X-Files (Saison 4)

X-Files (Saison 4)


Pour beaucoup de spectateurs, la quatrième saison d'X-Files constitue peut être le point culminant de la série, même si je ne partage pas cet avis. Cette nouvelle salve d'épisodes a été conçu dans un certain chaos en coulisse. Elle n'est peut être pas aussi cohérente que la troisième, avec ses points thématiques et sa structure sans faille, mais elle n'en demeure pas moins fascinante. Elle marque aussi le départ de certains des plus éminents scénaristes de la série, mais accorde une grande place à d'autres plumes. Une saison résolument plus sombre et mélancolique, en plus d'être très certainement plus trash que les précédentes. X-Files est devenu un rendez-vous incontournable et appose définitivement son empreinte dans la culture populaire.

Articles sur les autres saisons:

Les idées nées du chaos

Déjà, pour commencer, Mulder et Scully sont particulièrement beaux et glamour dans cette saison. Les deux agents arborent une coupe de cheveux différente, plus moderne. D'ailleurs, un détail rigolo avec X-Files, c'est qu'il est parfois possible de situer une saison rien qu'avec la coiffure des deux héros, et surtout avec Scully. Cela dit, il est possible d'établir le même constat avec bien d'autres séries TV. Cette réflexion sur le look de Mulder et Scully n'est pas anodine, puisque c'est véritablement dans les eaux de la saison 4 et 5 que le sex appeal des deux stars explosa, jusqu'au point où Gillian Anderson avait été élu la "femme la plus sexy" par divers tops. Duchovny ne fut pas épargné par ce type de classements, à tel point que les deux vedettes apparaissaient ensemble, en couverture des magazines, mais dans des positions indéniablement plus suggestives qu'à l'accoutumée. Même Mitch Pileggi avait son lot de fans qui fantasmaient sur l'inaccessible Walter Skinner. La série allait jouer de cela, en faisant apparaitre le directeur adjoint torse nu, à deux reprises dans cette saison: D'abord dans Tunguska, puis dans Zero Sum.
On peut également commencer à situer dans ces années la naissance du Scully Effect, même si le syndrome a pu germer vraisemblablement bien avant. Grosso modo, le "Scully Effect" décrit l'impact significatif que le personnage éponyme a eu sur les carrières de certaines femmes dans les domaines scientifiques. Effectivement, dans la seconde partie des années 90, on a observé une augmentation notable de jeunes filles qui se sont orientées vers ces filiales, parce qu'elles avaient été fortement influencé par Dana Scully. Le Dr Anne Simon, devenue la conseillère scientifique attitrée sur la série, a même demandé à sa propre classe qui avait été intéressé par la biologie à cause d'X-Files. La moitié de la salle a ensuite levé la main.
Le Scully Effect démontre incontestablement à quel point la représentation des femmes est importante dans les fictions, et à quel point la culture populaire a une influence considérable dans nos sociétés.
A ce propos, c'est grâce à X-Files que, bien plus jeune, j'ai été sensibilisé aux différences de traitement entre les hommes et les femmes. Concrètement, j'avais appris, via la biographie de l'actrice (hé oui), que durant les premières années de la série, Gillian Anderson touchait un salaire bien moins important que celui de David Duchovny. Officiellement, une des raisons invoquée était que celle-ci était inexpérimentée, tandis que son collègue était bien plus connu, d'où la justification de cette différence. Cette dernière a dû batailler longtemps auprès de la FOX, afin qu'elle puisse augmenter son salaire.

Lors de la saison 4, la série est au firmament. Elle ne cesse d'être ambitieuse, même si elle essuie quelques rares revers. Comme je l'ai mentionné plus haut, la saison a été produite avec quelques accrocs en coulisse. Déjà parce que Chris Carter lança sa deuxième série, Millenium, obligeant le showrunner à devoir jongler entre deux oeuvres. Ensuite, ce dernier et son équipe ont dû commencer à plancher sérieusement sur l'écriture du prochain film: Fight The Future, prévu à la fin de la diffusion de la saison 5. De surcroît, la chronologie des épisodes de cette nouvelle salve a été quelque peu perturbé. En effet, pour certaines d'entre eux, il a été décidé qu'ils soient diffusés dans un ordre différent, changeant parfois totalement l'interprétation qu'on peut en avoir. Les cas le plus flagrant concerne Leonard Betts et Never Again qui ont été tous deux interverti.
plus globalement, toute la seconde partie de la saison a été bouleversée par l'ajout de Memento Mori, un mytharc non prévu, qui allait changer la donne. A l'origine, Darin Morgan aurait dû écrire un scénario à ce moment là, mais l'homme s'est désisté à la dernière minute, forçant l'équipe créatrice à improviser un arc entier centré sur le personnage de Scully.
Mais honnêtement, malgré ses nombreux déboires en interne, la saison 4 propose un lot d'épisodes absolument brillants. Elle n'a globalement pas à rougir avec les années précédentes. Elle a permis le retour furtif des talentueux Glen Morgan et James Wong, revenus au bercail, après l'échec de leur propre série, Space: Above and Beyond. Les deux auteurs signent quatre scénarios qui comptent parmis les plus étonnants de toute la saison. Quatre épisodes totalement opposés les uns des autres, et qui bousculent les codes de la série. Le duo quittera définitivement la série au terme de cette année mouvementée, et pas nécessairement en très bon terme avec Chris Carter. Après avoir dirigés la saison 2 de Millenium, les deux auteurs ont éprouvé de la rancoeur, durant de nombreuses années. Une amertume qui se matérialisera plus tard, au travers l'insupportable personnage de Carter, nom emprunté au célèbre showrunner, issu de Destination Finale, le premier gros carton cinéma des deux scénaristes. Un hommage plutôt malheureux donc. Heureusement, Chris Carter et les deux auteurs se réconcilieront bien des années plus tard. Pour preuve, ils retrouveront leurs marques dans le revival de la série.
Vince Gilligan et John Shiban occupent désormais une place nettement plus prépondérante, durant cette année. Avec Frank Spotnitz, ils vont même commencer à élaborer certaines histoires en trio, d'où le fameux patronyme "John Gilnitz", qui est une contraction des noms des trois scénaristes. Ce nom est déjà apparu en guise de clin d'œil dans la saison dernière, et il continuera de poper régulièrement dans la série.
La saison adopte un ton plus mélancolique, teinté d'un aspect parfois plus trash. Peut être plus effronté aussi. La série est bien plus sûre d'elle. Elle ne se repose pas sur ses lauriers et continue d'expérimenter, mais dans un autre registre que l'auto dérision, une des caractéristiques de la précédente saison. Elle sait se montrer follement créative. On sent que cette période de transition, entre anciens et nouveaux scénaristes, a été bénéfique pour conserver une étonnante fraîcheur aux différents scénarios. Pour beaucoup de fans, la saison 4 occupe une place particulière dans leur cœur. Force est de reconnaître qu'elle contient certains des épisodes les plus emblématiques de l'émission.
En revanche, la mythologie semble énormément stagner, cette année. La raison est que l'équipe a bien défini les contours du prochain film et, dorénavant, la série doit éviter de damner le pion scénaristiquement à ce dernier. Le grand fil rouge doit donc ralentir la cadence, en évitant le surplus de révélations, d'où cette impression de temporisation. Cependant, cela ne signifie en rien que l'arc mythique n'est pas intéressant en cette belle saison. Au contraire, les épisodes qui la composent préfèrent miser sur l'introspection, l'émotion, et revêtir un caractère résolument plus intimiste.
En parallèle, la saison 4 revient sur le passé fictif de la série. Cela a déjà été entrevu la saison dernière, à travers les quelques révélations sur le père de Mulder, mais cette nouvelle fournée d'épisodes se permet un retour au source notable, notamment en revenant sur la première saison. Par exemple, un chapitre entier est consacré à l'histoire supposée et personnelle de L'Homme à la Cigarette. On y trouve dedans un renvoi direct au Pilot. Pareillement, le season final se permet de revenir sur le rôle premier de l'agent Dana Scully, lorsqu'elle a été assigné aux X-Files. Tempus Fugit et Max signent le retour d'un très ancien personnage, tandis que Paper Hearts remue le passé de Fox Mulder, en évoquant rapidement un ancien collègue. Au final, X-Files commence tellement à accuser son âge que de tels échos à la première saison provoquent une certaine nostalgie.
 
Bien avant la diffusion en France de cette nouvelle saison, j'ai pu découvrir le magazine officiel X-Files, que j'achetais tous les mois pour épancher ma soif de connaissance sur la série. C'est à travers ce journal que j'ai eu des goodies que j'estimais être indispensables, comme un pin's, le poster I Want To Believe, la carte des États-Unis (avec l'emplacement fictive de tous les épisodes). Mais SURTOUT ! Un des numéros contenait un cadeau mi rigolo, mi douteux: à savoir un paquet de mouchoirs qui arborait le look des boîtes de cigarettes Morley de L'Homme à La Cigarette. J'étais tellement content que je n'ai jamais utilisé un seul mouchoir, ni même pour pleurer devant les aventures de Mulder et Scully. L'effervescence autour de la série avait augmenté d'un cran, car je sentais que je pouvais en parler à plus de monde dans mon entourage. Et pourtant, nous n'étions pas encore arrivés au pic de la popularité du show.


1.HERRENVOLK (Tout Ne Doit Pas Mourir)

L'épisode reprend pile là où Talitha Cumi se terminait. Si on excepte le teaser, le récit commence par une longue course poursuite dans une usine, avec Mulder, Scully et Jeremiah Smith qui tentent de fuir le tueur extraterrestre. Une tonitruante scène évoquant immanquablement Terminator. Au terme de la séquence, Scully se refait enlever par le mercenaire, rappelant la bonne époque d'End Game. La suite de l'épisode est une succession de poursuites, ponctuée de mise en lumière de points de détails de la conspiration. Tandis que Scully essaie de décrypter des fichiers d'un programme gouvernemental d'éradication de la variole, Mulder découvre d'étranges plantations où travaillent des enfants, dont des clones jeunes de sa soeur, Samantha. Herrenvolk introduit pour la première fois les abeilles, un nouvel élément crucial de la mythologie qui, à ce stade, a commencé à perdre les spectateurs les moins attentifs.
Ce qui dessert ce chapitre d'ouverture réside dans le fait qu'il suit Talitha Cumi, un épisode très solide qui balançait des révélations avec désinvolture, au détour d'une phrase. Herrenvolk, lui, ne montre rien d'aussi puissant ou excitant. Il se complaît en digression, et aime rester vague. Il est évident qu'à ce stade de visionnage, les abeilles et les plantations se révèlent être beaucoup trop floues pour qu'on saisisse leur importance.
Il y a donc une démarcation très nette entre la saison 3 et la 4 en terme de philosophie: le mytharc en révélait beaucoup l'année passée, mais le fil rouge va mettre un coup de frein sur les réponses claires, afin de temporiser. Pour paraphraser, Talitha Cumi désirait être d'une clarté, là où Herrenvolk s'empresse à nouveau de brouiller les pistes. Le timing semble donc mal avisé, créant plus de frustration qu'autre chose. L'épisode souffre également de la comparaison avec les époustouflants The Blessing Way et Paper Clip, les ouvertures de la précédente saison, qui donnaient une réelle impression de progression dans l'intrigue. Herrenvolk a plutôt tendance à agacer, comme par exemple ce refus de Jeremiah Smith de donner des réponses précises à Mulder. Tel un personnage de Lost, le gentil alien préfère rester évasif, tout du long. Mulder voit donc des trucs... mais peine à les mettre en perspective dans la constellation du grand complot général, comme nous, spectateurs.

L'épisode détonne visuellement. Lorsque je l'avais découvert à l'époque, via la VHS "Le Projet", j'avais trouvé que l'image avait changé. Et ce n'est pas une hasard étant donné que John Bartley, le directeur de la photographie, venait de quitter la série. Ron Stannet, son remplaçant, a été renvoyé en plein tournage, car, visiblement, "il éclairait la série comme un feuilleton". Il fut très vite remplacé par John Joffin, mais la production avait malheureusement perdu du précieux temps de tournage. Une conséquence directe fut que Carter ne put réviser correctement le scénario, d'où cette déroutante sensation que cette seconde partie du diptyque semble moins excitante que la précédente. Comme je l'explique dans mon introduction, le showrunner lançait Millenium qui connut un chouette départ pour son pilot. mais les audiences se sont très vite effondrées, L'homme songea de plus en plus à s'éloigner d'X-Files, voir même de quitter le navire. Il confia les rennes d'X-Files à Howard Gordon, qui ne se sentait clairement pas à l'aise de devoir piloter un tel chantier, et encore moins de passer après l'excellente troisième saison. Dans l'esprit de Carter, X-Files se terminerait idéalement au terme de la saison 5, et que le film constituerait une sorte de feu d'artifice final. Si possible la franchise délaisserait le petit écran pour migrer dans les grandes salles de cinéma. Il semble évident que lors de la conception de la saison 4, des bruits de couloirs faisaient sentir que la FOX ne laisserait pas la série filer comme cela, et perdurerait probablement au delà des plans initiaux de Chris Carter. Toutes ces incertitudes, tous ces imprévus précipitèrent donc le début de la quatrième année dans la confusion.

Néanmoins, et malgré tous ces déboires, Herrenvolk n'est absolument pas une catastrophe. Loin de là. Au contraire, il s'agit d'un mytharc très sympathique. Il contient de merveilleux moments visuellement forts, à l'instar de cette usine isolée, au début, mais surtout le lieu où se situent les étranges plantations. En outre, l'épisode est célèbre pour la mort de Mr.X. Une scène magistralement mise en scène par un R.W Goodwin inspiré. Le réalisateur déclara qu'il était décidément abonné au fait de mettre en valeur les morts de nombreux personnages, à l'instar de Gorge Profonde, mais aussi Bill Mulder et Melissa Scully. Malgré la réussite de la scène, l'intrigue s'empresse ensuite de présenter Marita Covarrubias, la nouvelle informatrice de Mulder, amoindrissant l'impact de la mort de X. Pour comparer, ce dernier met plus d'un épisode pour apparaître, après la mort de son prédécesseur. On entend d'abord sa voix dans The Host, et n'apparaît physiquement que deux chapitres plus tard, dans Sleepless. Herrenvolk bâcle cette attente en passant d'une scène à l'autre. Ce n'est pas dramatique, mais cet empressement jure au milieu d'un métrage qui ne fait que temporiser. Ce fort contraste demeure désagréable.
Il y a eu des discussions au sein de l'équipe afin de sceller le destin du protagoniste. En l'état, les scénaristes ne savaient plus quoi faire avec lui. Deux choix se présentèrent: soit lui octroyer une place plus importante, ou soit purement et simplement l'éliminer. C'est la seconde option qui fut retenue, au grand dam de Steven Williams, vraiment déçu de disparaitre de la série. Plus globalement, la production entière partageait sa déception, car l'acteur était vivement apprécié par l'ensemble du staff. Williams a fait de son possible pour mourir dignement. Comme pour Jerry Hardin, Chris Carter rassura l'acteur en lui affirmant que "personne ne meurt réellement dans X-Files". Il est vrai que le premier informateur de Mulder est ensuite apparu dans l'au delà, dans The Blessing Way, puis Jeremiah Smith emprunte son apparence dans Talitha Cumi. Il réapparaîtra encore ultérieurement. Pour se rassurer, Williams s'imagina que X n'était pas vraiment mort, et qu'il avait tout manigancé en secret. Une manière de dédramatiser son départ. En outre, cette tragédie permettait à l'acteur de pouvoir jouer à temps plein dans la série L.A Heat.

Herrenvolk brille également pour sa précision scientifique. Cela peut paraître paradoxal pour une série qui tord le cou à la science afin de justifier divers phénomènes paranormaux. Mais Anne Simon, la conseillère scientifique attitré de la série, relata qu'un ami et sa classe furent sidérés de l'exactitude du diaporama que présentent Scully et l'agent Pendrell à leurs supérieurs du FBI. 
L'aspect "road movie" de la partie centrée sur Mulder se révèle également assez plaisant. Ces séquences démontrent une réelle tension, lorsque les personnages sont poursuivis par le mercenaire extraterrestre. Elles sont d'autant plus efficaces qu'elles bénéficient de pauses salutaires, notamment lorsque Mulder et Smith rencontrent les clones dans les plantations. Le point culminant se trouve être ce moment où les deux protagonistes, accompagnés d'un clone de Samantha, se cachent dans une ruche d'abeilles. C'est une séquence remplie de suspense qui fonctionne merveilleusement bien. Le décor ajoute une dimension singulière à la scène. Tourner avec des abeilles (en réalité de faux bourdons), s'est révélé être compliqué, comme on peut s'en douter. Les insectes n'étaient pas supposés piquer en l'absence d'une reine. Mais ce ne fut pas le cas. Pour l'anecdote, Vanessa Morley, l'actrice qui jouait la jeune soeur de Mulder, s'était faite piquer par des abeilles, lors du tournage, mais était restée silencieuse. Elle se manifesta à la toute fin, lorsque Goodwin cria: "Coupez !" C'est à ce moment que la jeune fille s'écria: "Aïe !" Le réalisateur, ému, fit fabriquer un médaillon "coeur violet" signifiant "bravoure au delà du devoir" que Gillian Anderson elle même remit ensuite à la fillette. Hé oui oui ! Je sais. L'actrice s'appelle Vanessa Morley... Comme la marque de cigarettes fictive de L'Homme à La Cigarette. C'est cocasse.

Impossible de ne pas mentionner cette superbe introduction, avec ce réparateur électrique, victime d'une piqure d'abeille, qui meurt subitement en tombant d'un poteau, sous les yeux d'une ribambelle d'enfants clonés. La séquence est magistrale et sait se montrer effrayante, malgré l'étonnant parti pris de la tourner en plein soleil. La non réaction des enfants face à la mort de l'homme se révèle extrêmement gênante. Assurément, un des meilleurs pré-génériques de toute la mythologie.
Cette seconde partie du diptyque résoud le sort de Teena Mulder en la sauvant, grâce à l'étonnante intervention du Smoking Man. Je pense qu'il aurait été abusé de tuer la mère du héros, à peine un an après que ce dernier ait perdu son père. Cette tragédie aurait semblée too much. 
En définitif, Herrenvolk constitue le premier relatif faux pas dans le grand fil rouge scénariste, notamment à cause des innombrables problèmes en coulisse qui ont alimenté le début de cette année. Il souffre indéniablement de la comparaison avec l'arc qui le précède, mais il n'en demeure pas moins très intéressant. De surcroît, il demeure plus important qu'il ne paraît, même si le récit tente de brouiller l'esprit du spectateur, avec l'ajout de nouvelles pièces de puzzles à cette conspiration, qui ne cesse de s'étendre.



2. HOME (La Meute)

Nous y voilà. Le fameux épisode qui a tant effrayé la chaîne. Home est remarquable pour plusieurs raisons. Tout d'abord, il a été le premier épisode à recevoir un avertissement parental pour contenus violents par la FOX. Par ailleurs, il n'a jamais été rediffusé ensuite. Mais le film est tellement dérangeant que de nombreux spectateurs le citent, même s'ils ne l'ont vu qu'une seule et unique fois. La présidente du comité des Standards and Practices a failli avoir un malaise, lorsqu'elle découvrit l'épisode. JP Finn, un des producteurs de la série est venu voir Chris Carter pour lui dire qu'ils ont été trop loin cette fois. Aborder le sujet de l'inceste d'une telle façon était vraiment délicat selon lui. Heureusement, l'équipe créatrice eut gain de cause et ont obtenu le feu vert pour la diffusion de ce chapitre. Il est évident qu'un tel métrage aussi dérangeant aurait été impossible lors de la conception des saisons 1 et 2. L'immense succès d'X-Files a rendu possible la parution de Home.
Imaginez comment le staff a pu convaincre un gros network de laisser passer une histoire de trois frères consanguins qui séquestrent leur propre mère, amputée des quatres membres, et attachée à une planche à roulette, que les frangins rangent lorsqu'ils ont fini de la féconder. Ensuite, lorsque cette dernière accouche de nouveaux nés, les hommes s'empressent d'aller les enterrer vivants, dans leur grand terrain. Heureusement, il y a des éléments qui permettent "d'adoucir" quelque peu le propos: Tout d'abord, l'apparence des frères est rendue difformes afin de limiter leur humanité. Ensuite, la mère est finalement leur principale complice dans toute cette affaire. Et même si Home est très certainement l'épisode le plus choquant et dérangeant de toute la série, il est malgré tout conçu avec goût, si on peut dire. La simple présence de Mulder et Scully suffit à rassurer. Il n'y a pas de phénomènes paranormaux spectaculaires ici. Il s'agit juste d'une histoire familiale de consanguins comme il existe depuis des lustres. Le seul élément vaguement fantastique réside dans le fait que chacun des frères Peacocks semblent être le père du bébé enterré, que la police local a déterrée. En définitif, la production a dû tout de même batailler sévère pour imposer cet épisode, bien plus que tout ce que le show a pu proposer jusqu'à aujourd'hui. Il y a également comme une sorte de fierté et de confiance absolue d'avoir eu l'idée d'un tel script, comme si X-Files se sentait désormais presque invincible et sûre d'elle.

Home n'est pas célèbre uniquement parce qu'il repousse les limites de ce qui était possible de montrer à la télé, dans les années 90. L'épisode mérite tant d'éloges, car il est tout simplement extrêmement solide. Son scénario ne laisse rien déborder, et sa réalisation sans faille compte parmi les plus impressionnantes de tout le show. Home est juste un des segments les plus ambitieux visuellement jamais pondu. On sent que Kim Manners a mis du coeur à l'ouvrage. En effet, le réalisateur désirait ardemment construire l'oeuvre comme un film d'horreur classique. Il est vrai que l'homme excelle dès qu'il s'agit d'élaborer des épisodes qui lorgnent clairement vers l'horreur pure. Ses travaux sur Humbug et surtout Die Hand Die Verletzt démontrent sa maîtrise dans les codes horrifiques. Il est très certainement le metteur en scène le plus apte à créer une atmosphère dans ce genre là. Le pré-générique est à ce titre absolument macabre, lorsqu'on assiste à la naissance du nouveau né, dans des conditions épouvantables et rudimentaires. Puis, nous sommes témoins de sa mise à mort, renforcé par ce plan dérangeant qui adopte le point de vue du bébé qui se fait enterrer vivant. Absolument terrible ! Plus tard, l'exécution du couple Taylor se montre effroyable. Très certainement une des scènes les plus choquantes de toute la série. Pourtant, le meurtre des deux amants est filmé hors champ, mais la réalisation sait se montrer glauque. Déjà, la séquence commence par dresser un parallèle entre les frères Peacocks qui partent de chez eux en voiture, avec la guillerette chanson "Wonderful Wonderful", mêlée aux plans du shérif Taylor qui va se coucher tranquillement avec sa femme, chez lui. On connaît l'issue de la scène, et c'est cette attente qui est insoutenable. 
Et puis, il y a tout le dernier acte qui voit nos deux agents pénétrer dans la demeure piégée de la famille, donnant l'impression qu'ils entrent dans un lieu dont ils risquent de ne jamais en sortir. Sans oublier l'autopsie sur le bébé difforme, incontestablement la plus dérangeante que Scully ait pu effectuer. Plus généralement, les scènes de jour sont tournées en plein soleil, privilégiant les cadres posées, tandis que les scènes de nuit sont plongées dans les ténèbres, multipliant les plans hollandais audacieux, mais aussi de très gros plans et autres vues subjectives.
D'un point de vue production design, Home est impeccable. On sent que l'équipe a trouvé l'épisode inspirant, et bien décidé à parfaire l'exécution du métrage. L'influence de Tobe Hooper et de son Massacre à La Tronçonneuse semble prégnant ici. Kim Manners déclarera plus tard qu'il s'agit d'un de ses épisodes préférés. C'est même ce dernier qui désirait utiliser la chanson "Wonderful ! Wonderful !" car il a toujours trouvé que ce genre de musique avait un côté glauque. Johnny Matthis, le chanteur original de la musique, refusa que sa propre version soit utilisée, en raison du contenu choquant du scénario.

En outre, il s'agit du premier scénario de Glen Morgan et James Wong, depuis leur départ de la série, d'où l'idée d'avoir intitulé leur premier scénario "Home", comme un petit clin d'œil de leur retour au bercail. Pour marquer le coup, les deux écrivains souhaitaient choquer en repoussant les limites de l'horreur. Pari réussi si on en croit l'excellente réception critique, et l'effroi des responsables de la FOX. Les scénaristes ont de toutes façons décidé de casser la baraque avec les quatres histoires qu'ils avaient à l'esprit, lorsqu'ils sont revenus sur X-Files. En outre, ils estimaient que la saison 3 proposaient peu de récits d'horreur, contrairement aux deux premières. Cependant, les deux artistes furent étonnés de la réticence qu'ont éprouvé certaines personnes, alors que la série avait déjà proposé des histoires sordides par le passé. En effet, il est bon de rappeler que les fans furent divisés au sujet de cet épisode: certains l'ont adoré, tandis que d'autres ont été écoeuré. Le temps a clairement réhabiliter le film. Je ne peux m'empêcher de me dire que les deux auteurs savaient pertinemment qu'ils étaient en train de franchir une limite. Même si tout ce qui a été proposé jusqu'ici pouvait être horrible, à l'instar de segments comme Irresistible, Tooms ou encore Die Hand Die Verletzt, aucun d'entre eux n'abordaient aussi frontalement des sujets comme la consanguinité, dépeinte après un prélude qui affiche un effroyable accouchement.
Le titre "Home" peut également être interprété comme un sous texte du malaise qu'ont ressenti Morgan et Wong à leur retour. Tout d'abord, cette situation n'était pas tributaire d'une quelconque envie de revenir, mais motivé par l'échec cuisant de leur propre série. Plus précisément, ils acceptèrent d'écrire de nouveau pour X-Files en échange d'avoir la possibilité de lancer le pilote de The Notorious, leur nouveau programme. Ensuite, le duo avait l'impression de ne plus être à leur place, depuis leur départ à la fin de la saison 2. Les choses avaient changé, et le reste du staff a dû se passer de leur présence. Le "retour chez soi" peut donc signifier qu'on n'est pas toujours bien accueilli à la maison. La preuve avec la sinistre demeure des Peacocks. 

Plusieurs influences ont germé lors de la conception du scénario. Mais la plus étonnante est sans conteste une anecdote tirée de l'autobiographie de Charlie Chaplin. Un passage précis relate le séjour que la star a passé dans une pension de famille, lorsqu'il était en tournée en Angleterre. La famille qui tenait l'établissement appréciait vivement l'artiste, et l'invita à l'étage en lui disant: "Monte ! On va vous montrer quelque chose qu'on ne montre pas souvent." Une fois en haut, l'homme se retrouva dans une pièce avec un lit de camp et une vieille ampoule suspendue en l'air. Ensuite, le père frappa dans ses mains, et un jeune homme blond, sans jambes et à la tête surdimensionnée et plate, sortit de sous une commode. Le paternel insista: "Aller Gilbert ! Saute !" Les gens autour de Chaplin se mirent à chanter et danser, pendant que l'homme amputé se débattait dans tous les sens. L'acteur fut terrifié par la scène, mais fit mine d'être enthousiaste, car désarçonné. Une fois terminé, ils allongèrent le jeune, puis ce dernier se "rangea" sous le meuble. Les membres de la famille demandèrent: "C'était génial, non ?" "La grenouille humaine !" Ajouta le père. Glen Morgan a été profondément marqué par ce passage, à tel point qu'il désirait réutiliser cette image morbide un jour. Cette séquence a donc été la base sur laquelle les deux auteurs ont pu travailler.

Home revient sur un des thèmes forts de la série, à savoir la disparition des petits coins perdus des Etats-Unis, conséquence d'une mondialisation qui grignote tout. Humbug suggéra déjà cet état de fait, lorsque Blockhead déplorait la disparition des petites communautés excentriques, au profit d'êtres humains au physique identique. La ville cannibale d'Our Town s'en prenait aux gens de l'extérieur qu'elle désignait comme dangereux. La secte Amish aliens de Gender Bender s'écartait volontairement du monde qu'elle estimait inutilement violent. Même les forces de l'ordre voient d'un mauvais oeil l'arrivée d'agents du FBI, symbole de la grande ville venue s'immiscer dans leur petite ville, comme le démontre DPO. Home apporte sa pièce à cette édifice thématique, avec le shérif qui explique à Mulder et Scully que les habitants ne ferment pas leur porte ici. Que la violence des métropoles est bannie. Malgré tout, avant de se faire tuer, Taylor contemple une dernière fois le paysage sur son perron, avant que tout ça ne disparaisse. Il y a là une forme de nostalgie. Même si X-Files porte un regard tendre sur ces petits endroits isolés, elle n'hésite pas non plus à les critiquer en affirmant que ces petites communautés cachent de sombres secrets, parfois d'une violence inouïe. Les saisons ultérieures continueront d'aborder ce sujet avec des épisodes très réussies, comme The Post Modern Prometheus (saison 5), Roadrunner (saison 8) ou encore The Gift (saison 8).
Il est toujours amusant de voir Mulder et Scully comme un symbole des grandes villes qui adoptent des comportements réellement différents de leurs homologues des petites communautés. Dans Home, les deux agents semblent gênés qu'il n'y ait pas de quoi fermer à clef leurs chambres d'hôtel. A tel point que Mulder n'est pas rassuré, et qu'il préfère bloquer sa porte avec une chaise.
Home apprécie pervertir le concept du rêve américain en s'attaquant à la famille traditionnelle, ainsi qu'à ses valeurs. La petite ville présentée dans cette histoire représente les contours reluisants d'un monde sans mondialisation, tandis que les Peacock en reflètent les aspects les plus sombres.

L'épisode est remarquable pour cette discrète scène entre les deux héros qui conversent sur un banc. Scully semble horrifiée en imaginant ce qu'a pu endurer cette potentielle mère qui vient de perdre cet enfant aux innombrables malformations. Elle se projette elle-même sur cette "victime", tandis que Mulder ne semble pas compatir aussi fortement que sa coéquipière. Même si le dialogue entre eux est doux, il suggère qu'il subsiste un fossé entre les deux héros. La scène a été écrite afin de mettre en évidence l'idée que Mulder et Scully ne se connaissent pas aussi bien qu'ils ne le pensaient. 
Home a été le troisième épisode produit, mais il est le deuxième a avoir été diffusé. Ce chamboulement dans la programmation, comme mentionné dans mon texte introductif, est devenu un motif récurrent cette saison. Cela dit, il est intéressant de dresser un parallèle entre Home et DPO. Le deuxième a souffert d'être passé après la trilogie Anasazi, tandis que le premier n'a pas eu trop de problème de passer après Herrenvolk. On sent que ce dernier n'a pas été un mytharc aussi "traumatisant" que le fameux triptyque. Ce n'est pas nécessairement une critique, mais juste un constat intéressant de noter. 
Il n'est pas exagéré de considérer Home comme une pierre angulaire de la série. Un morceau qui a forgé la réputation de l'émission, et dont on se souvient des décennies plus tard. Morgan et Wong ont distillé de la rage dans leur scénario et  cela a porté ses fruits, conjugué en plus à l'enthousiasme indéniable de Kim Manners à la réalisation. Un cocktail parfait qui a contribué au succès de l'épisode.



3. TELIKO (Teliko)

Teliko pose quelques problèmes. C'est un petit épisode parsemé de bons moments, notamment son teaser dans l'avion, mais aussi son climax, dans le chantier de construction. Deux moments assez forts. Globalement, Howard Gordon maîtrise toujours le rythme de ses récits. En outre, traiter une affaire sur un immigré africains, fraîchement arrivé aux Etats Unis pour commettre des meurtres, aurait pu facilement mal tourner. Heureusement, l'histoire évite de se montrer problématique à ce niveau là, notamment parce que Gordon à tenté de verrouiller tout ce qui aurait pu se révéler mal placé, voir même raciste. L'auteur prend soin de glisser dans les dialogues des deux héros plusieurs phrases éradiquant toute ambiguïté, comme lorsque Mulder se montre scandalisé qu'on minimise le meurtre de ces victimes afro-américaines, et qu'on fasse passer toute cette affaire pour une histoire de contamination. On retrouve là une des caractéristiques de l'agent, à savoir sa défense pour les désœuvrés et les laissés pour compte. Comme nous l'avions vu dans les articles précédents, Howard Gordon a parfaitement cerné le personnage de Mulder, depuis le début. Lors de son monologue final, même Scully souligne que le racisme et la xénophobie sont des maux problématiques dans nos sociétés, en ajoutant que la peur de l'étranger nous empêche de chercher à comprendre. Ce sont des notes d'attention louables, même si un peu poussives, et qui ne sont malheureusement jamais pleinement intégrées à l'intrigue. Cela ressemble plus à des dialogues pour se prémunir de toutes attaques de racisme. Et c'est dommage de ne pas avoir réellement poussé ces points thématiques.
Néanmoins, malgré toutes ces précautions, il y a quelques bizarreries qui subsistent dans le film: Tout d'abord, lorsque le Scully reçoit la photo de la première victime, elle s'étonne de tomber sur une cliché d'un homme blanc, alors qu'il est clairement évident qu'on a affaire à un cas étrange, et que le cadavre a une apparence surprenante. C'est une réflexion totalement à côté de la plaque pour une scientifique telle que Scully. 
Ensuite, difficile de ne pas faire la rapprochement avec le virus Ebola. Dans le récit, il y a comme un vent de panique dans les hautes instances, lorsqu'elles constatent ces curieux décès. L'épisode se place dans une inconfortable position semblant critiquer ces pays étrangers qui propagent de terribles maladies. Comme si on ne pouvait pas s'empêcher de faire de tels rapprochements, dès qu'un épisode traite d'un pays africain. L'association entre thème de l'Afrique et virus semble donc mal venue. Il est vrai que la panique autour d'ebola était encore d'actualité, à cette période, mais il est dommage que toute la première partie insiste là dessus. En définitif, ces maladresses créent une dissonance avec les bonnes intentions sur le sujet du racisme, comme susmentionné.

Teliko souffre également des nombreuses similitudes qu'il partage avec Squeeze et Tooms: Samuel Aboha est un être qui a un besoin biologique de tuer, à l'instar de Tooms. Sauf que le premier doit se nourrir de la mélanine de victimes noires pour survivre, tandis que le second doit dévorer des foies. Aboha a également la faculté de se glisser dans des endroits exigus, et il a aussi des yeux d'une couleur atypique. Même son comportement évoque Tooms, puisqu'il se révèle peu loquace, et a tendance à ne répondre que par "oui" ou "non". Sauf que Aboha sait sourire, en plus de se montrer plus charmant et vulnérable. En fait, nous ne savons pas s'il n'aime pas parler ou s'il ne sent pas à l'aise avec l'anglais. De toute façon, nous n'apprenons pas grand chose sur ce personnage. Il manque singulièrement de consistance. Pourquoi semble-t-il à venir aux Etats Unis, alors qu'il y a pourtant moins de noirs qu'au Burkina Faso. Cela semble donc contreproductif pour lui de franchir la frontière. En plus, s'en prendre aux minorités dans ce grand pays paraît subitement plus suspect. Les autorités se rendent bien compte que le tueur a une préférence pour les victimes noires, à tel point que Mulder crie à la conspiration. On dirait que le scénario n'arrive pas à justifier les raisons de l'arrivée de l'antagoniste au pays de la liberté. 
Rien n'est révélé sur ses origines ou sur ses motivations. Tooms était un mutant mystérieux, mais on apprenait des détails plus ou moins importants sur lui qui apportaient de l'épaisseur au protagoniste: son travail jusqu'à son âge présumé. Toutes ces ressemblances plombent en partie l'intérêt de l'épisode. Les renvois au premier tueur de Mulder et Scully sont parfois troublants, comme le conseiller en immigration qui soutient Aboha, qui évoque furieusement le psychologue attitré de Tooms. Ce n'est pas la première fois que la série réutilise ce trope du mutant qui survit en se nourrissant d'un attribut humain. 2Shy versait à nouveau là dedans. Ceci étant dit, Virgil Incanto s'éloignait suffisamment d'Eugene Tooms de part son caractère charmeur et manipulateur. Aboha s'approche dangereusement de la copie carbonne de son modèle. Il se distingue cependant avec sa sarbacane qu'il cache dans son oesophage, mais aussi de part sa personnalité plus sympathique. Mais même les scènes de mises à mort manquent d'intérêt. Elles sont finalement assez plates.

Howard Gordon a reconnu avoir eu du mal à donner corps à son scénario. A l'origine, l'auteur planchait durant un mois sur un récit mettant en scène un homme immortel, mais il n'arrivait pas à construire une intrigue autour de ce pitch. Gordon traversa une période très stressante qui lui provoqua à nouveau des insomnies, comme à la bonne époque de Sleepless. Teliko a donc été produit sous pression: "c'était complètement à côté de la plaque" déclara l'écrivain lorsqu'il présenta sa première ébauche de scénario à Chris Carter. Ce dernier est resté calme et a convoqué Frank Spotnitz et d'autres membres de l'équipe pour restructurer toute l'intrigue. Le showrunner a demandé au staff: "pourquoi racontons nous cette histoire ?" Et au terme de plusieurs discussions, ce dernier eut l'idée d'élaborer le script autour de cette phrase: "Tromper, séduire et obscurcir". Gordon a donc réécrit son scénario avec ce thème fort à l'esprit. Le résultat s'est apparemment révélé être plus fort, malgré les nombreux ratés du métrage. Je parais sévère avec Teliko car il demeure tout de même relativement sympathique. En fait, les réussites de l'épisode résident vraiment dans les interactions entre les personnages principaux, entre Mulder et Scully, évidemment, mais aussi avec Skinner: j'adore cette scène dans laquelle le directeur adjoint préfère d'abord discuter de l'enquête avec Scully, plutôt que Mulder, soulignant le fait que cette dernière serait plus diplomate que son imprévisible collègue. Même la scène avec Marita Covarrubias reste sympathique. Bon, même si cette dernière ne se distingue pas encore suffisamment, en tant que nouvelle informatrice de notre héros. A ce niveau là de l'émission, elle donne juste des infos à Mulder, mais c'est tout. On ne voit pas en quoi elle diffère de Gorge Profonde ou Mr X. A côté de ça, le passage avec l'agent Pendrell est adorable, lorsque ce dernier fait mine d'être dégoûté, après que Mulder ait blagué en insinuant que Scully avait un rendez-vous. Finalement, ce sont surtout ces petites scènes qui se montrent les plus savoureuses. 

Teliko n'est vraiment pas un épisode déplaisant à suivre, mais impossible de nier qu'il n'en constitue pas un moment marquant de la série. Honnêtement, je pense même qu'il s'agit d'un des points faibles de la saison 4. Il est juste moyen. Cela dit, il est déjà infiniment plus intéressant que Teso Dos Bichos, c'est déjà ça de pris. La réalisation de James Charleston s'en sort avec les honneurs. Willie Amakye, un membre de l'équipe olympique d'athlétisme gahnnéenne, a été choisi pour incarner Samuel Aboha. C'était un acteur relativement novice, mais très agréable et volontaire, d'après Charleston. Une anecdote qui m'a marqué est que Amakye avait un couple d'amis à Los Angeles. Les deux amoureux venaient de voir Teliko avec leurs enfants, et quand l'acteur leur a demandé leur avis sur l'épisode, ils ont répondu: "Willie, on t'aime beaucoup, mais reste loin des enfants pour l'instant." En effet, ces derniers avaient été terrifié. C'est mignon et triste, en même temps.
Au final, Teliko n'est pas antipathique, mais il est un de ces chapitres un peu ennuyeux, dont on n'en retient pas grand chose. C'est tout de même dommage d'avoir intégré autant de personnages secondaires, et avoir changé l'accroche finale du générique pour un épisode aussi dispensable.


4.UNRUHE (Les Hurleurs)

Unruhe est un chouette récit de tueur en série. Vince Gilligan, déjà auteur de Pusher, se débrouille très bien lorsqu'il s'agit de raconter une histoire centrée sur un psychopathe. Pruit Taylor Vince est excellent dans le rôle de Gerry Schnauz, cet homme qui a sombré dans la folie, après avoir perdu sa soeur. Une sacrée guest star pour ce début de saison. L'écrivain pensait justement à cet acteur, lors de la conception du scénario, car il l'avait trouvé convaincant dans le fameux L'Echelle de Jacob. Un rôle avait été proposé à l'acteur, lors de la saison 1, mais il déclina l'offre, jugeant son apparition trop courte. 
L'élément fantastique du récit provient des photographies psychiques du tueur: effectivement, son esprit influence les appareils photos en diffusant des images conceptuelle de son subconscient. C'est un accroche terriblement efficace, notamment pour le teaser. C'est un peu un des plaisirs de la découverte d'un nouvel épisode d'X-Files: lorsqu'on visionne un pré-générique, on s'amuse à déceler quel sera le phénomène paranormal à l'œuvre. Alors, malheureusement pour les impatients pour moi, je connaissais déjà le synopsis de chaque segments, avant la diffusion de chaque nouvelle saison. L'image étrange que développe ce photographe, juste après le passage de la première victime dans sa boutique, intrigue suffisamment pour accrocher le spectateur. A ce titre, il faut savoir que la production a préféré placer cet épisode ci, à la place de Teliko, pour la première diffusion de la série le dimanche soir. L'équipe s'est judicieusement dit qu'Unruhe serait un meilleur candidat pour aller grappiller une nouvelle audience. Concrètement, Millenium, la toute nouvelle oeuvre de Chris Carter, allait prendre la place d'X-Files sur le créneau du vendredi.  Il est presque étrange d'ailleurs que le staff ait conçu Unruhe juste après le lancement de la nouvelle série. La sœur ainée tentait presque de vampiriser la petite dernière. En effet, le scénario de Gilligan aurait très bien pu convenir à Millenium, un spectacle qui se concentre davantage sur les tueurs en série et le mal que les hommes s'infligent. La saison 4 a une étrange tendance à damner le pion de la jeune série avec des épisodes comme Home, Unruhe, The Field Where I Died ou encore Paper Hearts qui traitent de thèmes similaires à Millenium. Cela met clairement en évidence la flexibilité de X-Files, qui a un spectre scénaristique bien plus large que Millenium. En effet, cette dernière se restreint globalement aux mêmes thématiques, mais dans un ambiance plus noire que les aventures de Mulder et Scully. La suite, on la connait: X-Files continuera à consolider son insolent succès, pendant que Millenium sombrera dans l'indifférence, au fil des semaines. Un coup dur pour Chris Carter qui n'a jamais véritablement su réitérer ne serait-ce qu'un cinquième du succès d'X-Files.

Pour en revenir à Unruhe, j'ai personnellement toujours été fasciné et effrayé par les photographies dans les fictions. Je ne sais pas... ces images figées qui révèlent d'étranges éléments m'ont toujours fait flipper. Par exemple, la scène où Ray et Igon développent leurs pellicules dans leur chambre noire, dans Ghostbusters II a toujours bien fonctionné sur moi. Il était donc évident qu'Unruhe allait avoir un intérêt tout particulier pour mon esprit. En outre, il s'agissait d'une histoire qui ne pourrait pas exister aujourd'hui, à l'ère du numérique et des smartphones. Les Polaroids et autres gros appareils sont devenus des vestiges du passé. Ce qui effraie dans ce genre de récits est le suspense induit par la découverte des photographies. Scroller sur un téléphone ne produirait pas le même effet. Par exemple, si Gerry affectait les téléphones, la mise en scène serait irrémédiablement différente. Il faudrait donc réfléchir autrement afin de générer une peur similaire avec ces nouvelles technologies.
Même si j'adore ce concept de photographies mentales, leurs contours demeurent assez floues dans l'intrigue: elles ne servent pas à grand chose au début. Ce n'est que lorsque Scully se fait enlever par Gerry que Mulder y trouve une réelle utilité. Sinon, on ignore comment ce dernier affecte réellement les pellicules. Pourtant, la série s'efforce généralement à lâcher une ou deux phrases via Mulder pour justifier la manière d'agir de X ou Y phénomènes paranormaux. Dans Unruhe, tout reste dans le flou. Si j'étais facétieux, je pourrais affirmer que c'est raccord avec le titre "Unruhe" qui signifie "confusion" ou "trouble" en allemand. En outre, j'ai toujours été désarçonné par la scène où les photographies prédisent la mort du tueur. Comment est-ce possible ? Il y a donc des questions en suspens qui auraient mérité un développement supplémentaire.

Finalement, malgré l'obsession de Mulder pour ces photos, ces dernières n'aident clairement pas l'agent à appréhender le tueur. C'est au contraire Scully qui retrouve la trace de ce dernier, au moyen de bonnes vieilles méthodes de profilage. Tandis que Mulder reste fasciné par le don de Schnauz, en occultant presque la cruauté de l'affaire, sa partenaire estime que ce pouvoir constitue être un détail superficiel. Elle se montre plus touchée par les victimes, ainsi que par les motivations réelles de l'antagoniste. Les deux héros ne sont pas sensibles aux mêmes choses dans cette enquête. Je le rappelle, les fantasmes tordues imagées du tueur ne serviront que dans le dernier acte, pour sauver Scully.
Unruhe a généré un débat sur l'utilité d'avoir fait enlever Scully dans cette dernière partie. Si le film avait été placé en saison 2, il aurait incontestablement posé problème. Néanmoins, il est placé en début de saison 4, juste après Teliko dans lequel, lors du climax, l'héroïne vient au secours de son collègue. A ce stade de vie de la série, ce n'est donc pas complétement déconnant, et je trouve la polémique injustifiée. De surcroît, l'affaire elle-même affecte l'héroïne car, à mi parcours, elle ne désire plus en voir davantage. Elle est bien évidemment bien moins touchée que par Donnie Pfaster d'Irresistible, car de l'eau a coulé sous les ponts depuis, mais les enquêtes qui impliquent des sévices sur des femmes troublent Scully. Il semble clairement manifeste que cette histoire d'enlèvements et de tortures médicales sur des femmes trouvent un échos chez notre enquêtrice. Mais Unruhe est intéressant, car il ne mentionne jamais directement l'enlèvement de Scully. C'est au spectateur perspicace de déceler cette subtilité. 

L'incontestable réussite du métrage est Gerry Schnauz lui même. Au delà de l'incarnation parfaite de son interprète, le personnage est captivant. La scène d'interrogatoire avec Scully est merveilleuse. On retrouve également des images visuellement très forte, comme dans tous les scripts de Vince Gilligan. Si on excepte les photographies abstraites, l'image la plus mémorable de l'épisode est celle du tueur sur des échasses. Cette scène trouve écho à l'un des thèmes chers à son auteur, à savoir celui des petits hommes qui rêveraient être des grands, comme le suggère ici Mulder, lorsqu'il tente de décoder la photographie de la première victime: "il est soit très grand, ou alors il voudrait l'être".
L'auteur sait vraiment rendre fascinant ses personnages centraux, et ce dès son premier script, Soft Light, qui arrivait à électriser la figure de Chester Banton, le malchanceux scientifique à l'ombre mortelle. Gerry est intéressant car il pense formellement qu'il aide toutes les femmes, en les lobotomisant avec un pic à glace. Il se montre sincèrement compatissant, lorsqu'il s'adresse à Scully en lui dévoilant qu'elle a un esprit troublé. Son regard change complètement à ce moment là. C'est donc un type qui tente de faire le bien en créant le mal. Il croit tellement dur comme fer à l'existence de ces hurleurs qu'on en vient à être partagé entre l'empathie et l'effroi. Cette ambivalence que l'on éprouve avec de tels protagonistes sera vraiment l'apanage de l'écriture de Gilligan pour ses séries Breaking Bad, puis Better Call Saul.

L'auteur prend malin plaisir à jouer avec nos peurs. Déjà, les apparitions fantomatiques fonctionnent à merveille, mais aussi le fauteuil de dentiste où sont emprisonnés les victimes de Gerry. Une image que l'artiste trouva angoissante, car il se disait que beaucoup de monde détestait les dentistes. L'homme raconta que lorsqu'il a rendu visite à son propre dentiste, quelques temps après la diffusion de l'épisode, l'écriteau "Twilite Sleep" trônait fièrement sur le mur du cabinet. Peut être était-ce qu'une pure coïncidence. La scène dans laquelle le tueur pique le pied de Scully et surgit ensuite de sous une voiture renvoie à une légende urbaine sévissant dans les années 90. Elle relatait le fait que des hommes se cachaient sous les voitures, notamment dans les centres commerciaux, pour ensuite couper le tendon d'Achille des femmes, avant de les attaquer. Par la suite, les gens se montraient très prudents et vérifiaient leurs voitures régulièrement. X-Files continue donc d'intégrer toutes sortes de peurs modernes à ses récits, comme une parfaite synthèse d'une multitude de peurs de son époque.
Gilligan a énormément été influencé par les livres sur la vie des tueurs en série qu'il a lu, lorsqu'il était très jeune. Il a particulièrement été marqué par celle d'Howard Unruh qui s'est, un beau jour, promené dans son quartier du New Jersey et a abattu 13 personnes en moins de 12 minutes, avec un luger qu'il avait rapporté de la guerre. Cette sordide affaire datait de la fin des années 40. Le livre conclut par la révélation que "Unruhe" signifiait "agitation" en allemand. Vince Gilligan se disait alors: "ça ne s'invente pas un truc pareil !"
Gillian Anderson a adoré ses scènes avec Pruit Taylor Vince quelle admirait véritablement. Elle était particulièrement fière des échanges entre son personnage et le sien. Cette confrontation tendue entre le meurtrier et Scully évoque immanquablement le climax de Pusher, également fruit du travail de Vince Gilligan.

A noter qu'une scène a été coupé du montage final. Dedans, Mulder parlait au téléphone à un médecin au sujet de sa mère. Une fois la conversation terminée, Scully demandait des nouvelles à son partenaire qui lui répondit que sa mère allait mieux, mais qu'elle devait rester encore un peu à l'hôpital. A l'origine, Unruhe était le deuxième épisode produit, et il aurait dû suivre Herrenvolk, créant une continuité avec ce dernier, comme avait pu le faire DPO, après Paper Clip, la saison précédente. Comme finalement il a été décidé de déplacer Unruhe en quatrième position, la scène paraissait superflue.
L'épisode profite également de la magnifique mise en scène de Rob Bowman qui transforme n'importe quel script en mini film époustouflant. Plusieurs scènes bénéficient de son excellente expertises, comme celle où Scully regarde Gerry et comprend que c'est lui le coupable. S'ensuit la course poursuite, lorsque le tueur s'échappe avec ses échasses. Pareillement, l'ombre du ravisseur qui s'agrandit derrière Marie Lefante, la première victime, lors du teaser est absolument angoissante. Le superbe plan de grue, lorsque Scully tombe sur le sol, après s'être faite piquer par Schnauz est également remarquable. Saluons également le superbe travail de la monteuse, Heather MacDougall, qui excelle plusieurs fois à superposer deux scènes parallèle afin de créer de la tension. D'abord celle où Mulder et Scully sont au téléphone, et où le premier explique la présence de jambes étrangement grandes de l'ombre sur la photographie fantasmée de Gerry, tandis que Scully, de son côté, comprend qu'il s'agit de l'homme qui se tient devant elle. Plus tard, les plans alternés entre Mulder découvrant Scully sur une nouvelle photo, puis celles de cette dernière se faisant agresser par Gerry, bénéficient également d'un certain sens du timing. 
Unruhe demeure donc un épisode très solide et fichtrement bien fichu. Globalement, la saison 4 brille lorsqu'il s'agira de s'intéresser à des tueurs en série, et plus généralement à l'exploration de la part sombre des individus.



5. THE FIELD WHERE I DIED (Le Pré Où Je Suis Mort)

Pendant très longtemps, je voyais souvent The Field Where I Died cité dans le top des meilleurs épisodes d'X-Files, notamment dans la presse française. Les critiques louant le romantisme et la poésie de l'histoire. J'ai toujours été très perplexe par toutes ces éloges. Cependant, j'ai appris, bien des années plus tard, que l'épisode a été polarisant au sein de la communauté de fans. Les shippers, le petit nom donné aux fans de fictions qui rêvent d'une histoire entre deux protagonistes, ont été outragé que Mulder ait vécu une idylle avec une autre femme que Scully dans des vies antérieures. D'autres n'ont juste pas accroché au concept même de l'intrigue. Et puis, il y a ceux qui ont crié au génie. Personnellement, je n'ai jamais réussi à pleinement cerner ce segment. Parler de vies antérieures n'est pas forcément inintéressant, mais c'est un épisode qui m'a toujours semblé forcé dans ses intentions. En premier lieu, la prestation de Kristen Cloke est quelque peu embarrassante. Non pas que l'actrice soit mauvaise dans l'absolu, mais donner vie à un personnage aux multiples personnalités est en soi assez casse-gueule. Et lorsque Melissa cède son corps à Sydney puis à la petite Lilly, je ne peux peux m'empêcher de trouver ces changements de comportements (et surtout ces changements de voix) un peu ridicules. Dans le script original, Melissa avait d'autres personnalités, mais la durée du métrage a dû être amputé d'une vingtaine de minutes. Pourtant, Glen Morgan et James Wong, qui signent ici leur second scénario pour la saison, ont écrit l'épisode spécialement pour l'actrice, une ancienne transfuge de leur défunte série, Space: Above and Beyond. En effet, une des conditions de leur retour dans le staff a été de pouvoir inviter plusieurs acteurs provenant de Space. Tucker Smallwood, qui incarnait le shérif Taylor dans Home, faisait partie du casting de la série pilotée par le duo. Par ailleurs, Cloke était en couple avec Glen Morgan, et ce dernier a dédié l'épisode comme une lettre d'amour à sa compagne. De ce fait, The Field Where I Died ressemble plus à l'exploration de ce thème plutôt qu'à un X-Files réellement pertinent.

En outre, les deux écrivains désiraient concevoir une intrigue pour mettre en valeur les talents de comédien de David Duchovny. Mais encore une fois, le bilan semble plutôt mitigé. Sa soudaine dispute avec Scully dans la voiture est vraiment tendue, mais les passages censés être les plus bouleversants sont globalement ratés. Comme malheureusement ce point culminant où Mulder entre en hypnose régressive et relate ses vies antérieures. L'acteur surjoue jusqu'à ce moment un peu gênant où il pleure. C'est terrible car la direction d'acteurs déconne plusieurs fois comme tel. On retrouve ici cette caractéristique de l'agent qui se montre incroyablement empathique envers les personnes brisées, à l'instar d'Oubliette. Son cynisme s'érode parfois au profit d'un besoin de romantisme. Sauf que Mulder se révèle ici être plus agaçant qu'émouvant. Même son comportement envers Scully provoque de l'énervement.
Cependant, le constat n'est absolument pas catastrophique, car tout ce qui entoure ces points noirs se montrent parfois convaincant, comme l'ajout dynamique de Skinner à l'intrigue. C'est toujours un plaisir non dissimulé, lorsque l'équipe intègre intelligemment son casting régulier à la série. A côté de ça, Michael Massee incarne merveilleusement bien Vernon, ce gourou de secte prêt à sacrifier tous ses sujets. L'acteur désirait jouer son rôle de manière totalement normale, en évitant de le rendre diabolique à première vue. D'après lui, il voulait que son personnage croit fermement en ses foutaises. Son interprétation se révèle juste glaçante. De surcroît, la finalité de l'intrigue est réellement étonnante: lorsque Vernon arrive à mettre son plan à exécution, en tuant tous ses fidèles. Mulder, Scully et Skinner restent impuissant à empêcher ce massacre. Cette séquence est d'autant plus poignante qu'elle rappelle le siège de Waco, une secte réelle où les membres ont trouvé la mort, en 1993. La scène dans laquelle Mulder pénètre dans cette grande salle remplie de cadavres et terrifiante. Mais en même temps, Rob Bowman l'enveloppe d'une étrange douceur. The Field Where I Died est globalement un petit film filmé avec délicatesse. Je le critique beaucoup depuis le début, mais force est de constater que l'épisode est absolument unique dans la série, démontrant l'extrême flexibilité de cette dernière. C'est encore aujourd'hui un morceau de télévision totalement étonnant. Alors placer dans son contexte d'époque, sa singularité reste clairement salutaire.

Ce qui peut troubler, au delà de la direction d'acteurs pas toujours très fine, est la manie du métrage qui ne lésine pas à surligner l'émotion. Il est conçu sans concession, et sans retenue. Certains critiques l'avaient trouvé mièvre ou fleur bleu, et c'est le cas, mais ce n'est pas nécessairement un défaut. Je suis totalement pour des fictions qui lorgnent à fond sur le sentimentalisme. Ce n'est donc pas un problème, à titre personnel. Le soucis avec The Field Where I Died est que son côté excessif ne fonctionne pas toujours. Ensuite, le fait que l'épisode évolue en vase clos est dommageable. Pour être plus précis, les révélations sur les vies antérieures de Mulder et Scully ne trouvent jamais échos dans de futurs récits. Melissa, la soi-disant âme soeur de Mulder, disparaît de la série après l'épisode. Il n'y aura plus aucune mention à elle plus tard. Pour une femme qui demeure indispensable à toutes les vies de notre héros, il semble donc assez mal avisé de ne jamais avoir glissé ne serait-ce qu'un clin d'œil à cette histoire d'amour. Même Max Fenig de Fallen Angel a eu droit à un easter egg, avec sa casquette que conserve Mulder, dans son appartement. Cette absence ultérieure aux événements relatés ici amoindrie considérablement l'intrigue.
L'aspect excessif se retrouve aussi dans la propension à ce dernier de croire si vite en l'existence de ces vies antérieures. En outre, même si on connaît la manie qu'a le personnage à faire confiance aveuglément, il semble pourtant étrange qu'il croit si rapidement aux visions de Melissa, alors qu'il la connait que depuis une heure. The Field Where I Died demande une grosse dose de suspension volontaire d'incrédulité au spectateur pour être pleinement apprécié. Lors d'une conversation avec Mulder, la jeune femme explique que cette histoire de réincarnation est charmante et qu'elle voudrait y croire. Un sentiment partagé par le spectateur: Effectivement, l'épisode propose un concept initial vraiment intéressant, mais il faut y mettre un peu du sien pour plonger pleinement dans cette histoire.
Les phénomènes paranormaux à l'œuvre ici se révèlent être positif, ce qui est assez rare dans X-Files. C'est la seconde fois que le duo de scénaristes préfèrent apporter un peu de lumière à cet univers habituellement si sombre et anxiogène. C'est une bouffée d'air frais rafraîchissante après avoir sonder la part sombre de l'espèce humaine, avec Home puis Unruhe. Glen Morgan avait probablement besoin de concevoir un épisode porteur d'espoir, car l'homme venait de traverser une période de divorce extrêmement douloureuse. Il venait de rencontrer Kristen Cloke qui l'a revigoré et aidé à surmonter sa douleur. On ne doute donc pas de la sincérité avec laquelle le scénario a été écrit, et c'est tout à l'honneur de l'artiste. 

Il est amusant de noter à quel point The Field Where I Died est diamétralement opposé à Home, tant dans sa tonalité que dans sa vision. L'un est optimiste, tandis que l'autre est pessimiste. Plus globalement, les quatre scénarios du duo en cette saison 4 sont tous très différents les uns des autres. Par extension, ils se permettent même d'être à part des épisodes qui les entourent, signés par d'autres écrivains. Jon Joffin, le nouveau directeur photo, exécute un superbe travail sur la lumière. Il a longtemps secondé John Bartley, lorsqu'il dirigeait la seconde équipe de tournage, et il a su parfaitement reprendre le flambeau de son prédécesseur. C'est la première fois que les deux scénaristes ont pu collaborer avec Rob Bowman. Glen Morgan a même regretté qu'ils aient pu travailler ensemble que tardivement. L'auteur a énormément apprécié l'implication du réalisateur: ce dernier désirait connaître tout ce que les deux auteurs voulaient, tant d'un point de vue émotionnel ou scientifique. Lors d'une interview, Morgan raconta que, lors d'une réunion, il expliqua à Bowman ses inspirations pour l'épisode, et notamment une scène du documentaire de Ken Bums sur la guerre de sécession, où ils lisent la lettre de Sullivan Ballou. A ce moment là, le metteur en scène a pris son téléphone et demanda à ce qu'on lui apporte le CD. Et il passait ensuite son temps à écouter la musique, afin de s'en imprégner. C'est une bonne chose que l'artiste ait récupéré le CD car, de l'aveu de Morgan, la lettre lue par Sullivan avait tendance à le faire fondre en larme. 
Comme mentionné plus haut, l'épisode durait initialement bien trop longtemps. Certaines coupes ont été malheureuses selon Morgan. L'une d'elle donnait plus de poids aux arguments de Scully qui était convaincue que Melissa avait un trouble dissociative de la personnalité, et non qu'elle était habitée par des réincarnations. Plus précisément, une scène montrait Mulder et Scully passer devant un panneau qui indiquait "Sullivan Field" et un autre "Kavanaugh Road". Ce passage aurait octroyé une dimension plus ambivalente à l'intrigue, et la théorie de l'héroïne aurait annihilé cette incohérence qui suppose, lors de la séance d'hypnose de Mulder, que L'Homme à La Cigarette a été un agent de la gestapo. Or ce n'est pas possible étant donné que le teaser d'Apocrypha, dans la saison 3, montrait un flashback présentant le personnage jeune, lors de l'année de la destruction du ghetto de Varsovie. Son âme ne pouvait donc pas occuper un autre corps, à ce moment là. 
Je suis curieux de savoir à quoi ressemblait la version longue de l'épisode. Est-ce qu'il se serait révélé plus fort ? Quoiqu'il en soit, et malgré mon avis plutôt négatif, je suis tout de même admiratif du jusqu'au-boutiste de ce segment. The Field Where I Died est indéniablement bancal, mais il n'en demeure pas moins une œuvre totalement unique, que ce soit au sein d'X-Files, et même, plus globalement, à la télévision. Une jolie petite fable difficile à totalement haïr, et qui tente des choses, même s'il se plante régulièrement. Il fait partie des expérimentations audacieuses qui divisent mais qui ont su créé le débat au sein de la fanbase.



6. SANGUINARIUM (Sanguinarium)

Sanguinarium n'est absolument pas subtil. Il représente même une certaine assurance qu'a acquis la série dans les limites de ce que l'on peut montrer à la télévision, sur un gros Network. Justement, j'ai apprécié la violence décomplexée de l'épisode. On dirait que depuis la validation de Home, l'équipe créatrice tente à nouveau de titiller le département de la censure de la chaîne, afin de vérifier s'il n'y aurait pas moyen de réitérer l'exploit de proposer un autre épisode choquant. La chaîne était aux aguets depuis la diffusion de Home. De ce fait, ils ont regardé les séquences de Sanguinarium image par image pour voir ce qui était possible d'être conservé. Chris Carter a dû redoubler d'effort pour garder une bonne portion des effets violents.
Cependant, Sanguinarium n'est pas un grand X-Files, contrairement à Home, mais il n'en demeure pas moins assez jouissif. L'adolescent en manque de sensations que j'étais était assez satisfait. Le cadre de l'hôpital et de la chirurgie esthétique semblait judicieux. Les hôpitaux sont des lieux craints par beaucoup de monde, dont moi même. J'ai une sainte horreur des piqûres et, pire encore, des prises de sang. Rien que m'imaginer devoir me faire opérer me file des angoisses. Il fallait donc bien que la série s'empare de cette peur populaire. Le récit s'attarde sur la vulnérabilité des patients, au moment de se faire opérer. Il est vrai que, lorsqu'on est sous anesthésie (ou pas d'ailleurs), nous sommes totalement à la merci des médecins qui manipulent ensuite notre corps. Cette idée est évidemment très terrifiante et Sanguinarium joue avec cette donnée, comme le démontre cette scène avec cette patiente, très inquiète de l'opération qu'elle va subir. Malheureusement, elle va devenir une malheureuse victime du Dr Franklin qui va la défigurer. Il y a aussi l'idée sous-jacente des bavures en milieu hospitalier qui nous traversent l'esprit, lorsqu'on doit passer du temps là bas.
Même si j'ai énormément de sympathie pour Sanguinarium, il ressemble presque à un défouloir plutôt agréable. Cependant, l'aspect trash du métrage n'a clairement pas été du goût de tout le monde. Certains spectateurs l'ont trouvé vulgaire. C'est un épisode presque humoristique par moment, comme en témoigne la dernière phrase prononcée par le médecin qui vient de s'acharner sur un patient, au terme du teaser: "Je crois que j'en ai fini avec la vidange !" C'est évidemment un trait d'humour noir.
Et puis, il y a plein de petits détails qui parsèment le segment démontrant la volonté de ne pas se prendre trop au sérieux. Même si le sujet est lourd, on a l'impression que l'équipe s'est surtout amusée à relâcher les valves via un petit film d'horreur pas très fin.

Et pourtant, il n'en est rien: le tournage n'a pas du tout été agréable: le scénario a changé de direction plusieurs fois, et certains éléments ont été retirés, puis d'autres rajoutés. Même si le gore peut être plaisant, force est de constater qu'il a l'air de servir de cache misère à un scénario plutôt faiblard. Il s'agit du premier script des soeurs Valery et Vivian Mayhew pour la télévision, et on sent que le développement du scénario a été quelque peu hasardeux. Une partie de l'équipe a retravaillé l'histoire afin de la rendre plus cohérente. C'est James Wong et Glen Morgan qui ont suggéré aux deux autrices que "les choses les plus banales sont les plus effrayantes." Et c'est là qu'a germé l'idée des médecins qui perdent le contrôle de leurs facultés. L'hôpital est un endroit familier, mais que se passerait-il s'il devenait un lieu de cauchemars ? L'influence du duo Morgan et Wong infuse l'épisode, puisqu'il évoque furieusement Die Hand Die Verletzt, avec sa magie et ses démons, mais aussi avec ce comité hospitalier qui discutent entre eux. Effectivement, même s'ils ne sont pas satanistes, la scène où ils se parlent autour d'une table, comme s'ils complotaient, évoque indéniablement le pré-générique de l'épisode suscité. Les deux auteurs vétérans ont suggéré un chirurgien comme idée d'antagoniste, en ayant en tête le thème de la vanité. Ils ont tous ensuite intégrer la sorcellerie et l'occultisme au récit.
Howard Gordon et Vince Gilligan ont également contribué à mettre leur grain de sel. L'inexpérience des Mayhew se fait ressentir dans ce chapitre. En effet, il s'agissait de leur premier script pour la télé, et elles ont décrit leur apprentissage comme long et mouvementé. Et cela peut se comprendre, car travailler dans X-Files a demandé une exigence phénoménale pour leurs auteurs. Une des raisons pour laquelle de nombreux scénaristes ont jeté l'éponge après seulement un ou deux épisodes. Mais tous les ans, l'équipe tente d'intégrer un scénario en freelance, car cela lui permettait de tenir la cadence des 24 épisodes par semaine. Un rythme véritablement éreintant. 

Sanguinarium est en partie sauvé par l'exceptionnelle réalisation de Kim Manners qui prouve une nouvelle fois qu'il est le candidat idéal pour sublimer l'horreur. Il est évident que, sans lui, l'oeuvre s'écroulerait. Les mises à mort son graphiquement impressionnantes et c'est, en partie, ce qui sauve le métrage. La scène où le docteur Franklin s'arrache le visage constitue probablement l'un des passages les plus dégoûtants de toute la série. Celle de la baignoire pleine de sang où surgit Rebecca Waite, l'infirmière sorcière, est aussi plutôt bien fichue, en plus d'évoquer Misery. Mais même avec ses bonnes intentions un peu gonzo, force est de reconnaître que Sanguinarium est un épisode faiblard. Disons qu'il est parsemé d'idées intéressantes, mais le scénario ne creuse jamais ses thématiques. Parler de chirurgie aurait pu créer un lien pertinent avec Humbug, qui prédisait le crépuscule des imperfections physiques humaines. Traiter de la sorcellerie aurait également pu constituer un chouette postulat, mais une fois Rebecca éliminée, l'épisode n'en fait plus rien. Les soeurs Mayhew exploreront davantage ce thème lorsqu'elles travailleront sur Charmed, quelques temps après. Sanguinarium possède un incroyable casting secondaire avec O-Lan Jones et Richard Beymer, qui campent respectivement L'infirmière Waite et le docteur Franklin. Ce dernier est même un ancien transfuge de Twin Peaks et ancien collègue de David Duchovny. Visiblement, les acteurs et le reste de l'équipe ont été impressionné par Jones. David Duchovny a par exemple adoré travailler avec elle. Vraiment dommage que son personnage soit éliminé à mi parcours. Gillian Anderson a déclaré que c'était un des dossiers les plus répugnants qu'elle ait tourné. Elle se cachait les yeux lorsque le docteur poignarde son patient. Son compère, lui, a trouvé l'opus très amusant à tourner. Une anecdote amusante réside dans ce moment où la directrice des normes et pratiques de la chaîne a vu l'épisode. Elle est ensuite allée voir Valery et Vivian Mayhew, et ses premiers mots à leur encontre ont été: "Et vous avez l'air de filles tellement normales !" Même si cette anecdote de tournage m'a toujours fait marrer, il faut reconnaître qu'elle pose également problème, car ce genre de commentaires est malheureusement courant, dès qu'un artiste créé des oeuvres violentes ou sombres. Comme s'il fallait être socialement douteux pour avoir des idées noires en tête, puis les appliquer dans un livre, un film, un jeu vidéo ou une peinture. C'est d'autant plus vrai pour les femmes: certaines personnes vont trouver plus dérangeant que des femmes élaborent des œuvres traitant de la noirceur humaine. C'est très réducteur de penser ainsi.

Le manque de subtilités du métrage devient de plus en plus agaçant, au fil du déroulé, comme la révélation de l'identité du réel bad guy, en la personne de Franklin, qui voit le personnage léviter hors de son lit. Une scène un poil ridicule. Vraiment, j'ai toujours eu la sensation que Sanguinarium tentait de réitérer le succès de Die Hand Die Verletzt, mais en se loupant la plupart du temps. Les petites touches d'humour sont vaguement rigolotes, comme ces passages où Mulder regarde son nez, suggérant que même un bel homme comme David Duchovny peut être complexé. Le balai à l'extérieur de la maison de Rebecca est un autre petit détail visuel amusant. Mais tout ça ne suffit pas à donner du poids à l'ensemble. Après la diffusion de Sanguinarium, la production a reçu énormément de lettres de mécontentements de membres de la Wicca et de la magie rituelle, parmi le public d'X-Files. Ces sympathisants en colère ont accusé l'épisode d'irrespect, de diffamation et même de blasphème, à la surprise des soeurs Mayhew, qui avaient justement pris soin de ne froisser personne.
Mais malgré toutes les critiques énoncées, je ne peux pas m'empêcher d'éprouver de la sympathie pour l'épisode. Je crois que c'est juste agréable d'avoir une petite parenthèse qui ne se prend pas la tête. C'est juste effectivement dommage qu'il ne soit que ça, alors que son contexte et son propos auraient carrément pu donner lieu à un petit film plus ambitieux. En définitif, il n'est qu'un petit X-Files sanglant et amusant. Rien de plus.



7. MUSINGS OF A CIGARETTE-SMOKING MAN (L'Homme à La Cigarette)

Que voilà un spectacle audacieux. Un gigantesque flashback qui revient sur une partie de la biographie du super méchant L'Homme à La Cigarette. Il s'agit de la première fois qu'un épisode entier se consacre exclusivement à un personnage secondaire. On a déjà eu Avatar, qui mettait Skinner au centre d'une affaire, mais aucun protagoniste n'avait eu son propre épisode, pas même Mulder et Scully. En effet, il n'y a jamais eu une histoire entière qui revenait exclusivement sur le passé d'un des deux héros. Musings of A Cigarette Smoking Man constitue donc un étonnant morceau de la série: l'intrigue commence avec Frohike des Lone Gunmen qui relate tout ce qu'il a trouvé sur l'antagoniste. S'ensuit une longue rétrospective d'une partie de la vie supposée de l'homme à la cigarette. La réussite est totale ! Il s'agit d'un des épisodes les plus mémorables de toute la série et Mulder et Scully n'apparaissent quasiment jamais: on entend seulement la voix du premier, et la seconde n'apparaît qu'en flashback, lors d'une redit du pilot. Il s'agit donc de la première fois que David Duchovny n'apparaît pas du tout dans un opus. Bien évidemment, Musings s'intègre forcément dans l'arc mythologique, puisqu'il a comme point central l'un des grands instigateurs du complot, mais un mytharc très singulier dans sa structure narrative. On apprend donc que le smoking man a connu Bill Mulder à l'armée et que le smoking man serait l'assassin de JFK, puis de Martin Luther King. Je dis "serait" car le titre de l'épisode reste volontairement ambigu sur ce qui est relaté. En effet, le "musings" signifie "réflexions" mais peut évoquer "rêveries". De plus, c'est Frohike qui raconte l'histoire sur la base des recherches qu'il a réussi à obtenir. Ce qui est décrit dans le récit est donc à mettre au conditionnel. Cependant, on peut aisément se dire qu'une bonne partie doit être vraie, à l'instar de la scène où le smoking man et Gorge Profonde sont ensembles, pour ensuite voir ce dernier abattre le fameux extraterrestre. Tragédie qui hanta l'homme à tout jamais et qui l'a ensuite motivé à se racheter auprès de Fox Mulder. Idem en ce qui concerne les évènements en périphérie de l'assignation de Dana Scully aux affaires non classées, qui semblent incontestablement réels. De plus, l'attitude de L'Homme à La Cigarette, prêt à tuer Frohike, tende à prouver que tout est véridique. Glen Morgan déclara: "L'épisode est une parodie des théories du complot. Mais dans le contexte de la série, j'aimerais croire que cela lui est arrivé". L'écrivain ajouta: "L'épisode donne l'impression qu'il pourrait s'agir d'un film imaginaire de Frohike ou du Cancer Man, mais pour moi, c'est la réalité. C'est tout aussi crédible que tout ce qu'on a vu dans la série". Et il a raison: pourquoi cela semblerait si absurde que le Smoking Man ait été un acteur actif d'autant moments importants de l'Histoire américaine ? 

Il s'agit donc du troisième scénario du duo Morgan et Wong. Sauf que la configuration de travail est un chouia modifiée, puisque cette fois, c'est Glen Morgan qui écrit l'épisode et James Wong qui le réalise. Alors, apparemment, le premier a tout de même mis son nez dans la production, tandis que le second a eu son mot à dire sur le scénario. Comme pour leurs autres contributions dans la saison, ils ont encore une fois dynamité les codes du show pour créer une oeuvre parfaitement singulière. Tout d'abord notons la structure sous forme de pièce de théâtre shakespearienne, en quatre actes distincts, mais aussi la nature même de l'intrigue qui, pour la première fois, n'est pas une enquête à proprement parlé, mais une biographie centré sur un personnage. Ce parti pris se montre enthousiasmant, d'autant plus que l'œuvre est vraiment jubilatoire. Il nous porte un autre regard sur cet antagoniste. Au terme de l'épisode, il demeure toujours un être extrêmement dangereux, mais maintenant son humanité transparaît comme jamais. En outre, il se révèle définitivement pathétique. C'est un puissant qui a ruiné de nombreuses vies, mais ses tentatives désespérées de devenir un écrivain le rende touchant. Morgan affirma qu'ils voulaient explorer une facette plus poétique de cet homme. On sent ici que le personnage est bercé d'une grande solitude. Il a du pouvoir mais il demeure tellement seul, exactement comme il l'affirme lui même, face à Mulder, dans One Breath, un autre grand scénario de Morgan et Wong. Il y a même cette scène presque mignonne, quand le fumeur offre des cadeaux de Noël à ses collègues; en réalité la même sinistre cravate. On ne peut s'imaginer le personnage entrer dans une boutique et acheter les cravates. Au terme de cette séquence, ses collègues lui demandent s'il veut bien venir fêter Noël avec eux et leurs familles. L'homme décline ensuite en affirmant qu'il doit lui aussi revoir sa famille. La suite nous révèle qu'il revient seul dans son appartement vide. Cependant, entre temps, il s'arrête devant la porte du bureau de Mulder, et on entend ce dernier pianoter sur une machine à écrire, soulignant que les deux hommes partagent cette même forme de solitude.

Il y a aussi ce fameux renvoi à Forrest Gump, lorsque notre bad guy disserte sur la boîte de chocolats, assis sur un banc. Comme dans ce film, Musings reprend cette idée d'un personnage aux premières loges de plusieurs événements importants des États-Unis, à l'instar de Forrest. Sauf que ce dernier offrait une image positive, tandis que L'Homme à La Cigarette a semé mort, manipulation et tristesse. L'épisode évoque bien évidemment aussi JFK d'Oliver Stone, avec son côté "reconstitution" de certains grands faits historiques. L'intrigue de Morgan entremêle théories du complot et théorie des grands hommes. Cette dernière expose comment de simples personnes, à la forte volonté, peuvent changer le cours de l'Histoire. Une théorie controversée par des arguments affirmant que de tels individus ont forcément été façonné par la société qui les a elle-même éduqué. Ils ne sont que le produit de cette dernière. Musings s'amuse donc à subvertir ce concept en le mélangeant habilement avec les théories du complot qui adorent simplifier l'Histoire. Il est malin que l'épisode possède plusieurs grilles de lecture, dont une d'elle expliquerait le remaniement des évènements relatés de l'Histoire par L'Homme à La Cigarette lui même, via les romans qu'il écrit. Si on interprète l'intrigue comme telle, notre antagoniste simplifierait donc la réalité pour se donner le bon rôle. 
Musings of A Cigarette Smoking Man est un épisode particulièrement stylisé. En effet, chaque acte se révèle visuellement très distinct: le chapitre sur l'assassinat de JFK est baigné dans une vive lumière. Celle sur Martin Luther King est en noir et blanc, ensuite nous retrouvons les teintes plus communes de la série, sur la dernière partie.

Malgré les incontestables réussites de l'épisode, la production ne s'est pas déroulée sans accroc. Mais cette fois, il n'y pas réellement eu de soucis de tournage, mais de très forts désaccords sur la nature même de l'émission. Tout d'abord, William B. Davis était évidemment ravi d'avoir un chapitre entièrement dédié à son rôle. Cependant, il déchanta rapidement à la lecture du script. L'acteur trouvait le scénario trop fantaisiste, et il ne se sentait pas à l'aise avec. James Wong a ensuite diné avec lui pour le rassurer. Ce dernier expliqua qu'il trouvait le script horrible et qu'il ne reconnaissait pas son personnage. Chris Carter non plus n'était pas ravi. A l'origine, le titre original fut "Mémoires d'un homme à la cigarette". Le showrunner a donc effectivement préféré changer le nom pour ajouter de l'ambiguïté aux événements relatés. De plus, ce changement permettait d'excuser les incohérences temporelles du script. En effet, Morgan et Wong ont reçu beaucoup de messages de fans qui expliquaient que les flashback de Musings ne collaient pas du tout avec le teaser d'Apocrypha. Effectivement, ce dernier se déroulait en 1953, et le personnage fumait déjà des cigarettes, en plus de connaitre Bill Mulder. Dans Musings, on y apprend que l'antagoniste rencontre le père du héros en 1961, et il ne fumait pas du tout à ce moment là. Les deux auteurs ont été passablement agacé, car personne dans l'équipe n'a relevé l'erreur. Le duo avait l'excuse d'avoir été absent de l'année précédente, même s'ils ont pu préalablement rattraper leur retard, en visionnant toute la saison 3. Wong expliqua en interview:  "Si quelqu'un avait dit, "vous savez, dans la troisième saison, on a dit ça et ça", on aurait changé ça. Mais personne ne nous l'a dit. Et les internautes disent "ça n'a plus de sens !", et maintenant, on passe pour des idiots. On a une part de responsabilité, évidemment; on ne savait pas. On ne s'en est pas rendu compte". 

Dans le script original, Frohike devait mourir, mais Chris Carter s'opposa à cette idée. Il estimait que le trio était trop important pour qu'ils se fassent abattre comme tel. Le showrunner pensait que ce meurtre affaiblirait l'Homme à la Cigarette. Il estimait que le Lone Gunmen était une cible trop facile pour lui, et donc une préoccupation inutile. Qu'il valait mieux que ça. Morgan n'était pas satisfait de cette retouche, considérant que, au contraire, épargner l'un des trois copains de Mulder diminuait la menace du principal bad guy de la série. De plus, on peut imaginer l'agacement de l'auteur, car c'était finalement lui et son compère qui ont créé les Lone Gunmen. Ils estimaient vraisemblablement qu'ils avaient le droit de vie et de mort sur leur création. Cependant, on peut aisément imaginer la colère des fans, étant donné le succès du trio. De quoi débattre sur la fameuse question: à qui appartient les personnages d'une fiction ? Et, plus généralement, à qui appartiennent les oeuvres publiées ? A leurs créateurs ou au public ? Quoiqu'il en soit, ce changement de fin n'a pas plu à Glen Morgan. On peut ironiquement y déceler un parallèle avec Musings, dans laquelle L'Homme à La Cigarette découvre, avec déception, que la conclusion de son roman a été totalement changé par un magazine. Lors du tournage, Morgan et Wong ont même été jusqu'à comploter pour filmer la scène du meurtre en cachette, en plus de la révision. Ils espéraient ensuite montrer le résultat initial à Carter pour le convaincre du bienfondé de leur idée. Lors du montage, Wong se souvenait que la mort de Frohike se trouvait sur le négatif B. Lorsqu'il demanda au monteur d'essayer de placer "innocemment" le négatif B, ce dernier avait disparu. Une mystérieuse disparition digne d'un X-Files ! A terme, ils n'ont jamais su qui l'avait caché.
Chris Carter n'était pas non plus convaincu par le monologue de L'Homme à La Cigarette sur le banc. Le showrunner trouvait que la scène ne fonctionnait pas du tout, en plus d'alourdir le métrage. Après discussion avec le staff, Glen Morgan insista: "Ecoutez ! On va déjà épargner Frohike, alors on garde le monologue de Forest Gump !" Et malgré leurs réticences, les autres écrivains acceptèrent. Et heureusement, car le monologue s'est avéré être un succès auprès du public et des critiques. L'une des inspirations de l'épisode réside dans le roman graphique "Lex Luthor: The Unauthorized Biography", qui revient justement sur les origines du grand méchant de Superman. Il est donc amusant de constater qu'on tient là notre pure "origins story" du plus grand bad guy d'X-Files.

Malgré toutes ces divergences artistiques, Glen Morgan et James Wong ont été globalement très satisfait de l'épisode. Ce dernier a même été rassuré de ses capacités de réalisateur, de quoi lui donner confiance, par la suite, pour les nombreux projets de films qu'il a pu créer dans sa carrière. Et son travail ici aura été payant, étant donné que Musings a été nominé aux Emmy, pour le titre de meilleure réalisation pour une série dramatique. Même l'aversion de William B Davis s'est adoucit au fil des années. Il apprécie davantage l'oeuvre aujourd'hui. Et ça tombe bien, puisque Morgan et Wong ont toujours été très satisfait de sa prestation pour Musings, comme la plupart des critiques. Une véritable consécration pour un protagoniste qui ne prononçait aucun mot, dans les premiers épisodes. Entre autre parce que l'équipe doutait des compétences d'acteur de Davis. Lors d'une interview, James Wong déclara: "Nous voulions parler de ce type qui, malgré tout son pouvoir, a vraiment envie d'autre chose. L'épisode parlait d'opportunités manquées, de rêves perdus. Voici une personne qui, à cause de son idéologie, a vendu et perdu son âme." William B Davis a toujours plaisanté en s'imaginant que son rôle était le véritable héros de la série. Il se comparait parfois à Fox Mulder en se demandant ce que ce dernier ferait s'il découvrait la vérité: "Mulder vous semble-t-il réfléchi et responsable, capable de diffuser cette information avec délicatesse ? Non. Je pense qu'il passerait en direct sur Larry King. Et ensuite, ce serait la panique." Il ajouta: "Le sacrifice personnel ? Mulder a déjà le poste qu'il convoite, tandis que le Cigarette Smoking Man fait de grands sacrifices, contraint de tuer presque tous ses proches. Il a aussi sauvé Scully et Mme Mulder." Ces diatribes sont très certainement une façon pour Davis de comprendre son personnage. Lors d'une interview filmée, David Duchovny répondit à ses propos par un "Si ça t'aide à dormir, Bill !" en souriant malicieusement. Les deux hommes s'apprécient véritablement, et aiment partager des scènes ensemble. A tel point que la star n'a jamais hésité à mettre en avant l'Homme à La Cigarette dans certains de ses scénarios, d'Anasazi à Talitha Cumi.
Un des grands apports du métrage réside également dans la performance de Chris Owens, dans la peau du jeune Smoking Man. L'acteur a été choisi pour sa ressemblance avec William B Davis. Le jeune acteur a passé beaucoup de temps à étudier la manière dont l'Homme à La Cigarette fumait ses cigarettes, afin de préserver la continuité. Owens a tellement épaté l'équipe qu'il reviendra ultérieurement dans la série. David Duchovny et Gillian Anderson furent ravis d'avoir eu dix jours de repos. James Wong était lui aussi content d'avoir pu donner du repos aux deux stars: "C'était la quatrième saison, et ils étaient vraiment épuisés. Et on s'est dit que ce serait génial de faire un épisode dont ils ne font même pas partie."
Musings of A Cigarette-Smoking Man est un excellent X-Files. Sa forme étonnante et son audace élève clairement la série vers des sommets. Honnêtement, qui s'attendait à voir un épisode exclusivement dédié à L'Homme à La Cigarette et à l'exploration d'une partie de sa vie supposée. Magistral !



8. TUNGUSKA (Tunguska Partie 1)

J'étais tellement excité lorsque j'ai vu la publicité de la vidéo de "Tunguska", un diptyque encore inédit chez nous, à l'époque. Je m'étais empressé de foncer dans mon petit Casino pour espérer la trouver, très tôt, un mercredi. Et j'ai tellement adoré ! Tunguska et sa suite Terma constituent un mytharc absolument fascinant, surtout lorsqu'on est fan. Personnellement, j'avais tendance à adorer ces segments, dès qu'ils conviaient bon nombres de personnages secondaires. Tunguska cochait donc toutes les cases pour moi. Mieux encore: il allouait une place cruciale à Alex Krycek. "Ratboy" (surnom donné par les fans) n'était donc pas mort, comme le laissait supposer la conclusion d'Apocrypha. Il était évident que Chris Carter ne pouvait pas abandonner un personnage aussi charismatique que lui. On peut se demander si ce nouveau diptyque n'était pas une tentative de le mettre davantage en avant. En effet, ce dernier apparaissait finalement assez peu de Piper Maru et Apocrypha. Concrètement, à peine revenu, il s'était fait contaminer par l'huile noire, à la fin du premier, pour n'agir qu'en simple pantin dans le second. A côté de ça, on a l'impression que Tunguska raisonne parfois comme une fanfiction: il y a beaucoup de fan service dedans. En atteste ces longues scènes entre Mulder et Krycek, mais aussi tous ces passages avec Skinner, dont une où il se montre torse nu, chez lui. L'agent du FBI et son supérieur prennent plaisir à maltraiter Krycek. Il y pas mal de moments avec L'Homme à La Cigarette et L'Homme Bien Manucuré. William B Davis et John Neville étaient d'ailleurs ravis d'avoir pu tourner des scènes entre eux. Malheureusement, certains dialogues, parmi les plus tendus par ailleurs, ont dû être coupé. Ils restent cependant visibles en bonus dans les DVD et Bluray. D'après Carter, cette scène supplémentaire ne faisait pas nécessairement progresser l'intrigue, mais mettait en relief les profondes divergences entre les deux hommes.
Une majeure partie du film relate donc "les aventures de Mulder et Krycek". En définitif, J'insiste vraiment sur le fait qu'on a vraiment l'impression d'avoir une pure expérience destinée aux fans. Et ça n'a pas loupé, car j'ai dû voir ce double épisodes une bonne dizaine de fois en une semaine. On peut supposer que cette orientation fan service fut un moyen de détourner le peu d'informations concrètes offertes par ce mytharc. De l'aveu de l'équipe même, les scénaristes adoraient trop Krycek, d'où le désir de le faire revenir régulièrement. John Shiban a même déclaré: "En y repensant, on voit comment le personnage de Krycek a évolué et grandi, c'était fascinant. Et Nick a fait un travail formidable". Pourtant, d'après Chris Carter, personne ne mesurait l'importance croissante du bad guy, au fil du temps. En outre, le staff n'avait pas l'intention de faire survivre le personnage aussi longtemps, mais il ne voulait absolument pas s'en séparer. Frank Spotnitz, le co-scénariste confessa: "C'était vraiment le chat aux neuf vies, car il aurait dû mourir encore et encore. Il aurait dû être explosé, il était contaminé par du pétrole noir, on lui a coupé le bras, mais il revenait sans cesse". Grosso modo, on peut imaginer qu'un personnage aussi imprévisible et multiforme que Krycek octroyait une certaine flexibilité à l'équipe créatrice. Elle pouvait intégrer ce traitre insaisissable de manière inattendue. De plus, il est thématiquement intéressant. En effet, il agit comme un miroir déformé de Fox Mulder: Une version de l'agent aussi désireuse de détruire la conspiration et les hommes qui la personnifient, mais sans posséder sa morale, ni son intégrité. En somme, un Dark Mulder surtout motivé par la vengeance.

Dans cette histoire, nous retrouvons l'huile noire, mais sous une forme altéré: Effectivement, cette fois, la chose se matérialise sous une apparence de petits vers qui pénètrent le corps de ses hôtes, pour ensuite les plonger dans une sorte de coma debout. Il ne s'agit donc plus d'un medium intelligent qui prend le contrôle de ses victimes, façon bodysnatcher. Cependant, même si Tunguska et Terma nous révèlent peu de nouveaux éléments, ils demeurent bien moins frustrants que Herrenvolk. Le duo se permet intelligemment de revenir sur ce qu'on a appris justement dans le chapitre d'ouverture, pour le diluer ainsi dans d'autres arcs scénaristiques plus larges de la conspiration. On y parle à nouveau de variole, d'huile noire, de syndicat. 
L'ajout le plus intéressant de ce nouveau segment réside dans la course au vaccin entre les USA et la Russie, démontrant une nouvelle fois l'instabilité de cette vaste conspiration internationale, déjà suggéré par Nisei et 731. Pour rappel, dans ce gros chapitre de la saison 3, les japonais faisaient passer leurs intérêts personnels au détriment de la cohésion avec le syndicat. Dans Tunguska, les russes mènent leurs propres recherches en secret, dressant un parallèle avec la course aux armements. L'épisode est également remarquable pour avoir emmener Mulder et Krycek jusqu'en Sibérie, dans un goulag, octroyant une dimension plus épique au métrage, comme le veulent les traditions de la mythologie. Il faut en mettre plein la vue ! Les deux partenaires d'infortunes vont même se faire capturer et emprisonner dans cet étrange endroit. Une effroyable prison dans laquelle des gens se font affecter volontairement par l'huile noire, afin de découvrir un vaccin contre ce fléau. D'après Spotnitz, ils étaient très satisfaits d'avoir infuser pas mal d'action dans ce grand arc: "On a pu voir Mulder dans un goulag. On a pu voir des hommes à cheval, et Mulder et Krycek s'introduire. Il y avait beaucoup d'action et d'aventure qu'on avait vraiment hâte de voir." déclara le bras droit de Chris Carter. L'homme ajouta: "Nous cherchions une fois de plus un support vaster et ludique pour raconter nos histoires", d'où l'idée d'intégrer la Russie dans l'équation. Par ailleurs, David Duchovny a trouvé le tournage très amusant. En outre, le propre père de l'acteur était en visite sur les plateaux. Il a donc pu se faire une idée du travail de son fils. Pour l'anecdote, le réalisateur Kim Manners déclara, des années plus tard, que Duchovny courrait plus vite que les deux chevaux à ses trousses, l'obligeant à ralentir l'enthousiaste acteur, pour que les bêtes puissent le rattraper. Ce dernier plaisanta en disant que c'était en réalité des hippocampes. 
Mais que devient Scully ? Hé bien, elle est séparée de son collègue, comme d'habitude avec les chapitres mythologiques. Elle se retrouve devant une commission du Sénat, au sujet de la valise diplomatique, vue en début d'intrigue. C'est d'ailleurs par ces scènes que débute l'épisode. Effectivement, le teaser de l'épisode se déroule chronologiquement très tard dans l'intrigue. Le spectateur étant invité à comprendre comment notre héroïne a pu se retrouver dans une pareille situation.

Tunguska nous offre une nouvelle scène avec Marita Covarrubias, mais la série peine à l'intégrer avec intelligence. Elle n'est pas encore clairement définie. Plus précisément, on se demande encore ce qui la différencie de Gorge Profonde ou Mr X, mise à part ce que permet ses leviers à l'ONU, bien entendu. Mais la scène où Mulder lui rend visite, en pleine nuit, est quelque peu étrange. Il y a comme un parfum de tension érotique qui a l'air d'avoir motivé les scénaristes. Comme je l'ai mentionné dans Teliko, il faudra attendre la dernière ligne droite de la saison pour que le potentiel de l'informatrice explose.
Comme à l'accoutumée, cette première partie se termine par un petit cliffhanger sympathique où on voit Mulder, allongé et prisonnier d'un lit grillagé, se faire contaminer par l'huile noire. Bien sûr, on se doute que la co-star principale du show ne va pas mourir comme un mal propre, dans un vieux goulag, mais il est toujours excitant de s'imaginer comment tout cela va se dégoupiller, par la suite. Les petits vers noires ont d'ailleurs été un cauchemar à animer car, à la suite du départ de Mat Beck, le superviseur des effets spéciaux, l'équipe avait recruté une boite indépendante pour réaliser le effets numériques. Malheureusement, le résultat n'était visiblement pas satisfaisant, obligeant Spotnitz, le producteur Paul Rabwin et la productrice Lori Nemhauser a appelé plusieurs autres studios afin de parfaire les effets des vers. Très peu de temps après la diffusion de l'épisode, Laurie Kallsen-George a été embauché pour reprendre le poste de superviseur des effets spéciaux. Un easter egg mignon s'est glissé dans le métrage, lorsque Mulder découvre un cafard dans sa cellule. En effet, lorsqu'on active le sous-titrage, le gros plan sur l'insecte est accompagné du sous-titre "Bambi ?". Un évident clin d'oeil à War Of The Coprophages.
Au final, Tunguska est un très chouette mytharc, rempli de moments exaltants. Kim Manners arrive parfaitement à endosser le costume de Rob Bowman, pour nous proposer un divertissement vraiment efficace et rythmé. La qualité de la production ne cesse de s'enrichir considérablement, prouvant à quel point X-Files est une massive superproduction télévisuelle. On en est loin de l'époque où Chris Carter se disait qu'il allait essayait de concevoir au moins une saison de sa petite série fantastique. Lui qui souhaitait ardemment remettre en avant le paranormal et, plus globalement, l'horreur à la télévision.


9. TERMA (Tunguska Partie 2)

Conclusion mi-figue mi-raisin de Tunguska, Terma n'en demeure pas moins intéressant. Disons que cette seconde partie reprend les tendances des gros segments mythologiques qui adorent planter des graines intéressantes en partie 1, pour préférer maximiser un rythme effréné en seconde partie, tout en évitant de répondre à trop de questions. Cependant, Terma parait plus terne que Tunguska. Les résolutions sont bien moins satisfaisantes qu'ont pu être d'autres secondes parties comme End Game ou Ascension, par exemple. Terma parait en effet plus déséquilibré que son prédécesseur. Ceci étant dit, il est nettement moins contrariant que n'a pu l'être Herrenvolk. En fait, on peine à suivre convenablement l'intrigue: Dès le retour de Mulder à Washington, tout s'emballe et tout devient plus obscurs. Mulder et Scully partent très rapidement dans différents endroits, dont ce point culminant dans une raffinerie, dans le Dakota Du Nord, où une gigantesque explosion surgit. Une séquence qui semble presque gratuite, et servant à démontrer à quel point le budget à lui même explosé. Au final, l'ensemble du troisième acte paraît précipité, et c'est bien dommage, car le reste demeure très agréable, notamment tout l'échappatoire de Mulder en Russie. Et puis, il y a cette scène où le personnage réapparaît subitement dans la commission d'enquête du Sénat, pour sauver la mise à cette pauvre Scully malmenée par les sénateurs. Un passage iconique qui place Mulder en figure héroïque, après avoir traversé l'enfer. J'adorais tellement ce retour au bercail. Et puis, il y a ce pauvre Krycek qui, lui en revanche, à force de mentir et de trahir, se fait couper le bras, en guise de punition ultime, au terme de l'épisode. A ce propos, les origines russes du personnage, révélées dans ce diptyque, ont obligé Nicholas Lea à s'entrainer avec un coach pour obtenir le parfait accent, lors de ses dialogues. Ces deux parties ont été extrêmement couteuses pour la production, et le tournage, même si amusant et gratifiant, a été des plus éprouvants. L'élaboration de la clairière, de la prison et de la reconstruction d'un morceau de Sibérie ont été particulièrement coton à concevoir. 

En parlant de prison, ce nouvel arc scénaristique nous offre un contraste entre l'emprisonnement de Scully et celui de son partenaire. En effet, la première est enfermée dans une cellule propre, limite immaculée, tandis que le second est coincé dans un sordide cachot, sale et délabré. Le duo Tunguska et Terma démontre une nouvelle fois à quel point notre héroïne s'est étonnamment bien endurcie, depuis la saison 1. Effectivement, dans les premiers épisodes, elle devait rendre des comptes à ses supérieurs, et avait tendance à se montrer clairement conciliante envers les hautes instances. Cela a bien changé, puisqu'elle tient désormais tête à une ribambelle de sénateurs ici, et elle ne lâche rien. Même si les scènes de la commission peuvent alourdir le récit, elles étaient très agréables à suivre, ne serait-ce pour admirer la résistance de Scully. A contrario, avoir plongé Mulder dans l'enfer du goulag était également fascinant, même si j'aurais apprécié que cela dure plus longtemps. A l'époque, j'avais lu une note intéressante sur un site qui racontait à quel point il était intéressant de voir ce gosse de riche, qui a vécu à Martha's Vineyard, se transformer en numéro anonyme, enfermé dans un lieu terrible, à l'autre bout du monde. Même si cet arc scénaristique demeure diablement prenant, il est dommage que les scénaristes n'en fassent pas quelque chose d'émotionnellement plus percutante. 
Il y a un parallèle intéressant à noter entre le destin de Mulder et Krycek. Comme le souligne Do Not Attempt To Adjust The Picture, chacun des deux protagonistes peut être considéré comme le reflet de leur pays respectif: Mulder ressort de son expérience renforcé. Il a inoculé le virus mais en a réchappé. Par la suite, il devient donc un survivant, un vainqueur de cette guerre personnelle. L'agent incarne les Etats-Unis après la Guerre Froide. En outre, il se retrouve toujours en conflit avec son gouvernement, et il se heurte à de nouveaux obstacles dans sa quête de la vérité. 
En comparaison, Krycek est malchanceux, comme l'Union Soviétique. Il est brisé, et il sombre dans le désespoir, retournant dans le monde souterrain dont il était issu. Sa vie est régie par la criminalité, comme son pays, juste après la Guerre Froide. Apparemment, la représentation du goulag dépeinte ici est inspirée des travaux du romancier russe, Alexandre Soljenitsyne, notamment de L'Archipel du Goulag.
Le diptyque est donc intéressant dans la dualité entre les USA et la Russie. Il met en évidence le fait que les deux pays ne sont pas si différents dans leurs méthodes utilisées, mais aussi dans leurs motivations. Ils poursuivent le même objectif. Même s'il est incontestable que les expériences perpétuées dans le goulag demeurent cruelles, le sont-elles plus que le test qu'effectue en douce les Etats-Unis dans une maison de convalescence ? Plus précisément, Terma met en scène des résidents qui ont été les malheureux cobayes non consentantes du gouvernement. X-Files continue donc d'égratigner son propre pays, en prétendant qu'il ne vaut pas mieux que ses anciens ennemis.

Terma introduit le personnage de Vassily Peskow, un ancien tueur russe, à la retraite désormais. Je repense à cet antagoniste littéralement à chaque fois que je coupe des tomates (c'est vrai), à cause de cette courte scène où il s'adresse à la douane en présentant "ses belles tomates toutes fraîches". Je ne sais pas pourquoi cela m'a tant marqué. J'imagine que la courtoisie du bonhomme contraste fortement avec les autres tueurs que la série a fait défiler jusqu'ici. De surcroit, ce côté gentleman est vite contrebalancé lorsque Peskow étrangle le docteur Charne-Sayre, au milieu de ses chevaux. Une scène d'une telle froideur aurait mérité un développement plus poussé du personnage. Il est tout de même dommage que l'homme de main n'intervient qu'à partir de ce segment, et qu'on ne le revoit plus jamais. Rob Bowman reprend la main à Kim Manners pour ce second volet, pour un résultat encore plus explosif que le précédent. Il est intéressant de noter que les deux parties ont été réalisé par deux des meilleurs réalisateurs de la série. David Duchovny expliqua les différences qu'il a ressenti entre les deux metteurs en scène: "Je pense que Kim était très sensible à l'émotion de la relation entre Mulder et Scully. Et Rob, je crois, était très sensible au côté film d'action de la série."
Et c'est plutôt vrai: Il y a clairement des moments d'action et de tension dans Tunguska, mais il s'articule surtout sur les relations entre les personnages, mais pas que sur les deux agents: Le chapitre accorde une place centrale aux interactions entre Mulder et Krycek et même entre L'Homme à La Cigarette et L'Homme Bien Manucuré. Terma est davantagé orienté vers l'action, avec son rythme plus soutenu. L'une des révélations les plus mémorables de l'épisode provient de la nouvelle trahison de Krycek: Ce dernier serait en réalité un espion russe infiltré dans le syndicat américain, et ce depuis le début. C'est même lui qui "réveille" Peskow de sa retraite, afin qu'il détruise toutes les recherches américaines, liées au vaccin contre l'huile noire.
Gillian Anderson a un souvenir amusé de ce double épisodes, notamment parce qu'il a donné naissance à une blague récurrente de l'équipe: Apparemment, lors du tournage, Kim Manners trouvait que les acteurs se montraient trop désinvoltes avec leur manière de jouer, alors que le récit se concentrait sur une incroyable découverte sur une roche martienne. Il trouvait que ses poulains n'étaient pas assez à fond dedans. De ce fait, avant les prises, il regardait ses acteurs et criait: "Rock from Mars !" "Rock from Mars !"  Et c'est devenu un gag. Depuis, la réalisateur a pris l'habitude de dire: "Rock from Mars !", une manière de motiver ses troupes quand ils sont épuisés. 
En définitif, Terma semble un peu plus faible que son prédécesseur, notamment à cause de son dernier acte un peu précipité, mais il n'en demeure pas moins passionnant. Le diptyque ne fait pas progresser énormément le fil rouge, mais l'élargissement international de la conspiration continue de donner de l'ampleur à toute cette histoire. Un must have comme disent les gens.



10. PAPER HEARTS (Coeurs de Tissu)

Voici un des meilleurs épisodes de la saison. Assurément un brillant récit de profiler, centré sur Mulder. Par certains aspects, Paper Hearts renvoie quelque peu à Young At Heart, de la saison 1. Le récit traite d'un ancien tueur que Mulder a mis en prison et qui décide de revenir hanter ce dernier. On y trouve même une mention au regretté Reggie Purdue, l'ancien collègue de notre agent, vu dans l'épisode suscité. Seulement ici, le script de Vince Gilligan le surpasse en tous points. On retrouve cette aisance avec laquelle l'auteur arrive à concevoir des personnages fascinants. C'est tout de même grâce à lui qu'on doit Chester Banton (Soft Light), Robert Modell (Pusher) ou encore Gerry Schnauz (Unruhe). Il excelle une nouvelle fois ici avec John Lee Roche, un tueur de fillettes, et accessoirement un fana d'Alice Aux Pays Des Merveilles. Je pense même qu'il ne serait pas exagéré d'affirmer que Paper Hearts constitue une des meilleures contributions de Gilligan sur toute la série. L'écrivain a longtemps eu l'idée d'articuler une histoire autour d'un pointeur laser que Mulder voyait en rêve, mais sans arriver à concrétiser un récit autour de cette image. Il a fallu attendre un certain temps pour que le scénariste s'éloigne de cette idée centrale afin de réussir à construire une histoire. Ce n'est que lorsqu'il a eu le déclic d'écrire quelque chose autour d'un tueur d'enfants que l'auteur a pu réintégrer cette image de laser. Evidemment, on ne peut s'empêcher d'y voir un lien avec Dragon Rouge, de Thomas Harris, une des inspirations principales d'X-Files. Comme mentionné dans mon article sur la saison 1, le personnage de Fox Mulder est un peu calqué sur celui de Will Graham, le héros du roman. Les deux sont des agents du FBI et tous deux semblent guider par leurs émotions, surtout lorsqu'ils s'impliquent corps et âme dans leurs enquêtes. Paper Hearts pousse le rapprochement en invitant Tom Noonan pour camper Roche, lui qui avait déjà endossé le rôle du tueur Francis Dolarhyde de Manhunter, la première adaptation cinématographique du Dragon Rouge. L'acteur est probablement une des plus impressionnantes guest stars invitées dans X-Files. Lorsqu'on découvre Roche pour la première fois, on est étonné de ne pas tomber sur un homme froid ou effrayant. Si nous n'étions pas au courant des horribles crimes qu'il a commis, nous pourrions facilement éprouver une sincère sympathie pour ce type. Noonan arrive à parfaitement le jouer de manière décontractée et détachée. Il y a juste quelques fugaces instants où le regard de Roche change et où on peut deviner la part sombre qu'il cache en lui. Il n'est donc pas anodin que le méchant ait été un représentant de commerce pour la vente d'aspirateurs. Comme le déclare Mulder à Roche, il devait être parfait dans un tel travail qui demande d'être cordial et avenant. Gilligan a spécialement écrit le personnage en ayant Noonan à l'esprit pour l'incarner. Pour donner plus de crédit à son rôle, ce dernier a imaginé cette amitié à sens unique avec notre agent: Quand il le jouait, il imaginait que le tueur ressentait une réelle sympathie pour Mulder, qu'il représentait une sorte d'âme soeur pour lui. L'acteur ajouta: "Lorsqu'il parlait de Samantha ou de ses autres victimes et que Mulder s'énervait, il se disait: "Pourquoi es-tu énervé ? C'est notre vie ensemble." En définitif, sa façon naturaliste d'incarner le personnage fait froid dans le dos. 
A l'origine, il devait littéralement collecter le coeur de ses jeunes victimes, mais l'artiste refusa de trop rajouter dans la brutalité. Il estimait que c'était trop dégoutant. Il est vrai que cela aurait semblé too much, surtout peu de temps après la diffusion de Home et Sanguinarium, des opus déjà très graphiques dans leur représentation de la violence. Cependant, avoir ce tueur pédophile qui découpe des petits coeurs avec le pyjama de ses victimes se révèle déjà être une image suffisamment gênante et terrifiante. Pas forcément besoin d'en rajouter. De surcroit, la découverte d'un petit squelette d'une des victimes rajoute une surcouche supplémentaire de malaise.

Paper Hearts est un épisode qui se concentre surtout sur la banalité apparente de son tueur. Il s'agit d'une simple histoire de tueur en série, même s'il y a tout de même l'élément paranormal central, à savoir la connexion psychique qui lie Mulder et Roche. Un lien que ce dernier va utiliser pour manipuler l'agent. Et c'est là qu'on entre dans le suspense insoutenable de l'épisode: A savoir si Samantha Mulder n'a pas été enlevé par des extraterrestre, mais par John Lee Roche. Pour semer le doute, Mulder refait même le rêve de l'enlèvement de sa soeur, comme décrit dans Little Green Men. A la différence que ce n'est pas un vaisseau spatial qui éclaire la porte, mais la voiture du tueur. Ce dernier s'amuse donc à transformer les songes de notre héros afin de se donner une importance. Un moyen aussi pour que Mulder décide de le libérer pour qu'il aille sur les lieux de l'enlèvement. Une astuce pour l'antagonise de prendre la fuite, et de se venger de celui qui l'a mis derrière les barreaux. Même si on se doute dès le début que le dénouement sur l'affaire Samantha n'ait pas lieu dans un simple loner, le suspense fonctionne tout de même à merveille, ne serait-ce parce que le spectateur se met facilement à la place de Mulder. On souffre avec lui et on se demande jusqu'où Roche va aller dans sa torture mentale. Et l'idée que soulève l'épisode reste intéressante: Il offre une alternative pertinente au récit de l'enlèvement de la soeur du héros. Une manière perspicace d'offrir une explication malheureusement rationnelle à un événement qui semblait être extraordinaire. Du coup, non, Paper Hearts n'est pas un simple "coup dans le vent". Le téléspectateur assidu sait que l'idée du pédophile responsable de la disparition de la soeur du héros ne pouvait pas coller. Samantha est un élément clef rattaché à la mythologie, en plus d'être l'élément déclencheur de la quête de vérité de Mulder: Il y a eu trop de clones extraterrestres pour nous convaincre de la théorie de Roche. Cela ne collerait pas non plus avec Paper Clip et le fait que Bill Mulder ait du faire un choix entre ses deux enfants. Mais il serait donc dommage de passer à côté la beauté de Paper Hearts juste parce que le suspense ne tient pas. Il ne s'agit pas de ça ici: C'est surtout une oeuvre centrée sur un jeu mental entre deux personnages qui s'opposent. Et de ce côté là, l'épisode est diablement réussi. Il est plaisant de revoir une version alternative de l'enlèvement de Samantha, et c'est également agréable d'avoir des nouvelles de Teena Mulder, après Herrenvolk. Tout simplement, l'aspect intime du métrage est une touche agréable qui manque parfois justement à la démesure du mytharc. Il est donc salutaire d'avoir une petite introspection qui revient faire le point sur le traumatisme de Mulder. Il y a un autre point très intéressant dans cette histoire, et assez discret qui plus est: En effet, au moment où l'agent est ébranlé dans ses convictions, et qu'il est prêt à croire une réponse alternative à la disparition de soeur, Scully se refuse d'y croire. Pourtant, à un moment donné, Mulder semble presque accepter une explication plus plausible, mais sa partenaire la réfute, et ne peut se résoudre à la soutenir. Il y a quelque chose d'ironique dans cette situation où Dana rejette une explication plus logique qu'un kidnapping alien. Cependant, c'est Scully qui a raison ici, et l'épisode démontre à quel point le personnage est important dans l'équilibre de son coéquipier. De manière générale, toute l'intrigue est bâti sur cette relation particulière: C'est elle qui couvre son collègue. C'est aussi elle qui tient tête à Roche, quand Mulder commence à craquer. Et puis, globalement, malgré le profond investissement émotionnel que l'enquête suscite chez Mulder, c'est encore elle qui le soutient et le réconforte durant tout l'épisode. Si on est un tantinet observateur, on pourrait même affirmer que Scully a plus souvent tendance à être toujours présente pour soutenir ce dernier, tandis que l'inverse n'est pas toujours vrai: Mulder se montre moins attentif à elle, lorsqu'elle devient plus instable émotionnellement, comme l'ont démontré Beyond The Sea ou encore Revelations. On distingue donc là une différence significative entre les deux protagonistes.

Il s'agit ici d'une des meilleures performance de David Duchovny. Il se donne véritablement à fond et il livre une prestation absolument impeccable. Il sait se montrer vulnérable, tout du long. La scène où il creuse vite un trou afin de voir s'il découvre un corps est absolument tendu, et le travail de l'acteur y est pour beaucoup. Rob Bowman arrive à parfaitement sublimer son jeu s'acteur. Le réalisateur maitrise son sujet ici, et il nous offre un petit film intimiste et magistralement mis en scène: Les rêves de Mulder sont superbement atmosphériques, ainsi que le final dans le cimetière de bus. Les scènes de dialogues tendues entre Rocher et Mulder demeurent bien mis en valeur. Pour parfaire l'ensemble, Mark Snow compose une des meilleure musique de toute la série, si bien que le compositeur a été nominé à un Emmy pour cet épisode. Sa partition se révèle nettement plus onirique. Duchovny a réalisé un autre exploit ici: En effet, il a réellement réussi du premier coup à mettre la balle dans le panier de basket, lorsqu'il rencontre Roche. Une réusssite réduisant l'équipe de tournage au silence, stupéfaite par une telle prouesse. Duchovny désirait depuis longtemps que son personnage puisse marquer quelques paniers; l'artiste possédant certains talents cachés en basket-ball. 
Même si Paper Hearts n'est absolument pas un mytharc, il en reprend pas mal d'éléments scénaristiques: comme l'allusion à l'état de Teena, le flashback de l'enlèvement de Samantha et d'autres. Pour quelqu'un qui a reconnu ne pas être à l'aise avec les épisodes mythologiques, Vince Giligan a l'air de parfaitement les maitriser, ou en tout cas, il en a retenu beaucoup de détails cruciaux. Son scénario se permet même des clins d'oeils à d'autres loners. J'avais déjà cité Reggie Purdue de Young At Heart, mais une citation sur les rêves provient directement d'Aubrey. On y retrouve même l'ancien numéro de badge de Mulder, tel décrit dans F.Emasculata. Enfin, les plus observateur auront également remarqué que Skinner porte son alliance, comme la fin d'Avatar le suggérait. Il est toujours bon de rappeler qu'avant d'être un des plus éminents scénaristes de la série, Gilligan était un fan invétéré, et qu'il a dû être marqué par une myriade d'éléments, comme le font les passionnés d'une fiction. Il n'est donc pas étonnant que l'auteur connaisse autant de choses sur le lore d'X-Files. 
Tout simplement, Paper Hearts constitue définitivement un des meilleurs épisodes de toute la série. Absolument tout est fabuleux ici, de la musique, aux talents d'acteurs, tout en passant par l'écriture et la réalisation. Un petit film absolument prodigieux à voir et à revoir en famille !



11. EL MUNDO GIRA (El Chupacabra)

El Mundo Gira est embarrassant. Il est très loin d'être catastrophique, mais il y a quelque chose de maladroit dans cette représentation de "l'autre"; L'épisode présentant des clichés des mexicains. Il fait jouer ses acteurs de manière mélodramatique, et a une sale tendance de miser globalement sur le too much. La fin nous laisse planer le doute sur le caractère telenovela de l'ensemble, surtout dès que le scénario se concentre sur les personnages latinos. Dès qu'on en revient à Mulder et Scully, nous retrouvons le ton habituel de la série. Le problème avec le côté "surjoué" est qu'il sape l'ensemble du métrage et agace plus qu'autre chose. Tous les passages mettant en scène les deux frères, Eladio et Soledad, semblent définitivement lourdingues. L'épisode insiste trop sur la soi-disant grande émotivité des latinos. Cela colle bien évidemment avec le cadre des feuilletons mexicains, mais l'oeuvre n'arrive pas totalement à parfaitement distiller ces inspirations de façon pertinente. En résulte donc cet étrange petit film, aux relents légèrement racistes. Il suffit de regarder l'évolution de Lozano, l'agent de l'immigration qui a l'air tout d'abord de mépriser les immigrés, avant de finalement se comporter comme un cliché à la fin, lorsqu'il laisse les traditions et les superstitions prendre le pas sur la rationalité. Plus précisément, en insistant sur le fait qu'il faut absolument laissé parler la vendetta entre les frère Buente. C'est absolument réducteur. Heureusement, El Mundo Gira évite d'être totalement méprisable, avec un Mulder qui, dépité, déclare à Skinner que, "tout le monde s'en fout", en parlant de ces pauvres immigrés, lors de la conclusion. Mais cette bonne foi n'éclipse en rien le fait que l'étranger est décrit comme un alien ici, qu'il est exotisé à outrance. C'est vraiment dommage. 
De surcroit, le récit convoque le même malaise que Teliko, en reliant des immigrés, pouvant facilement traverser les frontières, et maladie mortelle. Comme si les étrangers étaient dangereux car susceptibles de transporter toutes sortes de saloperies venues de leur pays. Il est tout de même problématique que ces thématiques du virus tombent encore une fois encore sur une telle histoire, mettant en scène des étrangers. L'épisode semble même critiquer la porosité de ces frontières. Pour enfoncer le clou, l'agent infectieux ici n'a rien à voir avec le Chupacabra, ni même la transformation physique d'Eladio. Il s'agit d'une contamination fongique extrêmement puissante et contagieuse. On dirait que l'intrigue s'efforce de mettre l'accent sur cette fausse piste, alors que l'élément paranormal présenté n'a strictement rien à voir avec la créature originale. Pour être honnête, John Shiban n'a jamais été le plus subtil des scénaristes de la série. Comme déjà dit, il a une attirance naturelle pour les tropes horrifiques, et il apprécie aller droit au but. Il privilégie l'efficacité d'une frayeur basique, plutôt que de dépeindre correctement ses personnages. Pourtant, il sait en créer des fascinants, comme il a pu le faire dans The Walk, par exemple.

L'idée d'El Mundo Gira vient des souvenirs de Shiban, lorsqu'il passait sur l'autoroute et qu'il voyait de longues files de travailleurs migrants dans des champs de fraises. De l'aveu même de l'auteur, il les croisait tous les jours en allant au travail, mais il ne les remarquait pas réellement. Chris Carter fit remarqué à l'écrivain que c'était là le thème central de l'épisode: "Ces gens sont invisibles. On les voit, mais on ne les voit pas. Ils circulent dans notre monde, nettoient nos maisons, entretiennent nos jardins et cueillent nos aliments, mais on ne les considère pas comme nous", suggéra le showrunner. Ils se sont donc dit qu'il serait intéressant d'axer l'histoire là dessus. Cela dit, cette bonne intention n'a pas empêché à El Mundo Gira d'être problématique. Il y a quelques morceaux qui fonctionnent tout de même dedans: comme les interactions entre Mulder et Scully qui semblent plutôt en forme. Et il est agréable d'avoir un épisode où ni l'un ou ni l'autre n'a complètement raison ou tort. Au lieu de ça, les deux se mettent justement au diapason. Leur dynamique fonctionne donc merveilleusement bien ici. Et pour rendre justice à John Shiban, l'élément horrifique est vraiment une des réussites du métrage: cette espèce de champignons qui se répand sur le corps de ses victimes offre une image délicieusement dégoutante. A ce propos, l'auteur a mis des mois à concrétiser cette idée de contamination fongique dans un de ses scénarios. Pour l'anecdote, l'apparence exacte de la noix de cajou, recouverte de champignons, du supermarché a généré un long et houleux débat entre la production et le service des effets visuels. Comme à l'accoutumée, nous devons ces superbes effets spéciaux à Toby Lindala, le fameux superviseur des maquillages. Il réalise ici un de ses travaux les plus forts sur la série. A ce propos, Piper, la fille de Gillian Anderson, fut présente sur le tournage, et elle a été marqué par ces individus poilus qu'elle a croisé. En réalité, il s'agissait bien évidemment des gens contaminés de l'épisode. Elle les appelait "les gars dégueulasses", d'après sa mère. A un moment, un des mannequins ne se sentaient pas très bien apparemment, et la petite fille s'est approchée et lui a demandé: "ça va ? ça va ?" Comme il ne répondait pas, elle s'est mise à chanter "Itsy Bitsy spider". Une scène visiblement hilarante. Le tournage l'a tellement marqué que, dans la vie de tous les jours, lorsque Gillian et Piper arrivaient dans un recoin sombre, la fille excitée demandait parfois: "Il y a un gars dégueulasse là-dedans ?"

Le camp de travailleurs a été créé de toutes pièces, mais, malheureusement, il a très rapidement été envahit par une tempête de neige, obligeant la production à sortir des sèche-cheveux et de l'eau chaude. Afin d'amortir le budget, ce décor servira ultérieurement, à l'occasion de l'épisode Tempus Fugit.
En outre, la transformation d'Eladio se révèle également convaincante. Sa grosse tête pouvant bien évidemment évoquer celle des extraterrestres que poursuivaient Mulder. D'ailleurs, dans un des trois dénouements, celui de Flakita, cette dernière croit justement voir des aliens venus du ciel. Il est également regrettable d'avoir autant de talentueux acteurs comme Ruben Blades et ne pas en faire grand chose. En revanche, Raymond Cruz demeure relativement convaincant en Eladio Buente, même si, comme ses homologues, il en rajoute une surcouche, mais cela n'est pas de sa faute, mais plutôt à une direction d'acteurs qui lui a demandé de jouer ainsi. Chris Carter était séduit par les aspects extravagants de l'intrigue qui lui rappelait justement les feuilletons mexicains. Donc, pour éviter de rendre l'épisode trop solennel, il a été décidé de l'axer sur ces éléments. Une mignonne petite anecdote relate que Raymond Cruz et Simi Mehta, l'actrice qui joue Gabrielle Buente, étaient déjà en couple avant le tournage, chose que les producteurs n'étaient absolument pas au courant. Une jolie coïncidence en somme.
Au final El Mundo Gira ne constitue pas un très bon X-Files. Mais il n'est pas du tout honteux non plus, et il se laisse regarder. Cependant, ses maladresses sont douteuses, et sa tonalité se révèle être problématique.



12. LEONARD BETTS (Régénérations)

X-Files allait enfin être diffusé après le Super Bowl. Il faut savoir que le programme qui a la chance de suivre l'événement voit, à coup sûr, ses audiences décoller. Une véritable aubaine pour la série. A la base, c'est "Never Again" qui aurait dû avoir l'honneur d'une telle couverture médiatique. Finalement, la production a préféré placer l'épisode suivant, Leonard Betts, tout simplement car il captait parfaitement l'essence de la série, propulsant donc ce segment comme étant celui ayant enregistré la plus grosse audience de toute la série ! Aucun autre épisode n'a jamais réussi à le battre. Jamais ! Il est vrai que Chris Carter a judicieusement choisi, car Leonard Betts illustre parfaitement l'archétype d'un récit d'X-Files. Une magnifique porte d'entrée pour accueillir de nouveaux téléspectateurs. Pourtant, sur le papier, l'intrigue semble relativement classique. A ce stade de la série, c'est une enquête plutôt banal sur un mutant qui doit se nourrir des tumeurs cancéreuses de ses victimes. On retrouve donc à nouveau le gimmick du tueur qui doit tuer pour survivre. Un postulat déjà initié par le duo Squeeze/Tooms, puis 2Shy et enfin Teliko. Du pur classique X-filien.
Et pourtant, Leonard Betts est tout simplement un des tous meilleurs épisodes de la série. Rien de moins ! C'est un petit film horrifique réalisé avec un soin tout particulier. Comme quoi, même en relatant l'histoire d'un énième mutant typé Tooms, il y a toujours moyen de pondre un métrage exceptionnel, si la qualité de production suit derrière. On a l'impression que Chris Carter s'adresse aux potentiels nouveaux spectateurs en leur disant: "Voilà ce qu'on fait ici !" L'équipe ayant apporté un soin tout particulier à la réussite de l'épisode. En plus, ce chapitre se montre assez démonstratif en terme de scènes dégoutantes. Le teaser est à ce titre une formidable note d'attention: lorsque cet ambulancier, Leonard, se fait décapiter lors d'un accident sur la route. Kim Manners n'hésite pas ensuite à filmer la tête coupée au sol. Par ailleurs, le rebondissement survient juste après, lorsque le corps sans tête sort de la morgue, dans une scène absolument terrifiante. Une autre manière de signaler aux nouveaux venus: "Oui ! On conçoit ce genre d'histoires un peu cradingues. Vous voilà prévenus !" Et il est vrai que Leonard Betts se révèle assez cru. Alors, on a affaire à du pur X-Files, mais on retrouve tout de même de petites touches un peu gore disséminées, un peu partout. Par exemple, Mulder et Scully retrouvent assez vite la tête du mort, après un passage immonde où ils plongent leurs mains dans des déchets médicaux de morceaux humains. Lorsqu'ils trouvent la bonne tête, Mulder lâche un "Ah je crois que je tiens la surprise". A ce titre, le personnage est particulièrement en forme niveau humour, tout du long. Dans le même ordre d'idées, plus tard dans le récit, la blague de Mulder qui lance un "ça ferait un joli presse papier", en parlant de la tête coupée, aurait été improvisé par David Duchovny lui même. Il semblerait même que le petite rire franc, presque inhabituel, du personnage soit authentique. J'écris au conditionnel car je n'ai pas retrouvé la trace de cette mention, mais ça me semble plausible étant donné le rire sincère de Mulder, à ce moment là.

Les fameuses autopsies de Scully où on va se demander: "Ohlala ! Quelles choses étranges va-t-elle découvrir aujourd'hui ?" sont également de retour. Et même en ayant l'habitude, on ne peut qu'être stupéfait lorsque la tête de Betts se met à ouvrir les yeux, avant de bouger tout doucement. Assurément une des scènes les plus effrayantes de toute la série. Même en étant fan et particulièrement habitué aux films d'horreur et à l'angoisse d'X-Files, je n'étais pas très à l'aise devant mon écran. Citons aussi cette impressionnante et très étrange scène où le monstre régénère un autre corps, en ouvrant sa bouche et en laissant apparaître une nouvelle tête, démontrant que ce chapitre est une sorte de foire aux effets spéciaux. Pour l'occasion, Toby Lindala a même été nominé pour son remarquable travail de maquillage ici par l'académie des arts et des lettres. Pour la petite histoire, lors de la scène d'autopsie, Paul McCrane, l'interprète de Leonard, devait passer sa tête dans un trou d'une table, pour effacer ensuite son corps numériquement. L'homme dût rester comme tel pendant des heures. Manners se souvient: "Une fois la pièce terminée, on aurait dit une simple tête posée sur la table. C'était très étrange de parler à cette tête, de lui donner des instructions, car on avait l'impression que ce type n'était plus que sa tête. C'était merveilleux."
Cependant, le monstre de la semaine imaginé ici diffère des autres du même genre qu'on a pu voir jusqu'ici. Il n'a pas le côté animal et sans coeur de Tooms, ni le côté manipulateur de Virgil Incanto. Non, Leonard Betts est un personnage plutôt doux. D'ailleurs, son job d'ambulancier démontre qu'il se soucie vraiment de la santé des gens qu'il sauve. Ce n'est pas juste une simple porte d'accès pour se nourrir de tissus cancéreux. Finalement, il se met à tuer qu'à la moitié de l'épisode. Avant cela, il n'a jamais représenté un réel danger. Mise à part ce besoin biologique qui l'obligeait à se nourrir de tumeurs, Betts n'était pas un tueur. Ce n'est seulement que lorsque son secret est sur le point d'être révélé qu'il n'a plus le choix. Il s'excuse même auprès de ses victimes avant de les abattre. En cela, le personnage se démarque donc énormément de ses prédécesseurs.  Il y a une réelle douceur qui émane du protagoniste et, même si il commence à commettre des crimes dans la seconde partie, on compatit sincèrement à sa condition. En tout cas, il est écrit d'une manière diamétralement opposée de ses abjects compères, à l'instar de Tooms ou Incanto qui généraient juste de l'effroi ou du rejet. C'est Vince Gilligan qui eut l'idée d'étoffer le monstre, pour en faire un type plus sympathique.
Le scénario remet en lumière la fin des créatures excentriques, comme le prédisait Dr Blockhead, à la fin d'Humbug. Effectivement, Betts a réussi à garder son secret pendant si longtemps, et de manière ingénieuse, mais au final, le monde moderne le rattrape, en lui mettant un dangereux coup de projecteur. En cela, il y a quelque chose de profondément triste dans le destin de ce personnage. C'est une histoire plus tragique qu'il n'y parait, aux premiers abords. Avant l'épisode, Leonard vivait paisiblement, en plus d'être un ambulancier respecté de ses collègues. Il avait un don pour diagnostiquer les cancers chez les patients. Puis, un malencontreux accident a réduit sa vie à néant, le réduisant en vulgaire fugitif. A la fin du récit, son sort semble scellé: il se révèle épuisé physiquement, et son apparence devient de plus en plus étrange. Cette touche tragique est un ajout singulier qui continue de différencier clairement Leonard Betts des autres monstres de la semaine.

Impossible de ne pas revenir sur la subtile interprétation de Paul McCrane dans le rôle de Leonard. L'acteur était célèbre dans les années 80 pour avoir jouer un des méchants du film Robocop. Après son rôle dans X-Files, il jouera le terrible Dr Romano dans Urgences. Autant dire, un éminent habitué des seconds rôles. 
L'une des particularités de la série est de rendre plausible des concepts totalement farfelus. Si on ne s'en tient qu'au synopsis, on a tout de même l'histoire d'un type décapité qui s'échappe ensuite d'une morgue, mais sans sa tête. Les trois scénaristes à l'oeuvre ici, à savoir Vince Gilligan, Frank Spotnitz et John Shiban ont eu la lourde tâche de rendre crédible un tel postulat dans l'univers d'X-Files. Et effectivement, on y croit tout de même. On serait même prêt à valider la théorie de Mulder, au moment où il explique que ce monstre est une anomalie de l'évolution. Bien évidemment, on se doute qu'il est presque impossible de croire que cet être, atteint d'un cancer généralisé, soit capable de régénérer des parties de son corps, mais l'intrigue injecte suffisamment de petits détails scientifiques pour insuffler une illusion de réalisme.
Malgré le sérieux de l'affaire, Kim Manners dilue tout de même une dose de légèreté, en distillant un certain degré d'humour noir et macabre, notamment dans la première partie. Le réalisateur parfait pour instaurer une telle ambiance. Il fallait bien ça pour introduire une telle histoire loufoque. A ce propos, la dynamique entre Mulder et Scully fonctionne merveilleusement bien. Leurs petites taquineries, l'un envers l'autre, ainsi que leurs réponses font souvent mouches, comme ce moment où Mulder demande à Scully si elle pense que la tête qu'elle autopsie est vivante. Ses passages soulignent parfaitement leurs brillantes interactions. A noter que l'épisode nous ramène le docteur Chuck Burks disparu depuis The Calusari (saison 2). Musicalement, Mark Snow signe ici une de ses plus chouettes bande son pour la série, juste après son excellent travail sur Paper Hearts. Décidemment, le compositeur a enchaîné les succès, durant cette période.

Mais bien entendu, Leonard Betts est resté évidemment célèbre pour son twist tonitruant: celui qui amène la terrible révélation du cancer de Scully. En effet, à la fin de l'opus, le personnage éponyme s'excuse d'agresser notre héroïne, car elle aurait quelque chose en elle dont il a besoin. Puis, la toute dernière scène nous montre l'agent se réveiller en pleine nuit, le nez en sang. L'annonce a fait l'effet d'un tremblement de terre, d'autant plus qu'elle intervient lors de la conclusion d'un simple loner, générant un immense effet de surprise. Son cancer deviendra principalement un développement thématique de la mythologie, mais il est malicieux de révéler une telle chose sur un simple "monstre de la semaine". Le trio de scénariste ont habilement introduit leur rebondissement via cette simple phrase que prononce Betts. Le téléspectateur, pas con pour un sou, comprend alors le poids de tels mots. Mais il faut savoir que ce choix scénaristique a été plus ou moins improvisé après que Darin Morgan, qui devait élaborer un script à cette période, se désista au dernier moment, laissant l'équipe créatrice en panique. Cependant, l'idée du cancer a été plutôt controversé au sein même des scénaristes. Certains pensaient que cela dénaturerait la série, en la transformant en mélodrame typique de ce que proposait déjà la télévision. Il est vrai que, mal négocié, cet arc narratif aurait pu facilement devenir particulièrement "banal", voir artificiel. D'autres, comme le trio Spotnitz, Shiban et Gillian, qui ont écrit l'épisode, pensèrent qu'intégrer cette idée semblait judicieuse, puisqu'elle avait déjà été suggéré dans Nisei, lorsque Scully rencontre toutes ces femmes qui ont été enlevées, et dont certaines mourraient d'une tumeur. Et c'est là le brio de Leonard Betts: Il commence comme un récit plutôt "léger" sur un type sans tête qui se relève, pour ensuite relaté sa tragique descente aux enfers. Et enfin, l'épisode se termine sur une effroyable révélation concernant une des deux stars du show. Il n'y a pas deux segments comme celui ci dans tout X-Files ! Ce crescendo dans les tonalités rende cet épisode indubitablement singulier.
Il est également troublant car il est le deuxième chapitre à confronter Scully à des figures maternelles tordues: D'abord dans Home, où elle se montrait horrifiée d'imaginer ce qu'une mère, qui a engendré un tel bébé malformé, pouvait ressentir. Puis, à la fin, elle se confronte à cette femme complice des actes terribles de ses trois fils. Dans Leonard Betts, la mère de ce dernier lui affirme qu'une mère protège inconditionnellement son enfant et que, un jour, Scully comprendrait aussi.
Leonard Betts constitue un véritable tour de force. Une pièce importante dans la série et une intrigue, à priori classique, qui se révèle déterminante pour la suite de l'arc scénaristique principal. Tout simplement, un des meilleurs monstres de la semaine de X-Files.



13. NEVER AGAIN (Plus Jamais)

Comme précédemment écrit sur mon texte de Leonard Betts, Never Again a lui aussi subi la chaise musicale des épisodes qui a tant animé cette saison 4. En réalité, le douzième épisode produit a été Kaddish, mais Chris Carter pensa qu'il serait intéressant de diffuser Never Again, lorsqu'il était prévu que Quentin Tarantino le réalise. Un moyen pour X-Files de profiter d'un nom prestigieux pour une diffusion qui suit le Super Bowl. A l'origine, c'est le célèbre réalisateur lui-même qui approcha la Fox afin de faire part de son intérêt pour la série, et qu'il souhaitait réaliser un épisode. Glen Morgan et James Wong décidèrent donc d'écrire un scénario qui collerait bien au style du metteur au scène, juste après avoir abandonné une idée d'histoire du fantôme d'Abraham Lincoln qui hantait la maison blanche. En effet, Morgan désirait depuis longtemps concevoir un script sur ce fantôme, mais les nombreuses réécritures de Musings of A Cigarette-Smoking Man ont fini par le dégouter. Malheureusement, Tarantino ne put apporter sa pièce à l'édifice, car la Directors Guild of America l'en empêcha, étant donné que l'artiste n'était toujours pas membre du syndicat, même après avoir réalisé un épisode d'Urgences. Finalement, les deux auteurs durent encore une fois changer leur plan. A cette époque, Gillian Anderson traversait une période un peu sombre, car elle venait de se séparer de son mari. Elle désirait donc explorer une part obscure de Scully. Glen Morgan était parfaitement en phase avec l'actrice, étant donné que lui aussi venait de connaître une très douloureuse séparation. Le teaser de l'épisode, avec Ed Jerse qui signe les papiers du divorce, semble donc être un renvoi à ce qu'a vécu l'écrivain, même si, concrètement, il signera ses propres papiers qu'après la diffusion de Never Again. Et voilà ensuite le duo écrire une histoire déprimante entièrement centrée sur le personnage de Scully. Cependant, à ce moment là, l'arc scénaristique sur le cancer de Scully n'était pas encore à l'ordre du jour. Mais intervertir l'ordre de diffusion entre Never Again et Leonard Betts chamboula tout. Le fait que le premier ait finalement été placé après le second transforme littéralement l'interprétation de l'intrigue. Le choix de diffusion final fait que Scully est censé savoir qu'elle a un cancer maintenant, ce qui expliquerait pourquoi elle broie du noir et remet limite sa vie en question dans Never Again. Tandis que sur la chronologie originale, elle ignorait son état de santé, si l'épisode avait été placé avant Leonard Betts. Même si c'est évidemment fâcheux et dommage pour Morgan et Wong, il y a quelque chose de fascinant de constater que, sans même changer une seule ligne de dialogue, Never Again fonctionne totalement différemment selon son placement dans le calendrier. En outre, cette double interprétation demeure intéressante, quelque soit celle que l'on choisit d'adopter. Mais on peut assurément comprendre la frustration qu'ont pu ressentir le duo d'écrivains. Ils n'ont pas écrit ce script de "Scully affronte son cancer". On peut aisément imaginer que c'est comme si le travail d'autres auteurs avaient sapé tout leur travail, même si, évidemment, ce n'est pas de leur faute non plus. Gillian Anderson a également émis des regrets, car si elle avait su que son personnage soupçonnait l'existence de son cancer, elle aurait joué différemment. Ceci étant dit, elle a tout de même adoré cette expérience. En parlant de ça, avant la conception du scénario, l'actrice contacta justement Morgan, car elle avait émis le souhait que son personnage tombe follement amoureuse d'un autre homme. Pour la petite histoire, l'auteur écrivit une nuit passionnée entre Scully et Ed Jerse, mais Chris Carter retira la scène. Il préféra que cette partie reste ambiguë, d'où ce montage où les deux individus s'embrassent mais se réveillent dans des pièces séparées. Anderson, Wong et Morgan étaient très déçus par cette décision. Carter et d'autres scénaristes ne voulaient pas que Scully soit un énième personnage féminin qu'on voit coucher avec des hommes. Ils estimaient qu'ils avaient travaillé dur pour la différencier des autres héroïnes. Et dans le contexte de l'époque, l'argument se tient. Cela dit, Morgan rétorqua: "Elle est différente, mais telle qu'elle est maintenant, elle n'est pas humaine". J'ai toujours trouvé cette déclaration un peu à côté de la plaque, car tout le monde n'a pas besoin de coucher pour se sentir normal. Mais l'une des raisons invoqué par l'auteur est qu'il trouvait ça injuste que Mulder, lui, ait eu le droit d'avoir une liaison avec Kristen, dans "3". Le showrunner se jusitfia en déclarant que Scully était absente à ce moment là, ce qui était très différent du contexte de Never Again. 

La conception du scénario avait déjà été chaotique, et voilà que le calendrier vient d'en remettre une couche sur le caractère trouble du projet. Malgré tous ces couacs, Never Again est un épisode fascinant et plutôt décalé. Même si le script a été intégralement refait, pour effacer ce que les auteurs avaient en tête pour Tarantino, il subsiste de petites traces de l'esprit du réalisateur ici et là. Pour être plus précis, l'épisode semble définitivement pulpeux, et conserve une esthétique presque trash, d'une certaine manière. Il reste très éloigné des standards de la série. En effet, l'enquête est finalement un prétexte pour une étude sur les personnages, le tout dans une ambiance film noir, au rythme plus doux. On peut donc comprendre pourquoi un segment aussi singulier n'aurait pas nécessairement été judicieux pour présenter X-Files à de nouveaux téléspectateurs, et ce malgré ses nombreuses qualités. En effet, il faut véritablement avoir une certaine attache à la série, et notamment aux relations entre les deux personnages principaux, pour être touché et pleinement investi par toute cette intrigue. Car c'est effectivement un des éléments les plus intéressants du récit: Mulder et Scully sont présentés  comme un couple dysfonctionnel ici. Scully commence l'épisode par se plaindre de ne jamais avoir eu de bureau, et pendant tout le reste du temps, les deux partenaires ne semblent plus se comprendre. Sans compter ces petites phrases qui alimentent cette impression, comme lorsque Mulder déclare: "Peut être que c'est bien qu'on s'éloigne un moment". D'où la suite de l'histoire où ce dernier fait un break dans son travail, pendant que, de son côté, Scully part enquêter sur une affaire sur demande expresse de son collègue. Il s'agit d'ailleurs d'une des raisons du mécontentement de cette dernière. En effet, elle a l'impression que c'est toujours lui qui mène la barque et que, elle, se contente de suivre. En définitif, Scully fait le point sur sa vie durant tout l'épisode. C'est un segment très dépressif qui se déroule de manière assez lente, et qui se permet même de revêtir des atours résolument contemplatifs. L'une des forces de Never Again réside dans son exceptionnel réalisation. Rob Bowman capte élégamment bien l'esprit tourmenté de Scully en la plongeant dans des décors sombres, à l'instar de ce bar miteux, mais aussi de l'appartement d'Ed Jerse (qui ne semble d'ailleurs pas avoir de lumière). L'artiste use plusieurs fois de majestueux travellings tout au long de l'épisode, dont celui qui s'éloigne  lentement de la porte, lorsque Jerse assassine sa voisine. Toute la séquence dans le salon de tatouage constitue également un moment fort. Ce n'est pas tous les jours que l'on voit Scully se faire tatouer le bas du dos. Il y a quelque chose de presque érotique dans la scène, bien plus que dans la scène du baiser presque camouflée dans la pénombre. Mark Snow se donne une nouvelle fois à fond, notamment dans cette partie de l'épisode, en distillant d'intéressantes notes jazzy, conférant une tonalité absolument unique à l'ensemble. Même si le personnage de Jerse est poussé à tuer, Glen Morgan voulait le rendre sympathique. Pour justifier ce choix, l'écrivain déclara: "Mon père m'a appris que les meilleurs monstres étaient ceux qui ne voulaient pas être des monstres". Il eut donc l'idée de ce pauvre type qui se retrouve malencontreusement hanté par un tatouage semblant lui parler dans sa tête.

Même si Never Again n'a pas eu l'apport de Quentin Tarantino, l'épisode a tout de même pu s'appuyer sur les talents d'une autre star: à savoir Jodie Foster qui prête sa voix au tatouage maléfique d'Ed. L'actrice aussi a avoué être fan de la série, et était envieuse d'apparaître dans un épisode. De quoi faire voler en éclat l'un des désirs fondamentaux de Chris Carter qui voulait éviter le plus possible d'inviter des guest stars beaucoup trop connues. Effectivement, il ne souhaitait pas que les téléspectateurs soient distraits par des têtes parfaitement identifiables. Cependant, Jodie Foster ne fait que prêter sa voix à un personnage ici. Malgré ses immenses qualités, l'épisode ne manqua pas de polariser les fans les plus acharnés. Les shippers, ceux qui désiraient ardemment que Mulder et Scully forment un couple, n'ont bien entendu pas du tout apprécié la froideur subsistante entre les deux. Et bien évidemment, ils ont tiqué que Scully se retrouve dans les bras d'un autre homme. Ce fut trop à accepter d'un coup pour leur petit coeur. Déjà, dans The Field Where I Died, les deux auteurs avaient clairement rejeté l'idée que les deux héros soient des âmes soeurs. Ils en remettent une couche ici en suggérant que les deux partenaires entretiennent même une relation toxique. A ce propos, la dispute au sujet du bureau provient de véritables débats qui revenaient sur les forums: Certains fans s'étonnaient toujours que Scully ne semblait pas avoir son propre coin à elle pour travailler. Never Again semble dépeindre Mulder comme quelqu'un d'égocentrique, qui ne se montre jamais pleinement à l'écoute de sa collègue. C'est un type qui a les yeux rivés sur sa propre croisade de dénicher "la vérité", au delà de toutes autres considérations pour autrui. L'épisode semble démontrer qu'il n'y a pas beaucoup de place pour que Scully puisse respirer et s'épanouir. On en revient donc à tous les dommages collatéraux que l'héroïne a subi depuis son association avec lui. Pourtant, elle continue de le suivre et de l'encourager dans son travail, quitte à s'éloigner de ses anciens amis et collègues. On peut aisément comprendre la réaction défensive de Scully, lorsque son partenaire lui a préparé minutieusement une liste de tâches à accomplir, pendant son absence au bureau. Il ne la considère que comme une extension de lui même, pendant que lui part une semaine en vacances. Comme s'il se souciait plus de ses dossiers que du bien être de sa coéquipière. Finalement, Glen Morgan et James Wong dressent ce portrait peu reluisant de Mulder depuis la première saison. A contrario, ils ont toujours eu plus d'affection envers Scully, une femme qui manie mieux la diplomatie que son partenaire. Par exemple, dans Tooms, elle tente de le couvrir face à Skinner, tout en essayant de tempérer les tensions qui subsistent entre Mulder et sa hiérarchie. Dans Ice, elle tente de gagner la confiance des autres membres de l'équipe d'expédition. Elle redouble bien plus d'efforts que son collègue. A contrario, Mulder se montre plus facilement susceptible et imbu de lui-même dans les scénarios des deux auteurs. Dans Never Again, l'homme ne perçoit pas une seule seconde la crise existentielle que traverse Scully. Il passe la totalité de l'épisode à ne pas la comprendre et à se montrer aveugle sur sa détresse. C'est un épisode absolument terrible, car même la toute dernière scène ressemble à une impasse: Le métrage se termine sur une phrase inachevée de Mulder, puis par un long silence gênant. Fin. L'histoire se conclut donc par la non réconciliation des deux protagonistes principaux. Ils ne se comprennent pas. Pour terminer ce paragraphe sur une note positive, l'allusion de Mulder à "Moose and Squirrel" est marrante étant donné que les internautes surnommaient réellement les deux héros "Moose and Squirrel". Cependant, Morgan l'ignorait totalement, mais fut tellement amusé par ce curieux hasard qu'il décida de conserver ce dialogue.

Gillian Anderson se montra particulièrement agacée par les commentaires qui trouvaient que son personnage se comportait de manière étrange et inhabituelle. Elle estimait que ces personnes avaient torts et que Never Again mettait seulement au grand jour un aspect de la personnalité de Scully que les spectateurs n'avaient jamais vu auparavant. X-Files nous présentait qu'une infime partie des traits de son héroïne, mais que d'autres demeuraient dans l'ombre. Finalement, on ne la voyait jamais réellement presque en dehors des enquêtes. Et l'actrice avait raison: on peut se révéler d'une certaine façon en face de personnes, ou dans certains contextes, puis être assez différent à d'autres moments. D'ailleurs, pour pleinement comprendre son personnage, l'actrice a réellement voulu se faire tatouer un ouroboros dans le dos, mais l'équipe lui expliqua que cela allait prendre trop de temps. 
A un moment, Mulder exécute un petit mouvement de karaté, pendant son pèlerinage à Graceland. Pour l'anecdote, dans l'épisode Shadows de la saison 1 (écrit par Morgan et Wong), Mulder fait une référence à Elvis, puis David Duchovny avait improvisé un geste de karaté qui a ensuite été coupé. L'acteur récidiva ici, et il appela Glen Morgan pour lui dire: "Je l'ai refait ! Et il y a intérêt à ce que ça soit dans la série !" L'écrivain révéla qu'il était ensuite prêt à partir en guerre, si ce mouvement n'avait pas été retenu dans la salle de montage. 
Quelques temps après le tournage, Gillian Anderson et Rodney Rowland, l'interprète d'Ed Jerse, sont sortis ensemble, pendant un temps. Il faut savoir que l'acteur provient lui aussi de Space: Above And Beyond, la défunte série de Morgan et Wong. Ce qui fait que dans les quatre scénarios qu'ils ont écrit, ils auront réussi à placer quelques acteurs de leur ancien show. Il était évident que leur tout dernier script pour X-Files soit centré sur Scully. Comme dit dans mes précédents articles, ils ont toujours eu plus de facilité à écrire pour elle, et c'était donc un joli cadeau d'adieu que de conclure sur un Scully centric. Un épisode qui permette à notre héroïne d'avoir le dernier mot face à un Mulder qui "la ridiculise régulièrement", selon les impressions des deux scénaristes. Le titre "Never Again" est bien entendu une référence au tatouage d'Ed Jerse qui lui parle et le pousse à l'homicide, mais c'est aussi un message qui signifiait que "plus jamais" Morgan et Wong n'écriront d'autres scénarios d'X-Files. Il faut dire que leur passage dans la quatrième saison ne s'est pas particulièrement bien passé. On mesure la frustration de passer de leur propre série, où ils avaient une liberté presque totale, à une autre, où ils sont redevenus que de "simples" scénaristes, a dû être un coup dur. Home a été l'épisode qui s'est le mieux déroulé, mais ils ont tout de même dû se battre contre la Fox qui voulait censurer leur histoire. The Field Where I Died a bénéficié d'un montage bien trop long, obligeant l'épisode a être amputé d'une bonne partie de l'histoire. Musings of A Cigarette Smoking Man a connu des divergences artistiques venant des deux auteurs face à Chris Carter et d'autres membres de l'équipe. Certaines tensions ont germé, et Morgan et Wong n'avaient plus l'impression d'être à leur place. Never Again a lui aussi connu une gestation compliquée. On ne peut s'empêcher d'y voir une corrélation entre la fin déprimante de l'épisode et l'amertume engrangée par le duo. Le lien qui existe entre Mulder et Scully semble se briser, à l'instar de celui qui unissait Morgan et Wong avec le reste de l'équipe. Lors d'une interview, Morgan se demandait si les gens reparleront de Never Again, lorsque la série sera terminée. Il se rendait compte que de gros morceaux comme Beyond The Sea, Colony, End Game ou encore The Erlenmeyer Flask étaient souvent cités dans les conversations.
Never Again est un audacieux épisode introspectif qui maximise l'aspect émotionnel, au détriment de l'enquête en elle-même. Je ne sais pas s'il est régulièrement cité dans les épisodes les plus marquants, comme l'espérait Glen Morgan, mais, à titre personnel, il demeure un segment très à part, à la fois au sein de cette saison tourmentée, mais également dans toute la série.




14. MEMENTO MORI (Journal de Mort)

Le voilà, le fameux Memento Mori. Cet épisode qui a vu Gillian Anderson décrocher le fameux et tant convoité Emmy Award de la meilleure actrice dans une série dramatique. Mais ce n'est pas tout: l'oeuvre a aussi permis de remporter l'Emmy de la meilleure direction artistique, en plus d'avoir été nommé pour le meilleur scénario. Il s'agit donc tout simplement de l'épisode le plus prestigieux de la saison 4, voir de toute la série. Il est difficile d'imaginer que la naissance de ce petit film soit le résultat d'un heureux accident. En effet, comme déjà mentionné bien plus haut, Darin Morgan devait écrire un scénario, mais il se désista à la dernière minute, obligeant Frank Spotnitz, Vince Gilligan et John Shiban à élaborer une histoire en seulement deux jours; Chris Carter réécrira quelques parties. Memento Mori est donc prestigieux déjà par le nombre de scénaristes qui se sont attelés activement à son écriture. Il est intéressant de s'imaginer que dans un univers alternatif, Darin Morgan a pu écrire son histoire, balayant l'arc du cancer de Scully d'un revers de la main, puisqu'il n'aurait peut être jamais vu le jour. Malgré la levée de boucliers de certains scénaristes, Carter pensa que c'était une occasion d'aborder certains sujets en inoculant la maladie à Scully, au lieu de sa mère, comme prévu à l'origine. Il y avait matière de questionner la foi, la science, les soins de santé, mais aussi d'apporter une dimension peut être spirituelle au paranormale.
On ne mesure pas assez l'exploit d'avoir réussi à écrire un tel épisode en quelques jours, et à le produire ensuite très rapidement, pour un résultat qui tienne malgré tout la route, en plus de se permettre d'aller faire un petit tour aux Emmy Award. Memento Mori représente donc une prouesse télévisuelle. Et elle se produit dans la chaos ambiant entourant la saison 4 d'X-Files. Et il est d'autant plus étonnant que cet épisode, concocté à l'improviste, allait orienter et définir les grandes lignes de la fin de l'année, mais aussi le début de la saison 5.

Memento Mori est donc un mytharc, mais un mytharc de seulement un seul épisode. Une chose qui n'était plus jamais arrivé depuis la saison 1. Il se permet même de convier pas mal de personnages réguliers en seulement moins d'une heure d'antenne. Margaret Scully, Skinner, L'Homme à La Cigarette et même Les Lone Gunmen sont de la partie. Et ils ne se permettent pas de faire de la simple figuration, mais ont au contraire une place active dans le récit. Plus globalement, c'est un segment qui doit se suffire à lui-même. La perfection du métrage provient justement du fait que quatre des scénaristes les plus prolifiques de la série sont à l'oeuvre ici, profitant indéniablement des forces de chacun. Frank Spotnitz est celui qui sait structurer un mytharc pour qu'il dure. Il est également le second architecte de la mythologie. Toutes les scènes d'action, notamment lorsque Mulder s'introduit dans un établissement de haute sécurité, en compagnie des Lone Gunmen, ont sûrement bénéficié des talents de Vince Gilligan et John Shiban. Le premier a écrit des moments intenses, comme ce moment où Mulder recherche le Pusher dans un hôpital dans l'épisode éponyme. Le second a une appétence pour les récits directs et efficaces, qu'il utilise pour créer des images chocs. Enfin, les monologues en prose de Chris Carter saupoudrent le tout, mais savent se montrer touchants ici, en plus d'être élégamment intra-diégétiques, puisque la voix de Scully récite en réalité les écrits de son journal. A ce titre, le pages où elle s'adresse à Mulder en lui disant de continuer seul, parallèlement à la scène où l'on voit ce dernier s'efforcer de trouver un remède pour la sauver, constitue un des moments les plus forts de la série. C'est donc globalement un segment mythologique qui, vu la gravité de son propos, préfère jouer la carte de l'émotion, avec en point d'orgue cette superbe scène de fin où Mulder et Scully s'enlacent longuement. Lors du tournage, les deux acteurs ont même improvisé un baiser, mais Carter trouva qu'il était encore trop tôt à ce stade de la série. Comme précité, l'oeuvre délaisse le drame hospitalier pour nous offrir des scènes plus légères avec les Lone Gunmen et Mulder. Toute l'infiltration de ce dernier et de son trio d'amis a quelque chose de terriblement excitant et ludique. D'après Spotnitz, c'est grâce à ce chapitre que l'équipe a eu l'idée de créer des épisodes centrés sur eux par la suite. Sans Memento Mori, il n'y aurait probablement jamais eu des épisodes comme Unusual Suspects (saison 5), Three of a Kind (Saison 6) et encore moins leur propre spin-off. 

L'intrigue donne également la possibilité à Skinner de briller, notamment en lui faisant un pacte avec le diable pour tenter de sauver son agent. En effet, il se soumet au Smoking Man afin que ce dernier lui donne un potentiel remède contre le cancer de Scully. Skinner avait déjà montré qu'il était un allié fiable de nos deux héros, mais il est toujours excitant de le voir repasser à l'action. Le scénario remet l'Homme à La Cigarette à la place qu'il occupait lors de la saison 2, à savoir l'incarnation du mal personnifié, balayant son humanité latent dans Musings of A Cigarette Smoking Man ou même dans Talitha Cumi et Herrenvolk. Sa présence dans la pénombre, ne laissant qu'une inquiétante fumée de cigarette, n'est évidemment pas étrangère à l'image malveillante de l'antagoniste. Il redevient ici le méchant suprême, et cette imagerie insiste clairement sur la malveillance du personnage.
Memento Mori est aussi marquant pour avoir ramené divers éléments issus d'anciens épisodes mythologiques, à l'instar des grosses cuves dans lesquelles des hybrides hibernent dedans, renvoyant à la célèbre image de The Erlenmeyer Flask, le grand final de la première saison. Cependant, un spectateur non attentif n'aura peut être pas reconnu que les clones qui aident Mulder sont en réalité les petits garçons qui ouvraient la saison dans Herrenvolk. Et puis, notons également le retour de Penny Northern, une des femmes enlevées que Scully a rencontré dans Nisei. Sans oublier la discussion entre Mulder et Skinner faisant écho aux évènements de One Breath. Il y a donc un parfum de continuité vraiment agréable ici. Une impression que les personnages et éléments qui ont été disséminés ici et là peuvent réapparaître pour donner de la consistance à l'univers bâti autour de Mulder et Scully. Ce sens du détails provient vraisemblablement de la fusion entre Spotnitz et Gilligan. En effet, le premier est, comme dit plus haut, un des gérants de la vaste mythologie, tandis que le second est un fan assidu de la série. Une condition qui le rend plus perspicace pour savoir ce qui va titiller la fibre nostalgique des autres fans.

Memento Mori ressemble presque à un mélange entre le drame choral mêlé à du thriller d'action. Il est presque étonnant que l'épisode arrive à alterner ses différentes aspirations avec aisance. J'ai cité One Breath juste avant, mais il est intéressant de constater que les deux oeuvres se répondent à de nombreuses reprises: Il s'agit de deux histoires qui voient Scully en proie à la mort, pendant que Mulder tente de jouer les héros pour venir en aide à cette dernière. Sauf que cette fois, c'est Skinner (et non Mulder) qui se confronte au Smoking Man, au milieu du scénario. Cependant, on pourrait aussi déplorer que Scully ait un rôle passif ici. Mais ce serait porter un mauvais procès à la série: On peut aisément comprendre que cette dernière n'ait pas envie de courir dans tous les sens et jouer les héroïnes, après le choc d'un tel diagnostique. Mais il est vrai qu'il peut être malheureux que toutes les femmes de l'intrigue passent leur temps à attendre, pendant que Mulder, Skinner, l'Homme à la Cigarette, Kurt Crawford ou encore les Lone Gunmen possèdent tous des scènes très actives. À propos de la scène tendue entre Mulder et Skinner, Rob Bowman raconta la manière dont il a voulu placer les deux interlocuteurs: Il voulait que le premier soit assis sur le dossier du canapé, plus bas que son supérieur, afin d'insister sur le fait qu'il est déstabilisé et ne sache pas trop comment se comporter.
A ce sujet, Memento Mori représente un contrepoids évident à Never Again, en démontrant que Mulder se soucie réellement de Scully, et est prêt à tout pour sauver sa vie, quitte à mettre la sienne en danger. Mieux encore, le récit nous offre une relation quasi romantique du duo, tout d'abord avec le premier qui arrive à l'hôpital avec un bouquet de fleurs, au tout début, puis en les faisant s'enlacer, à la toute fin. Sans oublier la quête romantique de Mulder qui se démène pour sauver sa Scully. Il est évident que l'épisode a été extrêmement populaire pour la dynamique entre les deux vedettes, fonctionnant à un tel degré qu'il est difficile de ne pas voir qu'ils sont bien plus que de simples partenaires. Le regard tendre qu'ils s'échangent après leur câlin semble en dire long sur leurs sentiments. Chris Carter le reconnaît volontiers, puisque, lors d'une interview, il déclara: "Mais il est absolument évident qu'ils s'aiment, chacun à leur manière. Et c'est le plus bel amour. Il est inconditionnel. Il ne repose pas sur une attirance physique, mais sur une passion commune pour la vie et leur quête. Ce sont des héros romantiques dans la tradition littéraire." Rob Bowman trouvait intéressant le contraste qu'il subsistait entre les deux partenaires dans cette scène: Scully est vêtue de blanc, mais semble effrayée et triste. Tandis que Mulder revêt d'un noir discret qui contraste avec ses sentiments du moment. Je trouvais cette citation du réalisateur assez touchante, lorsqu'il conclut par: "Je me souviens avoir tourné cette scène et m'être senti privilégié de travailler sur une série qui proposait une telle variété d'histoires [...] C'était une série où nous avons pu filmer des sous-marins et des vaisseaux spatiaux en vol, et je pense que nous les avons fait aussi bien que quiconque, et puis nous avons pu faire des choses comme ça aussi, et j'ai pu être là, je l'ai filmé et ça restera gravé dans ma mémoire."
Memento Mori révèle également le stérilité de Scully, conséquence des expériences qu'elle a subi au cours de son enlèvement. La série revient ainsi sur cette image d'hommes puissants qui utilisent le corps de femmes à leur insu. Cette partie de la mythologie s'attarde à décrire l'exploitation du corps des femmes par un groupe d'hommes n'ayant aucune considération pour elles. Cependant, l'épisode se montre optimiste en suggérant que Mulder n'est pas seul à vouloir sauver ces femmes: Les hybrides qu'il rencontre dans le dernier acte veulent en faire autant. Comme à l'accoutumée, Rob Bowman réalise un travail fabuleux de bout en bout. Pourtant, le metteur en scène ne se sentait pas à l'aise avec l'idée d'un mytharc porté presque exclusivement par l'émotion. Frank Spotnitz le rassura préalablement en déclarant que ça restait un opus mythologique malgré tout, et qu'il ne versera pas non plus dans le mélodramatique. Bowman réutilisa une brève scène issue de Nisei, dans laquelle nous revoyons les femmes enlevées que Scully rencontre. Il est rare que la série ait recours au flashback pour illustrer un moment clef d'un épisode antérieur.

Impossible de ne pas parler du jeu d'actrice de Gillian Anderson qui brille de mille feux dans l'épisode, malgré sa passivité durant l'intrigue. Elle tente de camper une Dana Scully forte qui essaie de ne pas craquer face à la tristesse et à la peur. Mais il serait injuste d'oublier David Duchovny qui joue un Mulder passant par toutes sortes de sentiments aussi. C'est l'acteur qui suggéra aux scénaristes que Mulder ne soit pas une simple figure héroïque. Il voulait qu'il ait une réaction normale face au diagnostique du cancer de sa partenaire. Qu'il ne sache pas quoi dire exactement. L'acteur déclara: "Permettez-moi d'être totalement insensible et de me comporter comme un connard avec elle, parce que c'est ce que font les gens. Ils vont à l'encontre de leurs meilleurs instincts. Ils ne sont pas toujours princiers dans cette situation." Alors, au final, je ne dirais pas que Mulder se compote comme un vrai connard auprès de Scully, mais sa maladresse et son manque d'assurance allouent une dimension plus humaine à son personnage. L'équipe s'attendait à ce que Gillian Anderson fasse un excellent travail sur ce chapitre, mais pas que Duchovny se l'approprie remarquablement bien. En effet, son refus d'accepter la maladie de sa partenaire contribue grandement à la justesse et la réussite de l'épisode. En revanche, cette dernière se cache derrière un masque de stoïcisme, car elle sait pertinemment que son partenaire a tendance à se montrer émotionnellement plus instable qu'elle. Il y a également cette jolie scène entre Scully et sa mère démontrant qu'elles réagissent très différemment à la triste nouvelle. Une autre scène nous présentant Bill Scully avait été tourné, avant d'être coupé, car l'épisode durait trop longtemps. Le frère de Scully apparaitra finalement plus tard. 
Une mignonne anecdote raconte que, un jour, une fille s'est approchée de Frank Spotnitz, à la piscine, et qu'elle lui avait récité en entier la voix off que prononce Scully, au début de l'épisode, On s'en doute, le scénariste a été très surpris.
Memento Mori n'a pas pour ambition de réellement faire progresser le fil rouge, mais il représente une synthèse intéressante de plusieurs éléments mythologiques qui ont été distillés au cours des années. Il s'ancre davantage dans l'émotion tout en préfigurant tous les arcs futurs à venir. Il est un moment pivot de la saison. Il s'agit tout simplement d'un des meilleurs épisodes mythologiques de la série, malgré sa courte durée.




15. KADDISH (La Prière Des Morts)

Je le rappelle brièvement, mais Kaddish était en réalité le douzième épisode finalisé, et puis tu connais la suite de l'histoire: il semblait plus judicieux de diffuser Leonard Betts pour suivre le Super Bowl. Un épisode indubitablement plus fort que Kaddish. Pourtant, ça n'empêche pas qu'il s'agit d'une très jolie histoire d'amour, et il revisite intelligemment le mythe juif du golem. Ce n'est pas un X-Files trop violent ou même trop démonstratif. Il sait se montrer doux et sensible. Même si l'épisode emprunte une créature classique, il arrive à la faire évoluer dans un récit plutôt bien fichu. On connait maintenant la tendance qu'a la série de se planter, lorsqu'il s'agit d'aborder le cas de monstres connus. Même si le golem n'est pas aussi populaire que d'autres figures mythiques, comme les loups garous ou les vampires, son utilisation ici est assez respectueuse. Et c'est à Howard Gordon qu'on doit ce chouette petit film. D'après lui, beaucoup d'auteurs juifs ont proposé une histoire autour du golem, mais c'est finalement lui qui a reçu le feu vert pour écrire dessus. Il faut savoir qu'il s'agit ici du tout dernier travail solo de Gordon pour la série. Il continuera néanmoins à collaborer jusqu'à la fin de la saison. Il eut envie de raconter cette intrigue sur une veuve éplorée qui, dans un geste de désespoir, invoque un golem ayant l'apparence de son défunt mari assassiné. On sent qu'il s'agit d'un scénario très personnel d'Howard Gordon. Etant juif lui même, on peut aisément se dire qu'il était sûrement plus à l'aise que pour écrire Teliko, un des ratages de la saison, ou encore Fresh Bones, qui, lui, est une pure réussite, en revanche. Ces deux derniers exemples traitaient eux aussi de croyances venues de diverses cultures. Malheureusement, dans X-Files, soit ces histoires arrivent à se montrer respectueuses de ces communautés, comme Fresh Bones justement, ou bien elles versent dans le borderline, à l'instar de Teliko ou encore El Mundo Gira. Et puis, il y a les cas quelque peu mitigés comme Shapes. Kaddish appartient donc à la bonne catégorie, et il se montre même particulièrement élégant dans sa représentation de la communauté juive. Cependant, c'est un joli petit conte, mais qui n'est pas forcément très fin non plus. En effet, les méchants de l'histoire, ceux qui ont tué Isaac, l'ancien mari d'Ariel, sont des néo nazis totalement bidimensionnels dans leur fonctionnement. C'était totalement volontaire d'après Gordon. Ce dernier voulait, à l'origine traiter de l'antisémitisme des afro-américains, mais la chaîne n'était pas à l'aise avec l'idée. Après moult réflexions, l'écrivain songeait au fait que traiter le sujet de l'antisémitisme était un sujet très complexe à aborder. Peut être trop pour être condenser dans un petit épisode de 45 minutes, d'où cette représentation très clichée des néo-nazis à l'oeuvre ici. Cela n'empêche pas à certaines scènes de ne pas fonctionnent réellement: En effet, qui irait se vanter fièrement de son antisémitisme auprès d'agents du FBI qui enquêtent justement sur le meurtre d'un juif. C'est un des aspects un peu concon du métrage, il faut reconnaître.
Pour être juste envers Kaddish, son intrigue préfère explorer le ressenti des juifs dans un pays qui défend le droit des néo-nazis à défiler tranquillement. C'est un épisode qui préfère pointer du doigt la sacro sainte liberté d'expression. Et tant pis si les nazillons de cette histoire sont dépeints de manière caricaturale. 

Au début, on pense que la créature a été invoqué par haine et par vengeance, jusqu'au petit twist qui révèle que c'est Ariel qui a voulu ramené son mari à la vie. Cela rajoute une touche romantique à l'ensemble. De toutes façons, Gordon ne voulait pas d'une simple histoire de vengeance, ni du principe du "oeil pour oeil". La douceur provient également de l'élégante mise en scène de Kim Manners et de la superbe direction photo de Jon Joffin qui plongent l'épisode dans des tonalités sombres, mais sans verser dans le glauque. Même le "fantôme" d'Isaac n'est pas représenté de façon monstrueuse ou hideuse. Il ressemble comme deux gouttes d'eau à la vraie personne qu'il était, mais dépourvue âme. En définitif, ce n'est pas un épisode effrayant. Il n'a pas pour but de terrifier le téléspectateur. Il désire juste décrire la souffrance que la haine antisémite engendre: Ici, Ariel et son père, Jacob, sont terrassés par le chagrin. Kaddish a également pour point thématique le pouvoir des mots. Tout d'abord, ce sont les mots, les insultes et les ragots sur les juifs qui finissent par tuer. Car, effectivement, ce sont tous ces mots de haines qui incitent le passage à des actes violents. Parallèlement, c'est également par le pouvoir des mots qu'Ariel invoque le golem, une implacable machine à tuer. Et c'est également en enlevant une partie du terme inscrit sur la créature que l'on peut la rendre impuissante, et ainsi la détruire. Il est donc intéressant que Isaac et Brunjes, l'un des néo-nazis, meurent tous deux dans leur propre magasin: chacun étant détruit directement ou indirectement par le pouvoir des mots. 
Comme il est souvent de coutume dans ce genre d'histoires, Mulder et Scully ne servent concrètement pas à grand chose ici. Ils ne font pas spécialement avancer l'intrigue. Ils sont des spectateurs privilégiés de la tragédie qui se déroule sous leurs yeux. A ce titre, la scène finale est magnifique, en plus d'être déchirante: lorsqu'Ariel et le golem d'Isaac miment la cérémonie de mariage traditionnelle. Il y a quelque chose d'horrible car, pour les deux, ce jour aurait dû être le plus beau de leur vie. Comme il s'agit d'un script d'Howard Gordon, ce dernier n'oublie pas la caractéristique de Mulder qui sait se montrer compatissant, même si il reste moins démonstratif que dans autres épisodes.

Comme dit au dessus, Kaddish est aussi joliment mis en scène. Je repense parfois à la chouette scène lorsque Mulder consulte Kenneth Ungar, un expert judaïque. C'est juste un dialogue entre deux personnages, mais il est superbement mis en valeur. J'ai toujours apprécié les échanges lorsqu'Ungar lui révèle la manière d'animer le golem, mais aussi la façon de procédé pour le détruire. Kim Manners a l'habitude de réaliser des épisodes sombres et macabres, mais il sait parfaitement insuffler de la mélancolie et de la douceur dans Kaddish. Mark Snow contribue grandement à la réussite de l'ensemble, avec ses cordes lourdes qui accompagnent la tragédie relatée. Pour être tout à fait franc, je n'ai pas tout de suite adhéré à Kaddish. Peut être qu'il manquait trop de suspense ou trop de frissons pour un loner. J'étais un adolescent sensible, mais peut être que ce n'était pas ce que je recherchais dans un X-Files. Cependant, c'est une oeuvre qui se bonifie à force de visionnage, et je l'ai finalement rapidement apprécié. En revanche, il ne constitue pas un segment majeur de la quatrième saison. Et ce n'est pas important: il réussi tout de même à se révéler suffisamment émouvant et singulier, et c'est déjà beaucoup. Et évidemment, l'épisode sort juste après Memento Mori, et on sait à quel point passer après un mytharc riche en émotions peut être délicat. Des opus comme Firewalker ou encore DPO ont énormément souffert d'être passé juste après des chapitres aussi prestigieux que One Breath ou Paper Clip. Il fait donc partie de ces épisodes qui supportent mieux un second visionnage.
Le Kaddish est un prière juive de deuil pour les morts, donc un titre parfaitement adapté à l'histoire relatée ici. Kaddish est également célèbre pour une cocasse anecdote de tournage: Celle du refus catégorique du livre juif de prendre feu, lors de la scène du cimetière avec Mulder et Scully. En effet, l'accessoire ne s'enflammait jamais au moment voulu. Et lorsqu'il se décida, il se mit à bruler tellement fort que David Duchovny dût jeter le livre truqué et s'enfuir loin. Les deux acteurs passèrent beaucoup de temps à travailler avec la deuxième équipe sur cette toute petite saynète, engendrant de chouettes archives pour les bêtisiers.
Une autre anecdote mignonne réside du côté de Justine Miceli, l'actrice qui joua Ariel Luria. Cette dernière n'était pas juive du tout. Cependant, un mois avant le tournage, elle est allée chez un couple d'amis qui fêtaient la fête juive de Soukkoth. Le rabbin présent à l'évènement dit à l'actrice: "Peut être qu'un jour, tu joueras une juive. Tu as l'âme pour ça."
En définitif, Kaddish est un joli épisode, émouvant et bourré de bonnes intentions. Et ça fait du bien d'avoir un chapitre tout en retenu qui refuse toutes pointes d'hémoglobine, comme nous a déjà pas mal habitué la saison 4. Malheureusement, il est éclipsé par tout ce qui l'entoure, et il se montre assez discret, comme l'auteur qui l'a mis au monde. Il est vrai que Howard Gordon a toujours été un des écrivains les plus discrets du noyau dur des scénaristes. Pourtant, il a à son actif un nombre impressionnant d'excellents épisodes, mais il se met moins en avant que d'autres grandes plumes de la série, à l'instar de Glen Morgan, James Wong ou encore Vince Gilligan. On peut dire qu'il s'agit presque d'une oeuvre testament, même si l'homme continuera de travailler jusqu'à la fin de l'année.



16. UNREQUITED (L'Homme Invisible)

Unrequited est un petite épisode sous-estimé d'X-Files. Pour les fans, il est aussi invisible que son antagoniste. Pourtant, il recèle de bons moments. Mais il est vrai qu'il possède de malheureux défauts. L'élément le plus curieux du métrage réside dans son teaser qui nous relate en réalité la fin de l'intrigue. Dedans, on y voit Mulder, Scully et Skinner tenter d'arrêter un vétéran du Vietnam qui a la faculté de disparaitre littéralement devant eux. Passé le générique, l'épisode remonte le temps de plusieurs heures pour nous raconter comment nos agents en sont arrivés là. Ce procédé narratif ne semble pas très judicieux ici car rien ne justifie cette mise en bouche. En outre, c'est en général dans les mytharcs que nos héros sont susceptibles d'apparaître. Il est donc très étrange d'avoir concocté un pré-générique ainsi. Il aurait probablement été plus impactant d'avoir placé le premier meurtre de Nathaniel Teager, celui qu'il commet juste après le générique, en guise de teaser. Peut être en ménageant un peu mieux le suspense, mais cela aurait pu constituer un chouette point de départ. Débuter sur ce qui constitue le climax est assez dangereux car, lorsqu'on arrive temporellement à lui, vers la fin, l'effet peut se diluer par l'impression de redit. Et c'est ce qu'il se passe ici. Le climax perd de son impact, car il est très redondant de se retaper toute la scène de la foule, avec nos agents qui traquent Teager. Malheureusement, la séquence semble s'éterniser, et c'est vraiment dommage. Cette non justification peut même paraitre illégitime dans le cas présent: On peut se demander ce qui a motivé scénaristes et réalisateur à adopter une telle approche. S'agit-il de paresse ? Ou d'un aveu de faiblesse car l'équipe a été consciente que le début de l'intrigue est un peu ennuyeux ? On ne le sait pas. Une des théories est que le climax présenté en début d'épisode tenait probablement du fait que le montage final du métrage était trop court, ce qui expliquerait ces longs plans des drapeaux et du défilé. Et peut être donc que, initialement, le meurtre dans la limousine devait peut être définir le teaser. Pourtant, et malgré cette entrée en la matière un peu artificielle, Unrequited est un opus plutôt sympathique. Il est généralement relégué dans les chapitres osef de la série, mais je l'ai toujours trouvé agréable à suivre. 

Tout d'abord le pouvoir du monstre de la semaine est plus satisfaisant que je ne l'aurais imaginé sur le papier. Lorsque je lisais des résumés de l'épisode, je n'étais pas emballé, mais la mise en image est résolument plus percutante. Non pas que son don soit visuellement spectaculaire, mais la justification scientifique émise par Mulder est intrigante, et donne légèrement plus de poids à l'ensemble: Le fait que Teager ait acquis le don d'influencer un angle mort qu'on a tous dans nos yeux est une idée fascinante. Plus concrètement, il ne devient pas physiquement invisible, mais il disparaît "seulement" aux yeux des humains. De surcroit, il y a également un joli parallèle avec ces vétérans de guerre que le pays a invisibilisé. C'est Howard Gordon qui eut l'idée de traiter d'un homme invisible métaphoriquement et politiquement. En outre, c'est son frère ophtalmologue qui lui a expliqué qu'on avait tous des angles morts dans les yeux: des zones non fonctionnelles compensées par notre cerveau. En définitif, c'est une astucieuse variante de l'homme invisible. Gordon a co-écrit l'épisode avec Chris Carter. Comme il lui est souvent arrivé, il n'arrivait pas à bâtir une histoire satisfaisante. Il a été cash avec le showrunner pour solliciter son aide. 
L'écrivain avait déjà exploré les répercussion de la guerre du Vietnam à travers son excellent Sleepless (saison 2). Il en remet une couche ici, avec bien évidemment un résultat moins convaincant. Cependant, c'est un épisode qui se tient parfaitement bien. Son rythme trépignant joue en sa faveur: le fait que Skinner devienne un homme de terrain, et demande de l'aide à ses deux agents préférés, nous donnent de chouettes scènes plus rythmées. Par ailleurs, dresser un parallèle entre le passé de Skinner, lui aussi un vétéran du Vietnam, et l'histoire de Teager est pertinent. Malheureusement, l'intrigue ne met jamais en avant cet aspect là. Il aurait été incroyable d'avoir une confrontation entre le directeur adjoint et cet homme invisible. Cela aurait donné beaucoup plus de poids au métrage. Même si j'apprécie Unrequited, il faut reconnaitre qu'il manque d'impact émotionnel. Il s'agit plus d'un épisode politique indigné que d'un morceau qui nous prend réellement aux tripes. On peut aisément comprendre pourquoi les fans de la série éprouvent un tel désamour pour cet opus. Il reste tout de même un rappel salutaire que X-Files adore remuer ce qui ne va pas aux Etats-Unis. La série prend un malin plaisir à titiller le passé peu glorieux du pays, et à profiter de la pause des années 90 pour se recentrer sur les ennemis de l'intérieur. Parce que, oui, finalement, Nataniel Teager est décrit aussi comme une victime: il a été littéralement abandonné par sa patrie, et ses généraux sont clairement dépeints comme les méchants de cette histoire. Il est également intéressant de noter qu'Unrequited préfigue un peu ce que deviendra Howard Gordon par la suite: Il sera très actif sur 24 Heures Chrono, avant d'être showrunner sur Homeland. On peut clairement y voir les prémices du ton et des obsessions qui vont animer l'auteur ultérieurement.

Mais là où Unrequited brille le plus est dans la réalisation exemplaire de Michael Lange qui alloue à l'ensemble une dimension cinématographique qui, clairement, aide à l'appréciation de l'épisode. Il y a de nombreux plans de caméra très stylisés, et le metteur en scène s'amuse à glisser Teager furtivement de temps à autre, avant de nous le faire disparaître. Grâce aux efforts de Lange, Unrequited paraît incroyablement ambitieux visuellement. Il est évident que sans son apport, l'épisode aurait été encore moins mémorable. Sa dernière réalisation remonte déjà à Ascension, un autre segment au rythme effréné, et il est presque dommage qu'il n'est jamais été un des metteurs en scène les plus prolifiques de la série.
L'intrigue nous présente La Main Droite, un mouvement révolutionnaire radical qui se montre ultra paranoïaque. Une milice qui se méfie du gouvernement, mais qui est dépeinte comme une organisation très douteuse. Ce n'est pas la première fois que cette saison 4 nous présente des groupes extrêmes qui crient au complot. Des segments comme Tunguska, Kaddish ou The Field Where I Died affichaient déjà des groupuscules violents. J'avais lu un papier qui expliquait que c'était peut être une manière pour X-Files de démontrer la situation inconfortable dans lequel le show se trouvait. En effet, le série était un tel succès que Chris Carter n'était peut être pas à l'aise de potentiellement influencer des groupes extrémistes, en racontant des histoires qui affirment que le gouvernement nous ment et nous manipule. Que la paranoïa de Mulder pourrait trouver échos à des illuminés dans la vie réelle. Il semblerait donc que la présence de ces différents groupes ait été un moyen de critiquer ces organisations radicales et violentes, histoire de clarifier les positions politiques de la série. Par exemple, Tunguska et Terma ont bien délimité la paranoïa et la quête de Mulder en les opposant aux idées de cette milice qui a supposément délivrer Krycek. Il faut rappeler que l'attentat d'Oklahoma City était encore frais à cette époque. Le succès fulgurant de X-Files a sûrement pris de cours Carter et son équipe, et qu'il fallait se dissocier des groupes terroristes ou autres avec ce que véhicule réellement la série.
Marita Covarrubias intervient une nouvelle fois ici, mais, encore une fois, on se demande encore en quoi servent ses apparitions, si ce n'est donner des informations un peu superficielles à Mulder.
Howard avait le sentiment que c'était la dernière fois qu'il pourrait parler des vétérans du Vietnam. Il pensait que leur population commençait à vieillir et, tout comme les survivants de l'Holocaustes dans Kaddish, ils allaient bientôt disparaître. Voici donc une des raisons qui a motivé l'auteur à écrire ces deux dernières histoires. Il était également content d'offrir un rôle plus actif pour Walter Skinner. C'est un personnage qui méritait plus d'apparitions.
Finalement, il est vrai qu'Unrequited n'est pas un très bon épisode, mais je l'aime bien. Il n'est absolument pas honteux et se tient bien mieux que d'autres opus faiblards de la saison, tel que Teliko ou El Mundo Gira.




17. TEMPUS FUGIT (Tempus Fugit Partie 1)

Pour être tout à fait franc, j'avais été terriblement déçu par le diptyque Tempus Fugit et Max, lorsque je l'ai découvert en VHS. Comme il s'agissait d'un gros morceau mythologique, j'avais été surpris de ne pas voir le casting secondaire à l'oeuvre, mis à part une apparition de Pendrell et de Skinner. Pour moi, il fallait des interactions entre une multitude de personnages pour que je sois un minimum satisfait par la mythologie. En somme, j'avais besoin de ma dose de fan service. Mais, je le concède, j'ai mal jugé ce double épisodes. Il faut le prendre comme une histoire résolument plus intimiste, et c'est comme tel que l'intrigue fonctionne le mieux. On peut même dire que la réapparition soudaine de Max Fenig, figure incontournable de Fallen Angel de la saison 1, a motivé l'équipe à réduire le scope de cette intrigue. En effet, même si ce mytharc se scinde en deux parties, on peut aisément affirmer que Tempus Fugit et Max agissent comme un hommage appuyé aux histoires conspirationnistes qui ont alimenté la première saison. Bien entendu, une intrigue alien comme dans la saison 1, mais avec le budget nettement plus confortable de la saison 4. Ce diptyque contraste donc fortement avec l'ampleur internationale et épique de Tunguska et Terma. Il s'agit ici d'un scénario plus personnel. Maintenant, on sait que la production marchait sur des oeufs et ne devait pas faire progresser trop vite le fil rouge de la série. Il fallait en garder en réserve pour l'adaptation cinématographique. Et comme déjà expliqué dans cet article, cela explique pourquoi la mythologie avance plus lentement dans la saison 4 et une partie de la 5. En revanche, cela a tout de même permis de donner lieu à de magnifiques chapitres, à l'instar de Tunguska, Memento Mori et Zero Sum. L'équipe profita donc de l'occasion pour explorer l'intime. Tempus Fugit et Max sont piles dans cette mouvance. Oui parce que, avouons le, le spectateur qui aurait envie de se faire un marathon de la mythologie pourra aisément zapper ces deux chapitres, sans que cela ne pose problème pour la compréhension globale du feuilleton. Il ne traite pas de la colonisation, ni du syndicat. Il n'y a aucune trace de clones, de tueur polymorphe, d'huile noir, ni même d'abeilles. Même si Herrenvolk, Tunguska, Terma et Memento Mori ont tendance à temporiser, on ne peut absolument pas les passer, puisqu'ils apportent malgré tout des réponses, en plus de faire évoluer l'ensemble du casting sur l'échiquier du grand fil rouge. Il est intéressant de noter que la quatrième saison apprécie revenir aux fondamentaux de la série: L'épisode suivant, Synchrony, rappelle la thèse que Scully mentionné dans le Pilot. De même, une autre figure de la première saison apparaitra dans le season final. Musings of A Cigarette Smoking Man se permet même d'assister à nouveau au recrutement de Scully, mais à travers les yeux de L'Homme à La Cigarette. Enfin, Max Fenig revient ici dans un diptyque qui s'efforce de renouer avec les origines des épisodes centrés sur les extraterrestre, tels qu'ils étaient racontés dans la saison 1.

A noter que l'introduction de Tempus Fugit est très impressionnante: Il relate les évènements tragiques du vol 549 et comment Max Fenig s'est fait enlever à bord de l'avion, pendant que les autres passagers ont vécu les dernières minutes de leur vie. Un massacre qui a tout de même fait plus de cent victimes. Le film préfère donc se concentrer sur les petites gens qui subissent ces effroyables expériences paranormales. Il met en lumière les innombrables dommages collatéraux de civils qui se trouvent sur la route des ces rencontres du troisième type, ainsi que de ce gouvernement qui fait le ménage derrière. Le film trouve donc une justification à la quête de Mulder et Scully, à savoir donner un sens à tous ces "sacrifices humains". Toutes ces vies perdues pour quelque chose qui nous dépasse tous. La vérité mérite donc d'être recherchée et révélée, afin que les proches des victimes puissent correctement faire leur deuil. Et tout simplement les victimes méritent des réponses, au moins pour préserver leur dignité. Rétrospectivement, le diptyque peut être comparer à une piqure de rappel de Chris Carter qui recentre l'arc mythique sur ces anonymes. La mythologie s'est tellement élargie et complexifiée qu'il est intéressant, à ce niveau là, de revenir sur les fondamentaux de la série. L'intrigue se permet même de réintégrer l'idée de perte du temps. En effet, le vol 549 a été victime d'un trou de neuf minutes; un pouvoir de figer le temps que les extraterrestres avaient tendance à démontrer dans plusieurs chapitres des premières heures de la série, comme le témoignent le Pilot ou encore EBE. Ce temps qui manque a d'ailleurs constitué le premier phénomène paranormal auquel Mulder et Scully ont été directement confronté dans X-Files.

L'épisode arrive à bien retranscrire l'ampleur des dégâts. Le site du crash est visuellement impressionnant. Le passage où Mulder et Scully marchent au milieu des décombres alloue une ambiance tellement funeste. D'ailleurs, la scène du crash constitue sûrement un des moments les plus inoubliables de la série. Elle est tournée de manière si réaliste qu'on pourrait comprendre que des gens soient mal à l'aise à sa simple vision. Tous les passagers qui se font valdinguer dans tous les sens, et qui se retrouvent aspirer à l'extérieur, constituent des images très fortes, et d'une telle noirceur. Tempus Fugit est surprenant, car il présente le retour de Max Fenig pour le tuer illico. D'après Frank Spotnitz, l'équipe ne voulait pas revisiter et explorer davantage le personnage, car elle estimait que Fallen Angel l'avait déjà fait. D'où le choix d'abattre le protagoniste d'office. Mais son retour alloue une dimension plus personnel avec l'enquête, avec cette connexion qu'il subsiste entre Mulder et Fenig. Sans l'apport de cette guest star, l'affaire n'aurait clairement pas eu le même impact. A ce titre, la veillée de Mulder aux côtés du corps de Max se révèle être réellement poignante. Et il est intéressant de constater que, comme le suggère Scully, les deux hommes étaient comme des âmes soeurs. Mulder a un souvenir ému de Max, à tel point que sa casquette du NICAP était accrochée à son porte-manteau, pendant quelques temps. L'épisode nous donne matière à réfléchir sur les professionnels qui galèrent ensuite à résoudre tous ces mystères, notamment à travers Mike Millar, un agent de la NTSB, chargé d'enquêter sur cette catastrophe. Au début, l'homme peut paraître désagréable et dédaigneux envers Mulder, même si ce dernier lui envoie des piques parfois injustifiées. Mais au fil de l'intrigue, et à force de se confronter à des choses inexplicables, il devient plus à l'écoute envers les deux agents. Il agit en véritable professionnel durant la majeur partie des deux segments. Il s'efforce sincèrement de faire son travail du mieux qu'il peut. Il se retrouve malheureusement à cette place ingrate du type qui doit résoudre les mystères d'un épisode d'X-Files.
Tempus Fugit constitue une chouette première partie, assez touchante et visuellement très impressionnante. 




18. MAX (Tempus Fugit Partie 2)

En réalité, l'idée de Tempus Fugit et Max date de la troisième saison. Dave Gauthier, le superviseur des effets spéciaux, avait construit cette gigantesque maquette de Boeing 737 afin de simuler un crash pour un potentiel épisode d'X-Files. Cependant, Chris Carter ne savait pas trop quoi élaborer autour de cette idée. Le synopsis "crash d'un avion" hiberna donc pendant de nombreux mois, au delà de la saison 3. Cet ambitieux décor d'avion avait déjà été mis à contribution, lors du teaser de Teliko. Ce n'est donc que lors de la conception de la saison 4 que le showrunner trouva astucieux de ramener Max Fenig pour impliquer émotionnellement Mulder à l'affaire, comme dit un peu plus haut. Il faut dire que le personnage avait véritablement marqué les esprits, à tel point qu'il a servi de prototype au trio des Lone Gunmen. Son destin était indiscutablement tragique. Max était un homme qui a eu une vie triste. Il est une des victimes des enlèvements par des aliens. Il n'a jamais pu y échapper, et se retrouvait à vivre dans une caravane. En soi, ce dernier point n'est pas forcément un problème, mais on se doute que sa condition de nomade a été poussé par les expériences qu'il a subi. Il ne peut pas vivre comme les autres êtres humains. Tempus Fugit et Max sont terribles, car ils suggèrent que seul la mort a pu libérer le protagoniste de ses ravisseurs de l'espace. Pire encore, il ne peut même pas raconter ses malheurs aux autres, car personne ne le croirait. Il fut depuis toujours condamné à souffrir en silence. Au terme de cette seconde partie, sa mémoire survie grâce à ses enregistrements vidéos. Mulder s'est toujours montré compatissant envers les victimes incomprises, et c'est d'autant plus vrai pour Max. Tous deux ont eu une réelle connexion, et notre agent a toujours éprouvé énormément d'empathie pour lui. Lorsque nos deux héros pénètrent dans la caravane du personnage éponyme, on ressent une profonde nostalgie.
L'acteur Scott Bellis, qui l'incarne, s'est pas mal spécialisé dans les rôles de gentils gars excentriques. Après Fallen Angel, l'artiste retenta sa chance dans la série, mais Chris Carter lui expliqua que son passage dans X-Files avait été bien trop marquant pour qu'il puisse réapparaître dans un petit rôle.
Après le tournage de Fallen Angel, il a régulièrement croisé la route de David Duchovny dans une salle de sport. Ce dernier lui faisait parfois des commentaires encourageants, puis Bellis avait entendu des rumeurs faisant état d'un potentiel retour de Max. Et puis, la suite, on la connait...

L'intérêt d'avoir intitulé cette seconde partie "Max" signifie évidemment que le récit nous relate l'histoire de Max Fenig, mais il souligne le caractère profondément humain du duo d'épisodes. Je semble paraphraser ce que j'ai écrit sur Tempus Fugit, mais cette conclusion continue d'énumérer les victimes collatérales de ces histoires de conspiration: Le personnage éponyme n'est pas la seule victime, ni même les autres passagers de l'avion, on peut ajouter le pauvre agent Pendrell dans le lot. Ce dernier est malencontreusement victime d'une balle perdu d'un tueur du gouvernement, alors qu'il voulait passer un peu de bon temps avec Mulder et Scully. Il se trouvait seulement au mauvais endroit, au mauvais moment. Sa mort est bien évidemment mineure puisqu'il n'était qu'un protagoniste mineur. Mais sa mort est parfaitement indiqué dans la thématique du diptyque. Même Gonzales et Frish sont exécutés par l'armée pour dissimuler des secrets, rallongeant dramatiquement la longue liste des morts injustifiés. Les deux opus nous offrent également une mignonne scène d'anniversaire de Scully: avec un Mulder qui lui offre un joli petit cadeau. A contrario, le saignement de sang du nez de Scully est un triste rappel de son cancer. Cela n'était pas arrivé depuis Memento Mori.
Le directeur artistique Gary Allen a déclaré que le lieu du crash a mis véritablement l'équipe mal à l'aise. Les membres étaient perturbé par la véracité de la reconstitution du décor. Chris Carter trouvait cela positif, car il estimait que si ils avaient peur eux même, c'est qu'ils avaient en quelque sorte réussi leur coup. Le conseiller technique du NTSB a expliqué que l'équipe avait réalisé un travail formidable, et que le sinistre décor semblait si authentique, à l'exception d'une chose: l'odeur... qui, heureusement, n'était pas présente.
Tempus Fugit et Max ont bénéficié de l'apport des deux plus grands réalisateurs de la série: la partie 1 a été concocté par Rob Bowman, tandis que la partie 2 a bénéficié de l'apport de Kim Manners. A ce propos, ce dernier se souvient particulièrement des scènes de l'enlèvement en plein vol. Il se souvient avoir imaginé ce que pouvait ressentir des gens victimes d'un crash d'avion. Il se demanda ce que lui ferait dans une telle situation. Ces spectaculaires séquences ont nécessité plusieurs jours de tournage. 
Tempus Fugit et Max offrent un contraste intéressant entre l'énorme budget et la logistique alloués, mais au service d'une intrigue résolument plus intimiste que n'importe quel mytharc. Un hymne aux nombreuses vies sacrifiées par une force qui nous dépasse. Mais peut-on réellement intégrer ces deux opus au grand fil rouge scénaristique ? Malgré ma déception initiale, je dois reconnaitre que les deux segments sont plutôt bien fichus et superbement mis en scène. Il est vrai que j'ai parfois encore tendance à les zapper, les quelques fois où je me suis fait un marathon exclusivement dédié à la mythologie. Néanmoins, il est tout de même dommage de passer à côté par ces deux épisodes. Une parenthèse plutôt salutaire dans les grandes manigances du syndicat et du fameux projet.



19. SYNCHRONY (Aux Frontières Du Jamais)

Lorsque Chris Carter a lancé X-Files, il s'était juré que jamais il n'aborderait la question du voyage dans le temps. Il ne désirait pas intégrer des idées ou d'autres concepts de science-fiction qu'il jugeait trop extravagants. Il incluait le voyage temporelle dans son argumentaire. Le showrunner pensait qu'il était délicat de correctement écrire une intrigue autour de ce thème. De surcroit, il désirait ancrer la série au plus près du réel, en adoptant un style narratif relativement réaliste, voir linéaire. Il est donc presque étonnant qu'il ait laissé carte blanche à Howard Gordon et David Greenwalt pour concevoir Synchrony. On peut légitimement se demander si cette ouverture n'a pas été motivé par cette période de l'année où les scénaristes sont un peu à cran, et manquent cruellement d'inspiration. Dans ce même laps de temps, la saison 2 et 3 nous ont respectivement pondu Fearful Symmetry et Teso Dos Bichos, des épisodes aux goûts indéniablement douteux. Heureusement, Synchrony évite le naufrage de ces deux morceaux. Pourtant, il semble incroyablement casse-gueule d'écrire sur le concept des paradoxes temporels. On peut aisément y laisser des plumes en développant une intrigue multipliant les incohérences. La peur de s'embourber dans ces écueils explique probablement les raisons qui ont poussé les deux scénaristes à timorer leur exploration de ce concept. Oui, parce que Synchrony a peur de pleinement s'engouffrer dans le voyage dans le temps. On y retrouve des scientifiques qui oeuvrent sur la question. Il y a même un vieux voyageur du temps, en réalité l'un des leurs, qui exécutent ses anciens collègues un par un, mais l'intrigue peine à pousser le concept très loin. Cependant, et malgré toutes ces précautions, Synchrony n'échappe pas à quelques incohérences inhérentes à ce genre d'histoires. Tout d'abord, comment le vieux Nichols arrive à tuer Jason jeune ? Cela supposerait que le premier ne pourrait pas commettre ce crime puisqu'il n'existerait pas; générant donc ce qu'on appelle le "paradoxe du grand-père". On pourrait dire que je pinaille, car on retrouve également ce genre d'incohérences dans d'excellentes oeuvres qui traitent du même sujet, comme la trilogie Retour Vers Le Futur, par exemple. Néanmoins, d'intéressantes idées sont disséminées, comme le fait qu'en essayant d'empêcher le voyage dans le temps d'exister, le vieux Jason Nichols permet justement d'accélérer son existence. Sa simple présence octroie à Lisa toutes les informations nécessaires pour la réalisation de cette découverte. L'épisode se veut donc être un constat sur le fatalisme et le déterminisme, mais sans arriver à creuser la question en profondeur. En définitif, Synchrony n'arrive pas à supporter le poids de son sujet. Il se révèle bien trop superficiel pour soutenir une telle thèse.

Un autre problème de l'épisode réside dans son casting secondaire un peu fade. On peine à ressentir de l'empathie pour ces scientifiques qui se font tous zigouiller. On trouve une jolie petite scène entre le vieux Jason et Lisa, mais elle demeure un des rares passages touchants. Pourtant, il y avait peut être moyen d'explorer les problèmes émotionnels des différentes versions de Nichols. Il aurait été intéressant de traiter plus en détail les réactions du jeune Jason. Encore une fois, on y décèle quelques traces assez marquantes: lorsque le vieux voyageur explique à quel point le monde dont il vient est effroyable, en ces termes: "Ce que nous avons contribué à créer. Un monde sans histoire, sans espoir. Où chacun peut savoir ce qui va arriver". Un futur aussi pessimiste me semble également être trop ambitieux pour un simple loner. Je veux dire: X-Files est déjà une oeuvre tellement sinistre avec des extraterrestres qui veulent coloniser la Terre. Un monde dans lequel le voyage dans le temps existe et qu'il engendrera que du malheur me paraît être de trop. Une nouvelle fois, l'intrigue se révèle trop vertigineuse dans ce qu'elle suggère du futur. On ne reparlera plus jamais de cette histoire, une fois le générique lancée. Et c'est sacrément dommage étant donné ce que raconte le vieux Nichols à la fin. En définitif, Synchrony jette d'imposants concepts en l'air, alors qu'il n'est qu'un petit épisode. Malgré toutes les critiques que je viens d'énoncer, c'est un épisode très plaisant à regarder. Il a beau ne pas pleinement exploiter son concept, il offre pas mal de moments très chouettes. Par exemple, le teaser est super efficace: lorsque le vieux tente de prévenir Jason jeune et Lucas Menand que ce dernier va se faire renverser par un bus d'ici peu, à 23h46 très exactement. La mise en scène fonctionne merveilleusement bien ici. Pareillement, l'épisode joue habilement avec le concept de feu et de glace: En effet, le docteur Yonechi se fait piquer par l'étrange instrument du vieux Nichols, glaçant l'intégralité de son corps en quelques secondes. Ensuite, Scully tente de le sauver en réchauffant son corps, mais elle crée l'effet inverse, et la pauvre victime s'enflamme très vite. Toutes ces séquences offrent d'intéressants moments visuels. En outre, il est presque ironique que le vieux Jason doive s'injecter du "gel froid" pour aller ensuite assassiner les gens qu'il aime. Après tout, il doit être assez froid pour se montrer aussi impitoyable envers ses proches. Synchrony revient sur une thèse de doctorat que Scully a écrit, lorsqu'elle étudiait et où elle parlait justement du voyage dans le temps. Une idée qui suggère que le personnage était plus ouverte d'esprit sur ce genre de sujets auparavant. Mulder ne manquant pas de la taquiner là-dessus durant l'épisode.

Howard Gordon eut l'idée d'écrire un script sur un scientifique plein de regrets, en repensant au projet Manhattan, et à Oppenheimer qui a reproché au président Truman d'avoir lancé les bombes atomiques sur Hiroshima et Nagasaki. L'auteur se demanda ce qu'il se passerait si Oppenheimer avait eu la possibilité de remonter le temps pour s'empêcher d'inventer la bombe. Gordon et Greenwalt ont dû peaufiner pendant longtemps leur script, tout en demandant de l'aide à leurs collègues Ken Horton, John Shiban et Frank Spotnitz. David Duchovny a déclaré qu'ils ont même dû rajouter quelques dialogues à la dernières minutes, pour être sûr que le public comprendrait ce qui se passait. L'expérience fut si éprouvante que Gordon jura ne plus jamais écrire au sujet des voyages dans le temps. Il a même failli jeter l'éponge en cours de route. Rétrospectivement, il trouva que cette expérience ne s'était pas si mal passé finalement.
Greenwalt ne resta pas sur la série, et il ira ensuite prêter main forte sur Buffy Contre Les Vampires, puis sur Angel. Il est amusant de noter que Hiro Kanagawa, l'acteur qui incarne le docteur Yonechi, avait déjà joué Peter Tanaka dans le très chouette Firewalker (saison 2), un autre personnage qui connut une mort atroce. Je repense régulièrement à la petite phrase ironique de Scully qu'elle adresse à Mulder: "Et si ta soeur est ta tante, et que ta mère épouse ton oncle, tu seras ton propre grand-père".
Au final, force est de constater que Synchrony ne constitue pas le haut du panier de cette quatrième saison. Néanmoins, il n'en demeure pas moins vraiment très agréable à suivre. Son concept est seulement bien trop ambitieux pour ses petites pattes. Mais il est indéniablement plus réussi que beaucoup d'épisodes jugés faiblards. Il est bien plus convaincant que Teliko ou encore El Mundo Gira, par exemple.




20. SMALL POTATOES (La Queue Du Diable)

Small Potatoes constitue le premier épisode humoristique depuis la fin de la troisième saison. En fait, depuis le départ de Darin Morgan, aucun autre auteur ne s'est aventuré sur ce terrain là. Finalement, c'est Vince Gilligan qui reprend le créneaux avec cette oeuvre. Comme un hommage appuyé à celui qui a inauguré le concept des segments décalés, Darin Morgan est le principal invité de l'intrigue. Il endosse le rôle d'Eddie Van Blundht, un rôle spécialement conçu pour lui. Pour rappel, ce n'est pas la première fois que le frère de Glen Morgan joua dans X-Files. En effet, il faut se rappeler que c'est à lui qu'incomba la tâche de revêtir l'encombrant costume de Flukeman dans The Host, au début de la saison 2. Lorsque Gilligan appela Morgan, il s'est exclamé: "J'ai un rôle génial pour toi. Tu joues un gros perdant moche !" Dans le doute, l'auteur de l'épisode rappela son compère pour lui préciser: "Heu, le personnage est un raté, mais je ne veux pas que tu penses que tu en es un". Morgan, amusé, raconta parfois cette anecdote. La présence de l'artiste dans le casting représente une sorte de passage de témoin entre ce dernier et Gilligan. Il est vrai que Morgan ne reviendra plus du tout ensuite, mis à part dans le revival de la série.
Small Potatoes fut également une aubaine pour Gilligan qui ne voulait pas être cantonné qu'aux histoires sombres. Il vécut l'expérience comme une vraie bouffée d'air frais. Il estima que la saison 4 était déjà très sombre: Scully avait un cancer, et pas mal d'épisodes se complaisaient dans la violence et le gore, comme Sanguinarium, Leonard Betts et Home. D'autres chapitres se sont révélés terriblement déprimants ou noirs, à l'instar de Paper Hearts, Unruhe ou encore le diptyque Tempus Fugit et Max. L'artiste pensa qu'il était peut être temps de détendre l'atmosphère avec un récit plus léger. Et il continuera à écrire d'autres morceaux plus doux dans la série, par la suite. En somme, il deviendra un auteur très compétent pour jongler entre différents styles: les opus qui se concentrent exclusivement sur la noirceur humaine, mais aussi de petits scripts au ton plus drôles. Ces différentes cordes à son arc lui serviront assurément lors de l'élaboration de Breaking Bad: une série qui arrive à parfaitement alterner entre moments d'humour (surtout dans la première saison) et scènes résolument plus sombres. Cela dit, avant d'entrée dans l'écurie X-Files, l'écrivain avait justement plus l'habitude d'écrire des comédies. A ce propos, l'écriture humoristique de l'auteur diffère totalement de celle de Darin Morgan. Le premier a une approche plus burlesque et ludique de l'humour, tandis que le second était plis réflexif. En outre, il est important de se rappeler que Gilligan était avant tout un fan de la série, ce qui explique son aisance à parfaitement s'amuser avec les codes de la série, tout en visant juste sur ce qui pourrait éveiller l'intérêt des autres fans. Dans cet ordre d'idées, la dernière partie de Small Potatoes, qui présente un faux Mulder, constitue un pur moment de jubilation pour les spectateurs. Et il est vrai que c'est un cadeau de voir David Duchovny jouer son personnage de manière totalement décalée: Voir une version de Mulder empotée offre de succulentes scènes qu'on ne se lasse pas de revoir.

Néanmoins, Small Potatoes révèle une réelle mélancolie à travers la personnalité d'Eddie, mais aussi celle d'Amanda. Ces deux personnes vivent dans une telle solitude. Pour preuve, cette dernière passe sa vie à repasser en boucle Star Wars. Sa détresse l'empêche presque de remettre en question le fait qu'elle rencontre Luke Skywalker et qu'ils couchent ensemble (en réalité Eddie qui prend l'apparence du héros de la saga de Lucas). Elle semble tellement déconnectée du réel que ça en devient triste. Bien entendu, le personnage de Blundht paraît lui aussi pathétique. A vrai dire, il se révèle même particulièrement dangereux: Il ne faut pas oublier qu'il est un violeur en série qui prend l'apparence physique d'autres hommes, afin de pouvoir coucher avec des femmes. Small Potatoes se positionne sur une ligne morale assez floue: L'histoire condamne les crimes d'Eddie. Scully affirme clairement qu'il est un violeur, puis Skinner surenchérit un peu plus tard en insistant sur ses crimes. Néanmoins, l'épisode semble éprouver de la sympathie pour le personnage. L'intrigue ne prend pas ses viols au sérieux, les reléguant même à de simples blagues. Niveau moralité, Small Potatoes est indéfendable. A l'époque, cela me passait au dessus, mais avec un regard adulte, on ne peut s'empêcher de grincer des dents à de nombreuses reprises. Le métrage se permet même de laisser Eddie se justifier, comme à la toute fin où il explique son point de vue aux deux agents: Qu'il a mis enceinte des femmes qui étaient en couple avec des maris stériles. Il résume ses crimes à des circonstances dans lesquels tout le monde en sort gagnant. Même si le script n'adhère pas aux justifications de Blundht, elle ne punit pas sévèrement ses viols pour autant. Pourtant, Gilligan condamne clairement ses agissements, comme il le confirme une interview de lui, où il a affirmé que, évidemment, ce type méritait d'aller en taule. A ce titre, les victimes disparaissent très vite du récit pour laisser la place au faux Mulder. On peut se dire également que le protagoniste finit derrière les barreaux et que, donc, le méchant est mis hors d'état de nuire. Mais, encore une fois, l'intrigue n'insiste pas non plus sur l'extrême dangerosité du personnage. On dirait que Blundht n'est même pas considéré comme un véritable antagoniste. Small Potatoes intègre le viol au sein d'une comédie un peu légère, et dans le cadre d'X-Files, cela semble inexcusable. L'épisode perd définitivement de nombreux points avec ce thème qu'il traite par dessus la jambe, et avec une frivolité déconcertante. 

Pourtant, il y a énormément de passages très amusants dedans. Pour être tout à fait franc, je n'ai jamais trop apprécié toute la première moitié. J'ai toujours eu l'impression qu'il s'agissait d'une longue introduction avant qu'Eddie ne se transforme en Mulder, et l'attente est longue. Cette histoire de bébés nés avec une queue est rigolote, mais sans non plus se montrer si palpitante que cela. Le personnage d'Amanda est touchant, notamment grâce à son interprète, feu Christine Cavanaugh, qui joue merveilleusement bien cette personne un peu paumée, et croyant dur comme fer qu'elle a eu une relation avec Luke Skywalker. Mais l'ensemble paraît relativement creux. Comme expliqué, cette petite comédie ne se révèle réellement que lorsqu'on peut enfin voir Duchovny jouer Eddie Van Blundht. Et là, tout devient plus croustillant: Tout le délire burlesque prend son sens, et on ne peut que jubiler de voir Mulder/Eddie galérer à trouver les bonnes clefs, tout en essayant de distraire Scully. Ou encore, lorsqu'il ne sait pas trop comment bien se tenir, assis dans le bureau de Skinner. Et puis, comment oublier l'imitation de Robert De Niro par Mulder/Eddie devant le miroir, qui se conclut par cette phrase: "T'es un putain de beau mec !" Small Potatoes est également célèbre pour son grand climax qui nous présente cette imposture de Mulder tentant de séduire Scully, en improvisant un rendez-vous surprise chez elle. Jusqu'à ce moment fatidique où notre Don Juan arrive presque à embrasser sa partenaire. Une scène qui a bien sûr mis le feu sur les forums de fans. Encore une fois, c'est un moment de pur fan service comme aurait pu le détailler une authentique fanfiction. Vince Gilligan, en tant qu'ancien fan, a parfaitement compris comment construire un tel moment qui allait faire jaser. Je ne peux pas m'empêcher de mentionner la superbe scène avec Skinner qui lit les notes du faux Mulder, et lui affirme qu'il a fait des fautes d'orthographes, exactement comme le ferait un père qui corrige les devoirs de son enfant. C'est un pur moment de comédie qui fonctionne merveilleusement bien. Malheureusement, même si le but de Small Potatoes réside dans cette exploration d'une doublure loser de notre héros, ce point constitue seulement les quinze dernières minutes du métrage. 

Bien entendu, Duchovny a particulièrement apprécié jouer une version détournée de son rôle habituel. Mais Gillian Anderson s'est aussi énormément amusé. Elle se souvient des photos de Darin Morgan qu'il fallait choisir  pour la scène où Mulder présente des portraits d'Eddie à Amanda, au début de l'épisode. L'accessoiriste est arrivée avec une grosse pile de photos de Morgan mimant toutes sortes d'expressions de visage. L'actrice conclut en disant: "Bien sûr, on était tous assis derrière l'écran vidéo, à les regarder et à rire aux éclats". Elle a également eu un souvenir ému de sa rencontre avec Christine Cavanaugh, quand elle entendit sa voix qui lui semblait si familière. En effet, l'actrice était la voix de Babe, le cochon devenu chien de berger. Il est en plus amusant que Home, en début de saison, contenait une scène de Scully faisant allusion au célèbre petit cochon. La boucle est bouclée. Anderson confia qu'elle avait adoré chanter le thème de Star Wars avec l'actrice. 
Vince Gilligan a particulièrement apprécié collaboré avec le réalisateur Cliff Bole. Il a apprécié le fait qu'il réussissait à créer une atmosphère détendue sur le tournage. Cette agréable expérience motiva l'écrivain de lui demander de rempiler pour la création de Bad Blood, en saison 5. Pendant longtemps, les fans se sont demandés si la blague sur le "h" muet de Blundht n'était pas une référence à David Duchovny, et du fait que certaines personnes prononçaient son nom de famille "Du chauve ni". Pour l'anecdote, le père de l'acteur, Amram Ducovny, avait supprimé le "h" de son nom. Mais Vince Gilligan ne confirma jamais l'origine de cette référence. Les talents humoristique de l'interprète de Mulder ont été mis à contribution, puisque la phrase: "tu crois que c'est la chute qui l'a tué ?" que prononce son protagoniste, lorsque le cadavre du père d'Eddie tombe du grenier, a été improvisé par lui. D'après Vince Gilligan, l'acteur a encore une fois improvisé beaucoup de petites séquences pour rendre Eddie/Mulder plus savoureux, en plus d'avoir passer un temps considérable à scruter Darin Morgan, afin de réutiliser certaines de ses manières corporelles. Pour s'amuser, ce dernier imitait lui aussi Duchovny sur le tournage. Les deux se sont énormément amusés. Ils se sont toujours très bien entendus, visiblement, depuis qu'ils se sont rencontrés sur le tournage de The Host. Curieusement, le passage le plus drôle de l'épisode réside dans ce court plan en grand angle, lorsque Scully voit son collègue dans le judas, où ce dernier sourit comme un benêt. 
Une anecdote assez obscure mais touchante est l'utilisation régulière de la phrase "se faire plaisir", notamment à la toute fin, lorsqu'Eddie s'adresse à Mulder. En réalité, il s'agit d'un hommage au fameux réalisateur David Nutter, qui a réalisé bon nombres d'épisodes des trois premières saisons. Apparemment, le metteur en scène appréciait beaucoup balancer cette phrase, comme l'a remarqué le staff. 
Small Potatoes est un épisode extrêmement populaire auprès des fans, et ça peut se comprendre. Son dernier tiers est jubilatoire et déjanté, mais n'efface pas un début d'intrigue un peu poussif et parfois même ennuyeux. Sans parler du côté borderline qui exploite l'idée du viol pour en faire un élément comique. Un moment néanmoins sympa pour ses quelques scènes vraiment très drôles.





21. ZERO SUM (Nids D'Abeilles)

Oh ! Walter Skinner redevient le personnage principal d'un épisode ! Il est amusant de constater que Zero Sum se situe à peu près à la même place qu'Avatar, lui même situé vers la fin de la saison 3, et il mettait également en vedette le directeur adjoint du FBI. Sauf que dans ce dernier, le personnage était plus la victime et le sujet de l'enquête, tandis qu'ici, il joue un rôle résolument plus actif au récit. Pendant une grosse partie de l'intrigue, il doit effectuer la sale besogne de L'Homme à La Cigarette. En effet, l'épisode suit l'arc narratif qui s'est dessiné dans Memento Mori, à savoir que Skinner a vendu son âme au Diable pour tenter de trouver un remède contre le cancer de Scully. C'est un formidable épisode qui n'aurait pas pu exister comme tel si Mulder avait été le héros de l'affaire. L'équipe a sauté sur l'occasion pour enrichir la mythologie, en plaçant un membre du casting secondaire à des dilemmes moraux. Une situation qui n'aurait pas eu la même dynamique, ni le même impact si l'histoire avait été directement centré sur Mulder et Scully. En fait, tout bêtement, nos deux héros ne se seraient pas mis dans une telle situation justement. On voit mal Scully accepter un tel chantage, tandis que Mulder nous a déjà tant prouvé qu'il est l'homme d'aucun compromis. Et c'est pour cette raison que Zero Sum est si précieux: il nous donne un aperçu de suivre un personnage qui, en règle général, est doté d'un grand sens moral, en train de se compromettre en effaçant des preuves, pour le compte du grand méchant de l'histoire. A ce titre, toute la première partie est absolument fascinante, car nous voyons Skinner dissimuler un crime: en se débarrassant d'un corps, puis en nettoyant les preuves, le tout dans dix audacieuses minutes dépourvues d'une seule ligne de dialogue. L'intrigue épouse totalement le point de vue du directeur adjoint du FBI, offrant une dynamique presque inédite dans la série. En réalité, la production de l'épisode a été motivé par la non disponibilité de Gillian Anderson, qui devait tourner le film The Mighty, avec Sharon Stone, obligeant Howard Gordon et Frank Spotnitz à concevoir un récit autour de Skinner. Une parfaite occasion d'éclipser également Mulder d'une bonne partie de l'heure. Il s'agit de la deuxième fois dans la série que Scully est totalement absente d'un épisode. La première fois a été lors de "3" dans la saison 2, et elle apparaissait brièvement dans des images d'archives dans Musings of A Cigarette Smoking Man.

Zero Sum est très satisfaisant également, car il offre beaucoup d'espace au casting secondaire pour s'exprimer. Bien sûr, Skinner est la véritable star ici, mais on y trouve de grandes scènes de confrontation entre ce dernier et le Smoking Man. A ce titre, on dirait que ce dernier prend un malin plaisir à torturer le pauvre supérieur de nos deux agents. Il pourrait vraisemblablement faire appel à des employés bien plus fiables que Skinner pour effacer des preuves. Mais on sent que l'antagoniste prend sa revanche, après tous les moments de rebellions du directeur adjoint, notamment son humiliation subi à la fin de Paper Clip. L'homme paraît incroyablement mesquin dans cette histoire. A tel point qu'il tue le détective Thomas sans aucune justification. Même Skinner lui reproche ce meurtre inutile. On sent que ce crime a été commis juste pour continuer à exercer une pression sur ce dernier. Il s'agit juste d'un pur plaisir sadique. Le Smoking Man utilise son pouvoir à sa guise. Il considère cela comme un bien qu'il place au dessus de toutes autres vertus. Comme il l'avoue lui même, lors de sa confrontation avec Mulder dans One Breath, il ne possède rien d'autre que ce pouvoir. Et même s'il se targue de l'utiliser pour le bien commun, notamment dans la saison 2, il est vite révélé qu'il la détourne à ses propres fins, quitte à mettre le projet en péril. Car en effet, ses actions dans Zero Sum risquent indéniablement d'attirer l'attention sur le syndicat, mais l'homme n'en a rien à faire. Seul compte son petit plaisir.
Zero Sum est donc une oeuvre sur la moralité, et sur la manière dont on peut se compromettre en franchissant une certaine ligne rouge. L'Homme à La Cigarette nous démontre une nouvelle fois qu'on ne peut pas lui faire confiance. Skinner lui même semble indiqué à son ancien squatteur de bureau qu'il n'a probablement jamais envisagé de sauver Scully. Même si X-Files adore disséminer des personnages parfois ambigus, sa ligne morale demeure assez limpide. Par exemple, le Smoking Man est clairement représenté comme une figure corrompue par le mal. Sa fumée de cigarette qui l'entoure est une image assez évocatrice de cet état de fait. En outre, Mulder et Scully oeuvrent pour le bien. Ce sont intrinsèquement des gentils. En revanche, des personnalités comme Walter Skinner sont intéressantes à explorer, car elles peuvent parfois se rapprocher du mauvais côté de la barrière. Cependant, à ce niveau là de la série, le fan averti sait que Skinner est un good guy, et qu'il n'irait jamais totalement se corrompre. Cependant, il est extrêmement plaisant d'avoir un chapitre qui place cette ambiguïté au centre de son intrigue.

En adoptant le point de vue de Walter Skinner, Zero Sum se permet de placer Mulder en observateur encombrant. A chaque fois que notre brillant enquêteur fouine et découvre quelque chose qui cloche, on ne peut s'empêcher d'avoir peur pour Skinner. On se demande ce qui va se passer lorsque Mulder découvrira que Skinner est mêlé à tout ça. Ce changement de cap est donc assez inédit dans la série. C'est amusant de voir notre héros autrement, comme celui d'un second rôle le temps d'un épisode. Quel choc lorsqu'il découvre le visage de son patron, sur la caméra de surveillance. Et qui amène à la confrontation finale entre Mulder et Skinner, un des passages les plus tendus du film. C'est ici que ce dernier révèle le pacte qu'il a effectué avec l'Homme à La Cigarette. On peut supposer que leurs liens se retrouveront plus consolidés par la suite, notamment lors du début de la saison 5... 
Zero Sum est également fameux pour avoir présenté Skinner se déshabiller, jusqu'à nous laisser entrevoir son slip kangourou. A ce titre, Mitch Pileggi n'était pas très content que le TV Guide ait choisi cette capture d'écran pour illustrer l'épisode. C'est la seconde fois dans la saison que le personnage est montré torse nu. Il faut savoir que l'équipe avait sûrement conscience qu'une frange du public était friand de Skinner. En tout cas, dans mon entourage, j'en connaissais. Il est intéressant de noter que, quelques épisodes avant, dans Never Again, Chris Carter et d'autres scénaristes n'étaient pas ravis de sexualiser Scully. En revanche, la série a nettement plus démontré d'entrain pour afficher ses personnages masculins en petits tenues: Comme ce Mulder en maillot de bain, au début de Duane Barry, ou en train de se déshabiller dans Ice. En outre, l'équipe a clairement identifié les tensions homo érotiques entre Mulder et Krycek. Skinner, de son côté, a très certainement bénéficié de la scène de sexe la plus torride, dans le teaser d'Avatar. On ne peut pas parler de female gaze car, évidemment, l'écrasante majorité des auteurs d'X-Files sont des hommes hétérosexuels, mais il est clair que le show était très à part de ce côté là. 

Zero Sum accorde enfin un place plus pertinente à Marita Covarrubias. Premièrement, elle a un rôle plus active dans l'épisode, mais elle se révèle travailler en réalité pour L'Homme à La Cigarette. Et contrairement à Mr. X ou Gorge Profonde, elle n'a pas l'air de jouer pas un double jeu. Non, elle semble suivre les directive de son employeur, contrairement aux deux autres informateurs qui trompaient le syndicat. C'est un développement bien plus intéressant que la superficielle présence que l'informatrice nous avait habitué jusqu'ici. 
L'intrigue place enfin les abeilles au centre de l'histoire. Elles n'étaient pas réapparues depuis Herrenvolk, et on pouvait légitimement se demander à quoi pouvaient-elles servir dans ce vaste plan. Ce chapitre reste assez fou à ce sujet, mais on peut tout de même faire des suppositions à leurs utilités dans le projet. En outre, les abeilles allouent une image horrifique assez saisissante: La scène où le syndicat infeste une cour d'école, avec des milliers de ses insectes, est terrifiante. Un hommage clairement assumé des Oiseaux d'Hitchcock. Par la suite, voir des cadavres d'enfants dans des lits d'hôpitaux constitue une vision atroce. Tuer des enfants est souvent un sujet un peu tabou, et sensible dans les fictions. En effet, les auteurs ne se risquent que très rarement à franchir le pas, car, si mal négociées, de telles scènes peuvent déranger le public, voir même les dégouter. Le fait que Zero Sum nous plonge dans cette horreur est très surprenante. C'est presque plus insoutenable que la plupart des passages violents de Home ou Sanguinarium. 

On pourrait toujours critiquer la propension qu'a la série à rajouter de nouveaux éléments à la vaste conspiration. Les abeilles semble être un énième ajout superficiel, mais je trouve que ces insectes dressent un intéressant parallèle avec la colonisation extraterrestres. La scène de l'école agit elle-même comme une mini invasion dans un lieu restreint, avec quelques habitants. Selon le syndicat, il s'agit même d'un ballon d'essai justement. Au cours de notre histoire, les abeilles africaines ont mis des années à migrer vers les Etats-Unis. Une fois arrivées, elles ont infiltré les ruches de leurs cousines européennes, afin de les coloniser de l'intérieur. C'est une formidable métaphore de la colonisation à l'oeuvre dans X-Files, telle que l'avait expliqué la fausse Samantha Mulder, dans Colony et End Game. En outre, il est intéressant d'intégrer les abeilles à une effroyable menace, elles qui sont au contraire perçues comme une force positive de la nature. Elles demeurent indéniablement primordiales dans notre écosystème, et le fait qu'elles puissent se retourner contre nous offre des questionnements thématiques percutants. Néanmoins, la difficulté de tourner avec ces adorables bébêtes explique en partie pourquoi elles restent cantonner à cette saison.
Les membres de l'équipe ont craint lorsqu'ils ont compris qu'ils allaient devoir tourner une nouvelle fois avec des abeilles. Ces insectes ont tendance à se montrer assez imprévisibles. Une aubaine pour Gillian Anderson qui a pu échapper à ça. Laurie Kallsen-George n'a eu que neuf jours pour créer des séquences numériques supplémentaires pour correctement implanter les abeilles à des séquences complètes. Sur un long métrage, cela aurait pris des mois. La pauvre n'a dormi qu'une douzaine d'heure, pendant toute cette période, d'après Gordon. L'appréhension était à son comble lorsqu'il a fallu lâcher des centaines d'abeilles dans une cour d'école, au beau milieu d'enfants. Des ambulanciers étaient prêts à intervenir au cas où une personne se ferait piquer, et ferait un choc anaphylactique. Kim Manners raconta qu'un enfant avait accouru en pleurant, et sa mère lui a dit: "Retourne ! Tu travailles sur X-Files !"

La réussite du métrage réside dans la combinaison des forces entre Howard Gordon et Frank Spotnitz. Le premier a déjà prouvé maintes fois qu'il a une certaine maitrise du rythme, en plus d'avoir déjà écrit sur Skinner dans Avatar, tandis que le second est un des oracles de la mythologie. Il arrive donc à intégrer l'épisode au sein du grand arc scénaristique de la série. Gordon trouvait ça intéressant d'aller explorer l'intégrité de Skinner, en l'emmenant dans une zone grise comprise entre le bien et le mal. A savoir jusqu'où est-il prêt à se sacrifier ? Et la réalisation de Kim Manners demeure la cerise sur le gâteau. Ce dernier fut ravi d'avoir pu travailler longuement avec Mitch Pileggi. 
Cette fois, c'est réellement la dernière contribution d'Howard Gordon sur la série. L'épisode est dédié à Vito J. Pileggi, le père de Mitch Pileggi, décédé en septembre 1993, soit avant la diffusion du premier épisode. Ce dernier travaillait pour le gouvernement comme responsable des opérations sur contrat de défense. L'acteur confia qu'il s'était largement inspiré de son père pour jouer Walter Skinner. En réalité, il ne réalisa pas à quel point il l'imitait physiquement jusqu'à ce que sa famille lui fasse remarquer à quel point il lui ressemblait dans X-Files. A côté de ça, il s'agit d'ailleurs de la dernière apparition de L'Homme Aux Cheveux Gris, ce tueur au service du syndicat, déjà vu dans Piper Maru, Avatar, Herrenvolk et Memento Mori.
Comme pour une grande partie de la saison 4, ce mytharc ne propose pas de grands bouleversements dans la progression du fil rouge. Mais il propose de revenir sur certains sujets qui n'étaient pas forcément très clairs jusqu'ici. Et il permet de se recentrer sur Skinner de façon admirable. Zero Sum est un excellent épisode. Très certainement un des meilleurs de la saison. Il est dans la parfaite continuité de Herrenvolk et Memento Mori.



22. ELEGY (Amour Fou)

Elegy est un épisode étonnant. Tout d'abord, il revient à une pure histoire de fantômes, chose qui n'était pas arrivé depuis très longtemps. Ensuite, parce que la seconde partie étoffe son intrigue en faisant de Scully un point essentiel. John Shiban avait punaisé les mots "bowling hanté" dans son bureau, durant une bonne année. Et il est vrai que le concept est assez cool. Le bowling offre un cadre visuellement assez unique. La scène dans laquelle Mulder poursuit Harold dans le bowling, commençant dans le décor réconfortant et lumineux pour finir dans les mécanismes sombres et froids, octroie un contraste visuel saisissant. En outre, les apparitions fantomatiques sont assez effrayantes: Ces formes spectrales grisâtres, qui ouvrent la bouche pour essayer de parler, se révèlent assez angoissantes. Je suis sûr que si je montre l'épisode à mon fils, il aurait peur rien qu'à la vision de ces simples images. Il n'est pas étranger que le scénario éprouve une certaine fascination pour les bowlings: Le père de Shiban avait justement travaillé dans un bowling dans sa jeunesse, et il avait longuement abreuvé son fils de toutes sortes d'histoires issues de cette expérience. L'auteur s'est donc senti inspiré pour insuffler du caractère à cette simple histoire de fantômes. On l'a déjà vu, X-Files n'est pas toujours très à l'aise, lorsqu'elle doit composer avec des mythes traditionnels. La série a peur de paraître trop ridicule ou conventionnelle lorsqu'elle s'en prend à des créatures aussi identifiables que les esprits, les loups-garous ou encore les vampires. Elegy est assez rétro dans ses apparitions spectrales, mais ces dernières demeurent rudement bien efficaces. Il y a également quelque chose de funeste dans les esprits qui apparaissent ici: En effet, les personnes qui en voit une est une signe annonciateur de leur propre mort imminente. Ce qui explique pourquoi Angie Pintero, le propriétaire du bowling, ou encore Harold meurent tous les deux bien après avoir été témoin d'une apparition. Dans cet ordre d'idées, John Shiban a toujours apprécié les histoires d'horreur qui vont droits au but. Il a su ménager parfaitement certains de ses effets, The Walk en tête, mais il a également connu de spectaculaires revers, comme l'atteste Teso Dos Bichos. .

Mais évidemment, l'épisode prend une toute autre tournure, lorsque c'est Scully qui aperçoit elle-même un fantôme, après que Mulder lui ait expliqué la signification tragique des personnes qui sont témoins d'une telle apparition. Scully se retrouve donc confronter à sa propre mortalité. Elle qui tente de penser le moins possible à sa maladie. C'est la première véritable fois que le cancer du personnage se retrouve au centre d'une histoire. Il y avait un petit rappel dans le duo Tempus Fugit/Max, mais c'est tout. Et c'est d'autant plus admirable que le sujet est réintroduit dans un loner. Une manière également de donner un poids supplémentaire à Elegy. Sans ça, l'épisode aurait été relativement efficace, mais chambouler Scully rajoute un indéniable enjeu dramatique. En outre, notre sceptique est aussi victime d'un phénomène paranormal qui ébranle quelque peu ses convictions profondes. Cela fait beaucoup a encaisser pour la jeune femme. A tel point qu'elle se rend de nouveau chez sa thérapeute, Karen Kossev, déjà apparue dans Irresistible, mais aussi dans The Calusari, en tant qu'assistante sociale. Une manière de créer un effet miroir entre la saison 2 et 4: L'héroïne se sentant vulnérable quelques épisodes après avoir été enlevé. En effet, elle se remit à travailler juste après être sorti du coma, une manière de se créer une carapace pour ne pas repenser à ce traumatisme. L'enquête d'Irresistible finit par la faire vaciller. Il lui arrive de même ici, cette année, après avoir nié sa maladie durant plusieurs mois. La séquence chez la thérapeute permet au personnage d'avoir l'espace pour s'exprimer à coeur ouvert. Habituellement, Scully est si souvent réservée que ses craquages offrent d'émouvants moments. Gillian Anderson se révèle toujours aussi touchante, comme à l'accoutumée. Ses dialogues avec Mulder sont vraiment bouleversants, surtout lorsque ce dernier conclut l'un d'eux par: "Je sais de quoi tu as peur au fond. Et j'ai peur de la même chose". Ceci étant dit, ce dernier lui reproche également de ne pas être honnête avec elle-même, et de nier ce dont elle vient d'être témoin. Elle hésite même a parlé de sa vision à son partenaire. Mulder se montre quelque peu condescendant quand il lui dit qu'elle peut croire ce qu'elle veut, mais que si elle lui cache, elle travaille contre lui et contre elle. Memento Mori préfigurait déjà que l'agent ne savait pas comment réagir correctement face au cancer de sa collègue. Il se montre ici frustré par elle. Sûrement aussi parce qu'il a peur de ne pouvoir l'aider comme il le souhaiterait. Une anecdote raconte que la scène finale avait été monté différemment. En effet, dans celui qu'on connait, Scully est prête à fondre en larme, dans sa voiture, puis elle aperçoit dans le rétroviseur le fantôme d'Harold, assis à l'arrière. L'épisode se concluant comme tel. Mais il existerait une autre version où le personnage craquait après avoir vu l'apparition, donnant un impact émotionnel différent à la séquence.

Elegy réussit toutes ces facettes. En revanche, l'épisode devient moins intéressant dans les moments se déroulant dans le centre psychiatrique; Ces scènes alourdissant un peu l'ensemble. En outre, Harold Spuller est un handicapé mental, mais ressemble tout de même à un stéréotype ambulant. Pourtant, Steven M Porter délivre une prestation relativement convaincante. Et ses tics et ses manières ne sortent pas de nulle part. En effet, l'artiste se renseigna auprès de divers hôpitaux et foyers pour adultes, afin d'emprunter un certains nombres de gestuelles à d'authentiques handicapés mentaux. Cela dit, il avait déjà réalisé ces recherches pour un rôle antérieur à celui d'Harold. Pour l'anecdote, lorsque l'acteur auditionna, il a révélé qu'il avait mis le paquet pour impressionner l'équipe. A la suite de l'entretien, il a déclaré: "Soit j'ai fait une bonne impression, soit je me suis complètement ridiculisé." 
John Shiban désirait s'inspiré de Vol Au Dessus D'un Nid de Coucou pour Elegy, d'où cette idée aussi de faire de l'infirmière Innes, une antagoniste vile et malveillante Elle aussi semble assez caricaturale dans sa représentation, n'existant que pour faire du mal à Harold, notamment en assassinant toutes les femmes qu'il l'aime. Il s'agit là encore une fois d'un trope d'horreur un peu kitch, mais rien de dramatique non plus. Heureusement, les défauts du métrage ne suffisent pas à gommer toutes ses qualités. 
A noter qu'une des patientes du centre psychiatrique est Kate Braidwood, la fille de Tom Braidwood, le premier assistant réalisateur qui n'est autre que l'acteur qui joue Frohike. C'est une nouvelle fois James Charleston qui réalisa l'épisode. L'homme venait de travailler sur Synchrony, mais avait également mis en scène Avatar et Teliko. Après le tournage, il se souvenait bien des parties de bowlings qu'il a partagé avec David Duchovny entre deux prises. L'acteur se souvient également d'Elegy comme de l'épisode qui lui a fait réaliser son âge. En effet, il y a une scène où Mulder est allongé sur le terrain de bowling. Et à ce sujet, il déclara non sans humour: "Le lendemain des scènes de bowling, j'étais courbaturé. Et quand on a mal après le bowling, il est temps de commencer à réfléchir à sa vie et à son avenir."
Elegy est un solide épisode, avec un rythme en dents de scie, mais demeurant une pièce importante de la saison. Il est très agréable de revenir sur le cancer de Scully de manière significative, après avoir occulté le sujet durant tant d'épisodes. Et il représente un autre exemple de loner qui brise un peu la séparation entre chapitres indépendants et arc mythologique.



23. DEMONS (Crime De Mémoire)

Demons est un étonnant épisode. Il lorgne à cheval entre mytharc et loner. En fait, il commence sous forme de puzzle cryptique dans lequel Mulder se retrouve mystérieusement dans une chambre de motel, avec du sang sur lui qui n'est pas le sien. C'est une accroche assez efficace. L'amnésie est un thème récurrent dans les fictions. Parfois, c'est un moyen d'accrocher le spectateur qui en sait presque autant que le héros. En revanche, elle peut cacher une certaine paresse d'écriture. Mulder est donc victime de trous de mémoire, ainsi que de crises d'épilepsie, qui le tétanisent littéralement. Il devient vite accusé du double meurtres du couple Amy et David Cassandra, et il a un inspecteur à ses trousses qui est convaincu de sa culpabilité. Bien entendu, le flou entoure une partie de l'intrigue, puisque le but d'un tel procédé narratif est de réussir de reconstituer la chronologie des événements. Où et comment Mulder a-t-il rencontré les Cassandra ? Et pourquoi ? Ensuite, que s'est-il passé concrètement ? Qui les a réellement tué ? On se doute bien que le héros d'une telle série n'a pas abattu deux pauvres innocents. En réalité, Mulder a permis à un certain docteur Goldstein de percer un trou dans sa tête pour pouvoir retrouver les souvenirs refoulés de son enfance, ce qui explique ses pertes de mémoire et les flashbacks qu'il voit durant tout l'épisode. En effet, nous voyons régulièrement des images étranges où l'agent se revoit enfant, avec sa soeur qui a peur de quelque chose. On voit parfois L'Homme à La Cigarette jeune qui se dispute avec ses parents. Et c'est toute cette partie qui lorgne vers le mytharc. L'intrigue se permet donc de revenir sur les relations complexes qui lient le principal antagoniste et sa famille. Qui est le père de Mulder ? Qui est le père de Samantha ? C'est une exploration très sympathique de ces questions. A noter que les effets stroboscopiques des flashbacks mettent réellement mal à l'aise, constituant un des effets de montage les plus intéressants que la série ait produite jusqu'ici. 

Néanmoins, le récit comporte quelques dissonances. Tout du moins, il est placé de manière étrange dans la saison. Il semble faire le lien avec le grand final, Gethsemane, en nous présentant Mulder au bord de la crise de nerfs. A ce sujet, le climax de Demons fonctionne terriblement bien: lorsque Scully tente de calmer son collègue, en transe pour retrouver le plus de détails de ses souvenirs d'enfance. La scène où il pointe son arme sur lui même préfigure les événements du season final. Les thèmes soulevés ici s'accordent donc parfaitement avec le prochain épisode. En effet, Mulder semble incapable de distinguer le vrai du faux. Pour ces raisons, l'oeuvre est intéressante, si on la place en perspective de la suite des événements du grand fil rouge. En revanche, elle évacue totalement l'arc du cancer de Scully. C'est simple, il n'y a juste aucune mention. On a donc l'impression que Mulder choisit particulièrement mal son moment pour se faire un trou dans la tête, et se mettre ainsi en position de vulnérabilité, au même moment où sa partenaire est mourante et a le plus besoin de lui. Via cette lecture, on pourrait facilement se dire que Mulder se comporte en parfait égoïste ici. Il y a une raison logistique toute simple à tout cela: R.W Goodwin avait commencé à plancher sur le script bien avant que Shiban, Spotnitz et Gilligan aient l'idée d'inoculer la maladie à Scully. Ceci explique donc cela. Mais c'est tout de même fâcheux pour la continuité de la série, surtout pour un tel scénario qui s'ancre facilement dans l'intrigue plus large de la série. C'est moins grave de ne pas mentionner le cancer de Scully dans Kaddish, Unrequited ou encore Synchrony. C'est une tout autre paire de manches que de ne jamais mentionner le sujet dans un épisode qui s'attarde sur les personnages, comme Demons. Il y a donc un décalage étrange qui se produit ici. Cependant, la plupart des gens n'ont pas l'air d'avoir été perturbé par cet "oubli". Beaucoup ont parfaitement réussi à segmenter cette histoire centrée sur Mulder de l'arc général de Scully. Il est vrai que ce n'est pas non plus préjudiciable pour l'intrigue globale de l'épisode. En revanche, il y a d'étranges raccourcis scénaristiques, comme le fait que l'une des victimes du docteur Goldstein se trouve être un policier qui travaille au même endroit où Mulder est incarcéré. C'est une commodité un peu facile et étrange. Il subsiste donc plusieurs maladresses de ce genre dans le script. Rien d'insurmontables, mais des éléments qui font un peu tâches. Néanmoins, Demons nous présente des scènes très tendres entre les deux héros: Scully se montre particulièrement protectrice envers son coéquipier. Elle fait tout pour le protéger tout du long, et elle croit dur comme fer en son innocence. Effectivement, elle reste convaincue qu'il n'a tué personne dans cette affaire. Demons est mémorable aussi pour la confrontation tendue entre Mulder et sa mère: Lorsque ce dernier lui demande qui est son père, cette dernière le gifle sans ménagement. C'est toujours un plaisir d'avoir ce style de séquences d'embrouilles familiales.

Demons est l'unique contribution scénaristique de Goodwin. Depuis le début de la série, il occupe le poste de producteur exécutif, en plus d'avoir la tâche de réaliser chaque cliffhanger de fin de saison (en plus d'ouvrir plusieurs de ces dernières), comme une sorte de tradition. Plus important encore, il est marié avec Sheila Larken, l'actrice qui joue Margaret Scully. Dans l'équipe, il avait le rôle de parrain qui expliquait aux nouveaux réalisateurs comment la série fonctionnait. A ce titre, le producteur avait l'habitude d'accueillir les nouveaux venus de l'équipe, en venant les chercher à l'aéroport de Vancouver, avec le refrain: "Bienvenue dans l'émission la plus difficile de la télévision." Histoire de les mettre directement dans le bain. D'après l'homme, il trouvait effectivement qu'X-Files était un programme particulièrement difficile à produire. Il expliquait que la nature même de la série, qui s'efforçait à raconter une histoire différente, toutes les semaines, avec un casting différent, des effets spéciaux uniques, dans un contexte bien spécifique, donnait du fil à retorde à l'équipe. Il estimait que le staff s'attelait à la réalisation d'un petit film tous les huit jours. Un travail véritablement éreintant.
Plusieurs mois avant d'écrire l'épisode, il eut la vision de Mulder qui se réveilla dans un lieu qu'il ne reconnaissait pas. Il prit ensuite quelques semaines pour étoffer son histoire afin de le présenter décemment à Chris Carter. Ce fut une parfaite aubaine pour le showrunner qui recherchait désespérément de nouveaux scénarios pour cette fin de saison. Goodwin s'est inspiré du livre "Le Paysage Des Rêves", un essai du neurologue Oliver Sacks, qui décrit un homme capable de se remémorer chaque détail de son enfance. Bien que très fier du résultat, l'auteur n'envisageait pas de devenir scénariste. Il trouvait que c'était mettre trop de pression à sa famille. En effet, dans le commentaire du DVD, il déclara les avoir emmener dans une station de ski, au nord de Vancouver, pendant plusieurs jours de vacances, mais que ce dernier avait logé dans un appartement juste à côté, et qu'il a passé tout son temps à écrire. 
De son côté, David Duchovny a trouvé l'épisode gratifiant, mais pas tellement évident à appréhender: il estima qu'il devait relier la résolution de l'enquête à son trou dans la tête qui lui provoquait des crises. D'après Gillian Anderson, il s'agissait surtout de crier "Va à l'hôpital !" "Mulder, va à l'hôpital" pour Scully: "J'ai du rejouer la même chose, encore et encore" confia l'actrice. Pas nécessairement le chapitre le plus palpitant pour son personnage. A noter que Chris Owens endosse une nouvelle fois le rôle de L'Homme à La Cigarette jeune, comme il l'avait brillamment déjà fait pour Musings of A Cigarette-Smoking Man. L'acteur reviendra dans la saison 5.
En définitif, Demons est un chouette épisode qui commence comme un puzzle intrigant, et se termine en  untrip psychédélique sur les souvenirs enfouis de Mulder. Il propose plusieurs scènes assez marquantes, même si son positionnement peut sembler étrange, et continue de témoigner du désordre de la production de cette saison 4.





24. GETHSEMANE (Le Baiser De Judas)

Nous voici désormais arrivé au cliffhanger de la saison 4. Comme le veut la tradition, il s'agit donc d'un gros morceau mythologique qui trouvera une "conclusion" au début de la saison 5. Gethsemane nous refait le coup du teaser qui se révèle être un flash forward de la conclusion. Cette quatrième salve d'épisodes avait déjà intégré ce procédé narratif à d'autres occasions, avec plus ou moins de succès: dans Tunguska et Unrequited. Sauf qu'ici, il agit différemment puisqu'il "spoile" volontairement le twist de l'intrigue. Dès le début, Scully annonce, trémolo dans la voix, à une commission du FBI, que l'agent Mulder est mort, d'une balle qu'il se serait lui-même tiré dans la tête. Le récit nous invite ensuite à revenir plusieurs jours en arrière afin de découvrir comment une telle tragédie a pu se produire. Au début, une groupe d'expédition découvre le corps congelé d'un extraterrestre, au sommet d'une montagne des monts Saint-Elie. Mulder effectuera une autopsie avec l'aide du professeur Arlinsky, le chef de l'équipe. Il se révélera que l'alien ne provient pas de l'espace, mais qu'il s'agit d'une sorte de chimère inventée de toutes pièces. Plus tard, un certain Michael Kritschgau, membre du ministère de la Défense, annonce à Mulder et Scully que tout ce qu'ils ont vu au sujet des aliens depuis quatre ans, était faux. Qu'il s'agissait de magnifiques mensonges élaborés pour camoufler des activités du complexe militaro-industriel. En gros que l'enlèvement de sa soeur, ainsi que toutes les preuves biologiques étranges dont Mulder a été témoin constituait un immense mensonge. Pire encore, Scully lui annonce qu'on lui a inoculé le cancer pour qu'il puisse encore plus tomber dans le panneau. Ce sont des révélations absolument terribles. Déjà, croire que tout ce travail acharné dans les X-Files n'ont servi à rien, mais qu'en plus que sa seule amie va probablement mourir, à cause de notre entêtement à découvrir la vérité, peut légitimement être trop difficile à encaisser, justifiant un potentiel suicide hors écran. Le désespoir de Mulder est palpable, lorsqu'il se retrouve seul chez lui, en pleurs, juste avant de passer à l'acte. A noter que le cliffhanger a été massivement commenter, lors de sa diffusion. De nombreux journaux allaient de sa petite réflexion, et avançaient parfois leurs propres théories. Le Wall Street Journal a même sonder les téléspectateurs pour savoir ce qu'ils pensaient de la fin. C'était réellement devenu un sujet de conversation national, témoignant de l'immense popularité de la série. Nous sommes très loin du twist The Erlenmeyer Flask qui voyait Mulder et Scully virer des affaires non-classées, et qui avait tant effrayé une poignée de téléspectateurs qui pensaient même que la série était terminée. Le season final de la saison 4 a une ampleur décuplée à celle de la saison 1. 

Il y a plusieurs manières d'analyser le cliffhanger au coeur de Gethsemane. On peut se la jouer perspicace, voir cynique, en arguant que Mulder n'est évidemment pas mort, puisque David Duchovny allait tourner l'adaptation filmique de la série, durant l'été. En outre, Chris Carter avait signé pour cinq saisons, ce qui fait qu'une série au succès aussi démesurée n'allait probablement pas abattre une des deux têtes d'affiche. Le twist ne fonctionnait donc pas dans ce sens. Ceux qui se demandaient si Mulder s'était vraiment suicidé ont pu paraître tellement crédule. Les fans les mieux informés étaient au courant des coulisses, et savaient que le film Fight The Future suivrait chronologiquement les événements de la saison 5. Grosso modo, l'intérêt de cette chute scénaristique était ailleurs. Parallèlement, l'autre grosse révélation de l'épisode remet en question tout ce que nous avons vu sur la mythologie jusqu'à présent. Si le but de la série était d'ébranler nos convictions, c'est un peu raté. Personnellement, je n'ai jamais adhérer aux affirmations de Kritschgau. A ce stade du récit, X-Files nous a montré beaucoup trop de choses farfelues pour croire qu'il s'agissait de simples canulars finement élaborés. Des épisodes massifs comme Colony ou End Game nous ont clairement présentés des clones qui fondent dans une bouillie verte. On a vu un tueur polymorphe qui change de visage quand ça lui chante. Talitha Cumi et Herrenvolk remettent le couvert. Piper Maru et Apocrypha nous présentent une huile noire capable de se mouvoir et prendre le contrôle de ses hôtes humains. Tunguska et Terma relate la découverte d'une roche où ce même pétrole se transforme en vers qui provoquent un coma aux individus contaminés. Mulder effectue même un tour en Russie où le gouvernement perpétue des essais sur un vaccin à cette étrange huile. Il est donc très difficile de croire à ce soi-disant mensonge. En définitif, le suspense sur le suicide combiné à la révélation de Kritschgau ne fonctionnent pas. Tout du moins, au premier degré.
En revanche, et c'est comme ça que je l'ai vécu, Gethsemane fonctionne à un niveau émotionnel. Lorsqu'on s'imagine que Mulder est réellement ébranlé par ces informations discréditant tout son travail, le récit se révèle d'un coup plus touchant. Le personnage doit envisager que les extraterrestres n'existent tout simplement pas. En outre, même si on se doute que l'homme n'est pas passé à l'acte, il se retrouve dans un état déplorable à la fin de l'épisode, et son rapide coup d'oeil sur son arme suggère qu'il a sûrement envisager le suicide comme échappatoire, et rien que cette suggestion est puissante. On imagine également l'écrasante culpabilité ressentie, lorsqu'il se rend compte que sa partenaire va mourir par sa faute, et que sa maladie a métastasé, lui laissant peu de temps à vivre. Il devra envisager ensuite de continuer sa quête tout seul...

Il faut se rappeler que la croyance de Mulder est quasiment religieuse. Son poster dans son bureau avec les termes "I Want To Believe" est un parfait rappel qu'il a besoin de croire en une force supérieure. Bien entendu, l'enlèvement de sa soeur a été sa principale motivation, durant un temps. Mais cette quête de la vérité a alimenté une partie de sa vie. La conclusion de Conduit nous présente le personnage, assis dans une église, pleurer la disparition de sa soeur. Gethsemane le rappelle d'ailleurs, au terme d'une discussion entre Mulder et Scully, quand cette dernière demande à son partenaire en quoi une preuve changerait quoique ce soit, puisqu'il est déjà convaincu de l'existence des aliens. Mulder rétorque en titillant sur les croyances de Scully, en lui demandant si cela ne vaudrait pas le coup d'arriver à prouver l'existence de Dieu. Mulder compare donc ses propres convictions à celles des catholiques. Globalement, X-Files traite de la foi, pas nécessairement chrétienne, mais de la croyance au sens large, comme moteur dans la vie. De surcroit, l'épisode s'intitule "Gethsemani" qui est le jardin où Judas trahit Jésus. De quoi ancrer la croyance de notre héros dans un sens religieux. 
Le métrage se montre également très pessimiste sur les relations entre nos deux héros. Justement, la scène que je viens d'évoquer paraît triste, car Scully refuse catégoriquement de suivre Mulder, lorsqu'il lui annonce avoir trouvé une nouvelle potentielle preuve de l'existence des extraterrestres. Elle lui dit que c'est sa quête ultime et non la sienne. Mulder paraît presque décontenancé par sa réaction. Ensuite, notre scientifique quitte Mulder, au sens propre comme au sens figuré. Elle semble donc moins déterminée, à ce moment là. Evidemment, son état de santé fait qu'elle a peut être autre chose à faire que de toujours courir après le paranormal. Gethsemane nous présente officiellement pour la première fois Bill Scully, même si une scène coupée de Memento Mori existe dans les limbes. A priori, il semble peu sympathique; les fans ne l'appréciant guère étant donné qu'il ne porte pas Mulder dans son coeur. Mais si on met de côté notre fan-attitude, il avance des arguments plutôt pertinents de son point de vue. Lorsque Scully sort d'un de ses rendez-vous médicaux, son frère lui reproche l'absence de son partenaire: Qu'il ne se retrouve pas auprès d'elle dans ce genre de moments douloureux, où elle aurait bien besoin de réconfort. Qu'il préfère se balader dans une montagne enneigée, puis retrouver un bloc de glace avec un alien dedans, plutôt que se trouver auprès de la femme qui l'a soutenu depuis plus de quatre années. Quelqu'un qui a tout sacrifié pour lui. Dans cette optique, on peut parfaitement comprendre la colère de Bill. Elle est même plutôt saine, en fait. 
A côté de tout ça, Gethsemane dégage un parfum funeste: Les deux personnages principaux n'ont jamais été aussi près de la mort. Mulder semble avoir tout perdu, et il en vient à penser au suicide, tandis que les jours de Scully sont comptés. Il existe un univers alternatif où le premier passe réellement à l'acte, pendant que l'autre sombre dans un lit d'hôpital. C'est assurément une des fins de saisons les plus pessimistes de la série.

Ce grand final est intéressant car, malgré notre réserve sur la grande révélation, cette vaste supercherie donne du crédit au personnage de Scully. Elle offre du poids à notre sceptique de service, en délivrant un récit alternatif. Même si on peut se dire que Kritschgau se trompe, et qu'on a vu trop de choses, au cours du mytharc, il subsiste toujours un doute. A ce sujet, Mulder ne croit pas du tout à ce que lui raconte l'employé du ministère de la Défense. Néanmoins, des germes de doutes l'envahissent très vite. Et c'est là que résulte la beauté de l'épisode: Chris Carter arrive à semer le doute, malgré toutes nos certitudes. Gethsemane possède une autre grille de lecture intéressante: Le petit film agit comme un récit meta dans lequel Mulder et Scully ont conscience de leur nature de personnages fictifs, et que les mensonges relatés par Kritchgau peuvent servir de métaphore aux scénarios, inventés au fur et à mesure par les scénaristes: Ce faisant, Mulder et Scully comprendraient dès lors qu'ils sont des pions dans une histoire écrite par quelqu'un d'autre. Qu'ils dépendent de la plume de scénaristes qui ont le pouvoir de vie ou de mort sur eux, et sur leur entourage. Dans cette optique, Mulder se suiciderait, car il réaliserait soudainement qu'il n'est qu'un protagoniste d'une histoire qu'il ne contrôle pas. Cette lecture octroie une autre saveur au passage où Scully explique à son collègue qu'on lui a donné un cancer pour donner du poids à ce récit fictif. Qu'elle n'a été qu'un accessoire narratif pour susciter des réactions chez Mulder, comme sur le public. C'est absolument terrible ! Dans ce même ordre d'idées, toutes ces histoires d'extraterrestres ont pour but d'alimenter une intrigue au long cours. C'est comme si Gethsemane ramenait X-Files à l'implacable réalité. Une version dénuée de romantisme à la quête de Mulder. L'épisode propulserait l'univers fantaisiste de la série dans notre monde où ces délires de science fictions n'existeraient pas. Cette prise de conscience détruirait littéralement Mulder et Scully. Ce mélange entre fiction et réalité révèle Gethsemane comme un exercice étonnamment postmoderne. Il n'est peut être pas étonnant que ce soit Chris Carter qui écrive ce chapitre, ainsi que les deux épisodes d'ouverture de la saison 5. Il est le showrunner, l'architecte de toute cette gigantesque histoire qu'il a fondé avec son équipe de scénaristes et réalisateurs. Si on met donc de côté notre cynisme, en prétendant qu'on est suffisamment malin pour ne pas croire en la supercherie et au suicide du personnage principal, l'épisode offre différents degrés de lecture absolument fascinants. C'est un mytharc étonnant aussi parce qu'il brille par l'absence de son casting secondaire. Il n'y a pas de Smoking Man, pas de Krycek ou de syndicat ici. On y trouve même pas de trace de Skinner ou des Lone Gunmen, des figures qui sont susceptible d'apparaître dans des loners. Gethsemane réduit son scénario à Mulder et Scully, avec un peu de famille de cette dernière. A ce titre, cette épuration ressemble quelque peu au diptyque Tempus Fugit et Max, vu précédemment. Il y a une sensation de retour au source. Une impression renforcée par la présence du chef de section Scott Blevins, qui n'était pas revenu concrètement depuis Conduit, le quatrième épisode de la saison 1. Son retour est également un parfait moyen de rappeler la mission fondamentale de Scully, et pourquoi elle a été assigné aux X-Files. A ce sujet, la scène finale est terrible, puisqu'elle annonce être désormais capable de témoigner de l'illégitimité du travail de son collègue, après quatre ans de travail. Comme une manière cruelle de boucler la boucle, et de secouer les fondamentaux.
Nous l'avons déjà vu, mais la saison 4 a tendance à regarder en arrière en ramenant divers éléments issus de la première saison. L'apparition de Blevins constitue donc la note finale de cette intention.

Ramener les théories de Mulder à des explications très terre à terre semblent également être une manière pour Chris Carter de tempérer toutes les extravagances de la série. En effet, il faut savoir que plusieurs critiques, venant de scientifiques, ont taclé X-Files, en l'accusant d'être une ode aux croyances fantaisistes face à la rationalité de la science. Il est vrai que la série a tendance à donner raison aux idées farfelues de Mulder, face à la rigueur scientifique de Scully. Mais ce serait perdre de vue que l'entourage de Carter est scientifique et qu'il est lui même plutôt sceptique, même s'il avoue apprécier une certaine dose de spiritualité. En outre, X-Files s'efforce de restituer un semblant de véracité scientifique, notamment en effectuant des recherches poussées, puis en enrôlant de véritables scientifiques pour respecter un maximum les valeurs rationnelles, et ainsi ancrer la série dans notre monde réel. Le showrunner a pu être déstabilisé car, en 1996, il a été invité dans un congrès de sceptiques pour débattre de son travail sur la série. Même si beaucoup de scientifiques adoraient X-Files, certaines critiques ont fusé, et l'homme s'est peut être senti blessé que son oeuvre puisse offenser. Gethsemane est peut être une tentative de rationnaliser le récit de Mulder, pour qu'il soit davantage compatible à l'esprit de Scully.  
L'épisode est mémorable également pour avoir coûté très cher à la production, notamment en construisant un immense décor de cavernes glacées. De surcroit, les plans en extérieur ont été tourné autour du mont Seymour à Vancouver. L'équipe ont un peu galéré à cause des conditions météorologiques, comme souvent avec ce genre de décors. RW Goodwin réalise encore un chouette travail en rendant les séquences montagnardes assez intenses. David Duchovny était plutôt content car il allait se marier une semaine après le tournage, avec sa future femme, Tea Leoni. Cette dernière s'est même déplacée pour observer les coulisses de la série.
Gethsemane est un fascinant segment mythologique, étonnamment intimiste, et diablement plus cruel envers nos deux héros. Même si on se doute que Mulder ne se suicide pas à la fin, l'impression qui prédomine est que les deux agents vont avoir du mal à ressortir la tête haute de tous ces événements.
Il conclut merveilleusement bien une saison 4 globalement impressionnante, malgré les coulisses tumultueuses. 

Et voilà mon énorme rétrospective sur la saison 4. Comme pour les autres parties, cela m'a demandé un temps monstrueux à écrire. Mais cela faisait des années que j'avais envie d'écrire quelque chose sur X-Files, une série qui a longtemps compté et qui a été une source d'obsession intarissable. On se retrouve pour la saison 5, d'accord ? 


PS: Pour mes écrits, je m'appuie énormément sur tous les textes que j'ai pu lire depuis mon adolescence. Il y a de nombreux éléments que je tire de magazines (comme Mad Movies, Generations Series ou encore le magazine X-Files), mais aussi de tous les livres que j'ai pu acheter, notamment les guides officiels et même non-officiels. Par la suite, j'ai pu lire de nombreux dossiers ou articles rétrospectifs sur internet qui ont parfois étudié la série (notamment le site eatthecorner ou les commentaires des DVD, etc...).




Moggy





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