, d'où l'utilisation d'instruments occidentaux mais aussi d'instruments non occidentaux. Il a pu essayer le jeu préalablement et s'imprégner de l'univers pour façonner ses notes. Notons que les thèmes de Jak & Daxter bénéficient d'une grosse vibe Crash Bandicoot, histoire de considérer ce premier jeu PS2 comme un prolongement des jeux ayant fait la renommée de Naughty Dog. Car oui, il s'agissait déjà de Josh Mancell à l'oeuvre sur les OST des Crash.
Ceci étant dit, les différentes pistes sont rigolotes à écouter, manette en main, mais je ne me verrais pas les écouter hors jeu, comme celles des Crash Bandicoot.
Du coup, on en arrive à cette brulante question: Est-ce qu'une musique de jeu vidéo doit pouvoir se savourer hors contexte vidéoludique ? Une OST se délectant aisément hors partie est-elle forcément "supérieure" à une autre qui n'offrirait que peu d'intérêt une fois dans notre téléphone ou baladeur ? Vaste question...

Jak & Daxter cutscene avec Keira et Jak.

J'avais vaguement esquissé le sujet, mais la collectionnite est un élément supplémentaire plutôt agréable dans ce jeu: Trouver toutes les piles et toutes les orbes précurseurs n'est pas ultra coton, à l'image du reste du titre, mais constitue un ingrédient bien plaisant. Cela dit, j'ai pu refaire le jeu pendant l'été 2022 et il me manquait une seule orbe dans tout le jeu. J'ai galéré à trouver cette dernière saloperie d'orbe ! Je suis repassé plusieurs dans la plupart des niveaux, à scruter le moindre caillou. Franchement, avant d'enfin la trouver, je commençais à pester devant mon écran en affirmant que j'avais été victime d'un bug scandaleux. Finalement, il n'en fut rien: Je la trouva enfin et elle n'était même pas cachée, en plus...C'était juste moi qui n'était pas assez attentif...

Autre point intéressant: le doublage français demeure vraiment plaisant. Et mine de rien, on sortait tout de même d'un tunnel de jeux PSX qui empilaient les fautes de goût, Metal Gear Solid et Tenchu étant parmi les plus déplorables exemples. Tomber sur des projets qui ne se foutaient pas de notre gueule étaient vraiment notables en 2001. Naughty Dog s'est toujours débrouillé à assigner de chouettes voix à ses protagonistes. Ce fut le cas pour les Crash Bandicoot et ça restera une des plus belles réussites pour leur licences suivantes: à savoir Uncharted et The Last of Us.
Les années 2000 marquaient également une certaine tendance amorcée avec la génération de consoles précédente: à savoir, la diminution drastique des jeux de plateforme. Finalement, l'âge d'or du platformer pris fin au crépuscule des 16 bits. Le passage à la 3D a vu de nouvelles mascottes émergées, ainsi que d'excellents titres, mais aussi un abandon progressif de cette catégorie. Non pas qu'ils aient foncièrement disparu ensuite, mais, il faut le reconnaitre, ce style de softs ne connaitra plus jamais sa forme olympique d'antan. Ce n'est pas nécessairement un mal puisque, sur les 8/16 bits, on a probablement connu une saturation de ce genre d'oeuvres: En effet, je le rappelle que chaque éditeur voulait absolument posséder sa mascotte poilue (ou pas), et les rayons des magasins étaient blindés de platformers ayant en tête d'affiche des chats, des écureuils, des hérissons, des poissons, des lynx, des plombiers. Absolument tous les animaux ont eu un jeu à leur effigie.

Jak & Daxter image du niveau de la lave.

Les vilains bébés du vilain chien

Photo de Jason Rubin et Andy Gavin
Jason Rubin, Crash Bandicoot et Andy Gavin.

En 1994, durant l'ère Ps One, Naughty Dog signa un contrat de trois projets avec Universal Interactive Studios. Un pacte qui engendrera la trilogie Crash Bandicoot, plus un quatrième jeu: le spin off Crash Team Racing. A cette époque, un certain Mark Cerny, alors président d'Universal Interactive Studios, prêta main forte à l'équipe californienne. Si tu es un lecteur habituel de mon blog, tu sais que j'ai déjà parlé de cet artiste, véritable chef d'orchestre de nombreux projets, mais aussi architecte en chef des dernières Playstation. Par la suite, l'homme continuera à apporter son soutien à Naughty Dog puisqu'en 1998, il deviendra consultant pour le studio, mais il viendra en aide également à Insomniac Games sur Ratchet & Clank, autre emblématique série de platformer mettant en scène un duo asymétrique. Ces deux séries ne se contentent de quelques similitudes flagrantes de style, puisque Jak & Daxter ont fait des caméos dans Ratchet & Clank et vice versa. Tout ceci est dû aux étroites relations qu'entretenaient les deux sociétés, durant les années de la PS1, lorsque l'un développait Crash Bandicoot et l'autre Spyro The Dragon: Leur fanbase se mélangeait et ils étaient les deux jeux de plateforme phares d'une même console. Et puis, les deux boites partagèrent une même technologie, en plus d'avoir des bureaux côte à côte. C'est sûr: tout ça aide à forger des liens.

Jak II: Cameo de Ratchet & Clank
Caméo de Ratchet & Clank dans Jak II


C'est dans ces eaux là que Mark Cerny développa sa propre méthode de travail: La méthode Cerny (déjà vaguement évoquée dans mon article sur Sonic & Knuckles) qui, grosso modo, met l'accent sur la pré-production d'un jeu pour vérifier la viabilité du projet. Plus précisément, au lieu d'inonder la préprod de documents, cette approche préconise de laisser cours aux idées des créatifs, puis de faire tester le premier niveau d'un prototype à des joueurs, afin d'aiguiller les développeurs sur la suite de la marche à suivre. Si cette esquisse ne fonctionne pas, alors il vaut mieux la mettre de côté et passer à autre chose, afin de ne pas investir trop de temps, de personnel et d'argent dans un projet. Cette façon de travailler demeurait surprenante, notamment pour l'époque, mais de nombreux studios ont accordé leur confiance à Cerny, dont Naughty Dog, ainsi que bien d'autres firmes de Sony Computer Entertainment, y compris jusqu'à récemment (The Last Guardian et Death Stranding par exemple).

Cette philosophie a donc perduré, même au sein de la gestation de Jak & Daxter. Lors des premières ébauches, il n'y avait pas encore de titre. A la place, "Project Y" était le nom provisoire et le travail pouvait enfin commencer en tout petit comité dans un premier temps, pendant que la plus grosse partie de l'équipe travaillait toujours sur Crash Team Racing. Andy Gavin et Jason Rubin, les deux fondateurs de la société chapeauteront toujours le développement de cette nouvelle IP. En effet, si l'on en croit différentes interviews, les créateurs pensaient déjà à la suite...

Jak & Daxter Concept art de Bob Rafei

Jak & Daxter Bob Rafei Dessin
Deux concepts art signé Bob Rafei.

En ce temps là, Naughty Dog n'appartenait pas encore à Sony, mais il est évident que le rapprochement entre les deux boites étaient déjà présent, à tel point que la firme japonaise confia un devkit PS2 aux papas de Crash. Devkit qui ne passait pas les douanes, obligeant les concernés à faire entrer la console en douce, avant de se donner rendez-vous dans un entrepôt bizarre, comme de vulgaires trafiquants de drogues. Les Dogs ne désiraient plus continuer à pondre éternellement des séquelles au bandicoot le plus déjanté des jeux vidéo. C'est Universal qui continuera de sortir une multitudes d'épisodes à la qualité très variables, mais qui n'atteindront jamais la maestra des produits des concepteurs originaux. De toute façon, les relations ont régulièrement été tendues entre Naughty Dog et le département marketing d'Universal Interactive Studio, à tel point que Mark Cerny, lorsqu'il était encore en poste, devait calmer le jeu entre les deux parties. Parallèlement, la fin du contrat contrariait également Sony qui ne fut guère enchanté de voir leur licence star poper sur la plupart des supports de ses concurrents. Cette transition fut une période sombre également pour Gavin et Rubin qui ne savaient pas où leur société naviguait. Les deux hommes ont même songé à revendre Naughty Dog, à un moment, lorsque la question a été évoqué, lors d'une soirée arrosée à Tokyo, en compagnie de Kelly Flock, qui dirigeait Sony Computer Entertainment America, mais aussi d'Andy McNamara (directeur en chef de Game Informer) et Andy Reiner. Justement, c'est Flock qui posa cette innocente question aux deux fondateurs de Naughty Dog, sur la pente ascendante, à cette époque. Le président de SCEA se disait qu'il était peut être le moment de franchir une nouvelle étape, lorsque l'entreprise était encore sur le toit du monde. Il est vrai que la nouvelle génération de jeux vidéo à venir allait être de plus en plus couteuse à produire, surtout pour les deux créateurs habitués à s'auto-financer depuis les années 80. Et puis Jason Rubin avait été éreinté par le développement de Crash Team Racing. J'imagine aussi que perdre la licence Crash passait mal, même si, globalement, la team avait tout donné sur Playstation, et souhait passer à autre chose.
Le rapprochement entre Sony et Naughty Dog devenait irrémédiablement de plus en plus prégnant. Finalement, Sony acheta donc l'entreprise durant la préproduction de Jak & Daxter. A la fois, cela permettait à l'équipe d'avoir la possibilité de concevoir les jeux qu'ils voulaient, tout en ayant le soutien financier de l'éditeur; Et ce dernier pouvait désormais maintenir dans le giron de la firme, les licences stars de leurs consoles, sans risque de les voir batifoler chez la concurrence. En définitif, il s'agit toujours d'un mariage très heureux puisque le studio a pondu de prestigieuses licences sur Playstation 3 et 4: Uncharted et The Last of Us. Et Naughty Dog a pu étaler toutes leurs ambitions artistiques, de plus en plus couteuse, tout en ayant une assise financière confortable.

Jak & Daxter: John Kim animateur sur le jeu vidéo Playstation 2.
John King, animateur de TALENT, madame.

Assez tôt dans le développement, l'équipe fut bluffér par les animations concoctées par leur animateur, John Kim. La qualité des mouvements de nos deux héros, ainsi que de leurs fluidité, on le doit à cet artiste. Et oui, même ces petits détails, lorsque Jak tournoie, pendant que Daxter tente de rester accrocher sur l'épaule de ce dernier, avec cet effet d'élasticité, c'est également le fruit du travail de John Kim. Manette en main, l'un des axes majeurs s'articulait autour de commandes très réactives, héritage de l'arcade dont venait pas mal de développeurs. Le découpage des animations fait que le joueur comprend assez vite à quel moment les attaques vont se terminer, ou à quelle frame de l'animation va fonctionner le double saut. Cette science du timing et du feedback visuel constituent des atouts primordiaux pour avoir les bonnes sensations dans un jeu de plateforme.
Taylor Kurosaki, le "cinematic director" de Jak 3, révéla que l'équipe avait été impressionné par Mario 64, lorsqu'il planchait sur le premier Crash Bandicoot. Et cette indéniable réussite du premier épisode de Mario en 3D a guidé la marche à suivre pour la création de Jak & Daxter.

Jak & Daxter gif gameplay
Voici une des animations que je trouve admirable et efficace: quand Daxter "s'enroule" autour de Jak, créant un feedback visuel assez intéressant, lorsqu'on effectue l'attaque tournoyante. Il faut savoir qu'il n'était pas évident de faire "cohabiter" deux personnages collés l'un à l'autre. Sur ces consoles là, les modèles 3D avaient encore tendance à se traverser, lorsqu'ils entrèrent en collision. C'est pourquoi il valait mieux éviter de mettre en scène des protagonistes qui s'embrassèrent.

Une des idées de départ a été de créer un jeu un poil plus mature que Crash Bandicoot. Bien entendu, les aventures de Jak et Daxter dépeignait des décors souvent bucoliques et où le slapstick était érigé comme pilier de l'humour, mais, désormais, les auteurs souhaitaient étoffer tout cela via un univers plus vivant, plus crédible, en enrobant notablement ces éléments d'un scénario plus conséquent. Mettre l'emphase sur le caractère des personnages revêtait également d'un pivot du développement.
La création de toutes les ambitions techniques et graphiques ne fut pas sans heurts, puisque les artistes ont dû composer avec d'innombrables bugs et problèmes de caméra. En effet, à contrario de Crash, cette dernière était totalement libre dans Jak et, encore en 2000/2001, les créatifs de par le monde en étaient encore à tester différentes méthodes pour diminuer le syndrome de la "caméra folle" très en vogue dans les années 90. Les créateurs optèrent pour une double approche: celle de la caméra intelligente, affublée d'une IA, qui sait élégamment se faire discrète en aiguillant le joueur, sans se planter dans les murs et le reste du décor; une manière aussi de satisfaire les joueurs plus inexpérimentés qui auraient pu être rebuté par la sophistication de devoir jongler entre manipuler leur avatar en plus de la caméra. Les joueurs plus chevronnés peuvent justement contrôler la caméra si il le désire, avec le stick droit. La société s'est également creusée la trogne pour que cette caméra ne bouge pas trop vite, histoire de ne pas rendre certains joueurs malades. Il y avait encore beaucoup de titres dotés d'une vue qui n'arrêtait pas de bouger trop rapidement, et qui, lors de certains passages, pétait des câbles en pointant dans tous les sens.

Josh Scherr, éminent animateur fraichement embauché par le studio pour les besoins de Jak 1, confia lors d'une interview, qu'il était important que le titre plaise à différentes tranches d'âges, mais aussi à une multitude de cultures. Il fallait qu'il ait une portée universelle. D'où la suggestion de Scherr d'appeler le héros "Jak", un nom d'origine sud-africaine. A côté de ça, la direction artistique distille des relents cartoon mais lorgne également sur la japanime; Final Fantasy étant une autre source d'inspiration pour Naughty Dog. Un moyen de tenter de percer une nouvelle fois au Japon. Pour l'anecdote, Crash Bandicoot avait bien marché sur l'Archipel, mais le protagoniste avait été légèrement retouché pour coller au marché local.
A son arrivée dans les locaux, la principale tâche qui incomba à Scherr fut de s'occuper des animations des cinématiques. L'homme trouva que le travail déjà réalisé était trop statique, sonnait trop "jeux vidéo": Concrètement, les personnages dialoguaient entre eux, via un ballet de champ/contre champ très basiques. Une méthodologie finalement assez courante dans le média, si on met de côté les velléités cinématographique d'une poignée de titre comme Metal Gear Solid. Notre artiste ambitionnait de dynamiser les cutscenes de Jak & Daxter. Certains membre de l'équipe trouvaient ça cool, tandis que d'autres étaient plus perplexes par ces changements. En définitif, l'homme réussit à plier les autres à sa vision. Du moins en partie, puisqu'une portion des cinématiques de Scherr côtoient une autre conçue par d'autres artistes, engendrant des scènes paraissant plus cinématographiques aux côtés d'autres plus "traditionnelles". Ce point précis sera rectifié pour Jak II.


Dessins de Jak & Daxter (Playstation 2)
Concept Art de Jak, Daxter et Keira.

Le nouveau matériel, les coûts de production ainsi que les effectifs qui explosa démontrèrent aux devs qu'il n'était plus viable de sortir un jeu par an, comme à l'époque de la PS1. Il fallait maintenant deux ou trois ans pour sortir un titre parfaitement calibré. Le bébé du studio a d'ailleurs dû repousser sa date de sortie d'un bon mois. Un rafistolage de dernière minute salutaire si l'on en croit les déclaration des artistes. A sa sortie, Jak & Daxter est un triomphe et il constitue une des pierres angulaires de la PS2. Dès sa parution, Naughty Dog s'attela immédiatement sur un nouveau chantier: Jak II, une suite étonnante qui délaissera les recoins champêtres du monde de Jak & Daxter pour assombrir son propos, notamment en métamorphosant son innocent héros, Jak, en protagoniste bien plus plus torturé, doté d'une voix grave, et évoluant dans un univers urbain plus morose. Heureusement, son irrévérencieux compère, Daxter, le rejoindra vite et viendra contrebalancer son partenaire, avec son humour "lumineux". La raison de ce changement d'ambiance fut principalement motivé par la mutation récente du média, puisque, en cette période, GTA III a changé la face du jeu vidéo, en parallèle d'un désir des éditeurs et studios d'échafauder des softs plus "matures". Naughty Dog a, lui aussi, choisi de suivre les tendances pour sa licence, en ouvrant d'avantage la surface de sa suite, et en affublant Jak de flingues mais aussi en incluant plus de véhicules à utiliser. Même si on peut regretter ce parti-pris (ça a été mon cas), il faut reconnaître que c'est une évolution logique de la formule du premier opus: On conserve cette idée de monde ouvert, sans transition, mais en poussant ce concept encore plus loin. Pareillement, les moyens de locomotion étaient déjà en germe dans la tête des artistes, mais ces derniers n'ont pu implanter qu'un seul véhicule pour l'épisode inaugural (comme mentionné plus haut dans mon article). Si on met en perspective tous les softs créés par la société, on se rend compte qu'il y a un renversement: Leurs oeuvres deviennent de plus en plus scénarisés, délaissant l'humour absurde, mais glissant progressivement vers davantage de dramatisation dans leurs récits.
Dans les années 2000, on a même vu l'acrobate et facétieux prince du reboot de Prince of Persia revenir dans une suite plus "émo-dark", sur fond de rock endiablé. C'était ça aussi les années 2000. Les joueurs des 16 Bits, puis des 32 Bits avaient grandi et les développeurs l'ont bien compris...
Jason Rubin et Andy Gavin quittèrent Naughty Dog en 2004, au terme du développement de Jak 3, épisode co-réalisé par une certaine Amy Hennig, la scénariste et réalisatrice des Soul Reaver et de Defiance (quand même), qui deviendra la créatrice d'Uncharted. C'est également sur le projet Jak 3 que l'on retrouvera Neil Druckman, en tant que stagiaire programmeur qui, lui, apposera ultérieurement sa patte singulière sur The Last of Us et Uncharted 4.

Si on excepte les spin off PSP, la série s'acheva au terme du troisième volet. Néanmoins, à l'aube des années 2010, Naughty Dog songea à réaliser un quatrième épisode, aux contours nettement plus réalistes. Cette idée fut définitivement jeter aux oubliettes; les développeurs n'étant pas totalement convaincu par cette nouvelle direction artistique, et puis, j'imagine, conjuguée à d'autres soucis. En attendant un éventuel retour, des fans acharnés se sont amusés à décoder le GOAL afin de concevoir un portage natif PC franchement chouette.
La trilogie a subit une petite cure de jouvance puisqu'elle est ressortie en HD sur Playstation 3, puis sur PS4. Par ailleurs, j'ai pu refaire le premier épisode, durant l'été 2022 sur ma vieillissante PS3, et avec un stick gauche qui commença à rendre l'âme, à la toute fin de l'aventure. Mais JE L'AI FINI KAN MEME !! HE OUAIS !
En 2019, Naughty Dog annonça qu'il reverserait les revenus issus de tous les opus à des associations oeuvrant pour les hôpitaux pour enfants, pour l'environnement, pour l'accessibilité, pour les anciens combattants et pour la cause LGBTQIA+.

Voilà. Je m'arrête donc ici. Si tu as mangé ton repas du midi en lisant ce texte, c'est bien, ça t'aura permis de biiiiien prendre ton temps. De bien mâcher entre chaque bouchée. C'est important de manger lentement, surtout dans notre monde où l'on ne prend plus le temps de s'assoir et miamiamer tranquillement... ou lire un pavé de 20 minutes...

Promis, j'essaie d'écrire un nouvel article dans moins de 6 mois...


Bisous ! 

Moggy


Portage PC réalisé par des fans.

Commentaires

  1. Ah, que ça fait du bien de lire du Moggy et encore plus quand c'est pour revenir sur Jak & Daxter ! Comme toi, ce 1er épisode m'a scotché et a été une "révélation", même si j'avais eu la PS2 day one avec SSX (forcément ^^ mais aussi un certain Ready 2 Rumble, sans oublier la rétro-compatibilité PS1 qui me permettait de jouer à Soul Reaver mais pas que).
    Idem, le tournant pris par les 2 et 3 ne m'a pas convaincu (j'ai acheté les 2 mais je n'ai fini que le 2ème, et encore je ne suis même pas sûr...).
    Encore merci pour ce pavé (de bœuf ^^), ce fût un plaisir à lire !

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Moh hé bien merci beaucoup !! Je suis vraiment content que mon texte t'ait plu ! Vraiment vraiment ravi ! :)

      La rétro PS1 sur PS2, c'était cool c'est vrai. Faudrait que je retente Jak II. J'avais à cet été ou, peut être un peu plus tard cette année...

      Moggy

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