Mirror's Edge, le First Person Stuntwoman
Quand le studio DICE sort Mirror's Edge en 2008, il fait le pari de se détourner d'une partie des ingrédients avec lesquels la société a bâti son succès, c'est à dire offrir aux joueurs l'antithèse de Battlefield, sa licence à succès. Ce curieux projet n'a pas nécessairement fait l'unanimité auprès de la critique à sa sortie, mais il constitue, quoiqu'on en dise, un des titres les plus emblématiques de la génération PS3/Xbox 360. S'il te plait, ne scrolle pas trop vers le bas, tu risques d'avoir le vertige...
Miroir, mon beau miroir
Mirror's Edge sort en ce pluvieux mois de Novembre 2008 sur nos fières consoles HD que sont les Playstation 3 et Xbox 360, à une époque où nous n'étions pas tous équipés pour profiter pleinement des graphismes en hautes résolutions de nos nouveaux jeux vidéo préférés. A titre personnel, je jouais encore sur un tube cathodique et une 360 reliée via un câble péritel dégueulasse. Ma télévision vomissait, à la moindre occasion, les couleurs criardes de Mirror's Edge devant moi. Mais que nenni, ça ne m'a pas empêché d'être supra emballé par la multitude de sorties en cette belle année. Ce nouveau bébé du studio DICE a par ailleurs dû cohabiter aux côtés du survitaminé Gears of War 2 et du sémillant Tomb Raider Underworld, parus le même mois, mais aussi de Dead Space, sorti peu de temps auparavant. Ce dernier titre intégra également les nouvelles IP expérimentées par le géant éditeur Electronic Arts.
Ce qui frappe d'emblée, et même sur les screenshots qui parsemaient les news précédents l'arrivée du soft, est son audacieuse direction artistique qui met en valeur un environnement très urbain, composé de gratte-ciel à perte de vue immaculés de blanc, dispatchant quelques éléments ornés d'une unique couleur saturée, contrastant avec l'ensemble: Cela peut être une porte d'un rouge vif, mais aussi un motif mural acoutré d'une unique ligne d'un vert pétant.
Visuellement, l'ambiance détonne, à tel point qu'il suffit de montrer une image du jeu pour tout de suite reconnaitre sa singulière patte graphique. Ce fut une volonté d'une équipe de développeurs désireuse de ne pas se conformer aux autres productions. Faire en sorte qu'on ne puisse confondre Mirror's Edge avec un autre titre était un point d'ancrage du développement. D'après Tom Farrer, le producteur de DICE, les premières esquisses du projet conviaient davantage de détails et de couleurs. Le look général de la ville était similaire au résultat final, mais les petites touches rajoutées conféraient un aspect nettement plus réaliste à l'ensemble. Les contrastes se mélangeaient avec des nuances de bruns et de gris. Les artistes n'ont pas du tout apprécié le rendu, et ont opté pour ce fameux blanc ponctué de couleurs vives qui captaient nettement mieux la pureté et la fraîcheur désirées, le tout écrasé par un ciel bleuté dénué de nuages.
Il est vrai que lorsque j'ai refait un run dernièrement, je me suis amusé à partager des screenshots sur Twitter et la majorité des joueurs ont aussitôt deviné l'oeuvre en question. Et à ce propos, quel bonheur de pouvoir prendre des photos de jeux 360 sur la nouvelle Xbox Series X. Le photographe vidéoludique que je suis apprécie. Oui oui oui !
Ces quatre images maison soulignent la prédominance d'une couleur selon les lieux où l'on se situe. Cette science de l'épuration visuelle confère une ambiance glaciale à la ville, en plus de servir le propos, puisque l'action place le joueur au sein d'une mégalopole aseptisée et totalitaire, mais pas nécessairement ressentie comme oppressante pour la plupart de ses habitants: Au fil du temps, ces derniers ont consenti à perdre peu à peu leur liberté pour plus de confort et de sécurité. La criminalité est en chute libre, grâce notamment à une surveillance accrue qui se traduit par des caméras qui épient les moindres faits et gestes de la population. Tous les moyens de communication sont également étroitement scrutés, tandis que la presse a cédé sa place à l'omniprésence de la publicité, en plus d'être muselée par la censure. Un peu comme si Reworld Media ou Bolloré avait la main mise sur l'intégralité d'une commune.
Cependant, il subsiste une résistance aux abords de cette cité qui endort les consciences. Des individus qui refusent cet asservissement, et qui utilisent des messagers pour continuer à communiquer librement, et donc illégalement. Ces derniers sont des adeptes du parkour, cette discipline urbaine qui leur permet de s'approprier l'espace de la ville en accomplissant diverses acrobaties afin de se mouvoir tels des singes jonglant de liane en liane. Comme il est bien trop dangereux pour eux de circuler librement dans les rues, ils utilisent les toits afin de ne pas être repérer par les caméras. A ce sujet, le titre "Mirror's Edge", littéralement "en bordure de miroir", désigne vraisemblablement ces rebelles qui vivraient à la périphérie de cette ville que l'on pourrait assimiler à un miroir, tant cette dernière est inondée d'immeubles froids au milles fenêtres s'étendant à perte de vue. A de nombreuses reprises, les joueurs pourront contempler les vertigineux panoramas de ces édifiantes architectures modernes.
La police, elle, tente par tous les moyens de mettre la main sur les messagers afin de les empêcher de nuire au bon fonctionnement de cette dystopie. Faith Connors, notre avatar, est justement une des plus éminentes messagères, et le but de l'aventure sera de secourir sa soeur, accusée à tort d'un meurtre qu'elle n'a pas commis. Notre héroïne devra mettre tout en oeuvre pour lever le voile sur ces mystères tout en étant poursuivi par la police. L'aventure s'apparente donc à une perpétuelle fuite en avant.
Pour être tout à fait franc, le scénario n'est pas spécialement brillant et il est globalement mis en retrait. C'est l'univers et le rythme global de l'aventure qui convainquent. A l'instar de sa DA, le jeu épure un maximum son propos pour ne conserver que quelques grosses lignes. Il n'est qu'un prétexte pour balader Faith dans tous les sens afin de semer quelques assaillants au passage. Néanmoins, la tension fonctionne tout de même et permet de distiller un récit, certes très léger, au soupçon complotiste et anxiogène, évoquant vaguement les thrillers d'action dans années 90, à l'instar du Fugitif, l'antagoniste en moins. Non, je le répète, l'histoire ne laisse pas de trace impérissable, puisque à chaque run (trois depuis sa sortie), j'oublie les motivations de Faith. Le contraste est également convié lorsqu'il s'agit des transitions entre phases ingame et cutscenes. Effectivement, les secondes n'ont pas été réalisé via le moteur du jeu. A la place, elles arbore un habillage 2D typé dessin animé des années 2000. En revanche, je me souviens précisément du game design, de la direction artistique et de ces fabuleuses sensations manette en main.
L'effet miroir
Parlons-en justement du gameplay. Le bébé de DICE peut se décrire comme un platformer 3D en vue subjective. En tant que runner, Faith peut bondir de toit en toit, s'agripper à des tuyaux qu'elle peut grimper ou descendre. Elle peut également prendre son élan pour sauter plus loin, mais aussi courir sur les murs façon Prince of Persia style. Les Sables du Temps est d'ailleurs une des sources d'inspiration avouées des développeurs, et non Assassin's Creed comme ces derniers l'ont démenti à la sortie. En effet, les sorties des deux projets n'ont qu'un an d'écart, et le gestation de la nouvelle poule aux oeufs d'or d'Ubisoft a commencé depuis belles lurettes. Même si Mirror's Edge reste toujours original actuellement, il l'était davantage à l'époque, puisque que les jeux à la première personne étaient largement dominés par les FPS, le genre star par excellence. L'aspect action représentait clairement l'élément mis en avant dans ces softs, même si, bien entendu, on pouvait relever quelques exceptions comme Portal ou Half Life. Cependant, pour ce dernier, l'action est une mécanique clairement primordiale dans son game design.
Cela dit, Mirror's Edge détourne tous les codes usités dans les FPS. On peut carrément affirmer qu'il fait tout à l'envers, puisqu'il met en avant sa structure platformer, une composante en général déplorable dans ce style de jeux, tout en évacuant les affrontements: En effet, contrairement aux FPS habituels, le projet d'EA ne brille pas par ses combats directs, mais révèle sa singularité avec la manière de justement les esquiver. L'oeuvre agît comme un négatif aux autres softs du genre. Il met également en exergue cet abus de langage de tout vouloir classer dans FPS tout ce qui adopte une vue à la première personne. Je m'interrogeai déjà en 2007, lors de la sortie de Bioshock. Lorsque j'avais parcouru Rapture, je me demandai si il était judicieux de ranger le titre de 2K dans la case FPS car, finalement, le S de Shooter n'avait pas trop lieu d'être. Bon, ok, j'ai vite changé d'avis après avoir bouclé la seconde partie de l'aventure, mais la question m'avait tout de même traversé l'esprit. Mais c'est véritablement à partir de Mirror's Edge que j'ai arrêté d'utiliser le terme FPS si l'aspect shoot n'était pas le coeur du gameplay, et privilégier l'appellation "vue à la première personne" qui élargit le champ des possibles en désignant un type de vue, plutôt que de décréter le genre du jeu. Finalement, la décennie suivante à vu exploser la vue subjective pour l'affubler dans une multitude de genres, et notamment l'horreur qui se prête merveilleusement bien à cette perspective.
On ne mesure pas assez à quel point ce parti-pris a dû être sacrément casse-gueule car, je le rappelle, les phases de plate-forme ont toujours été déplorables dans les FPS: Les déplacements et le type de vue ne se marient pas très bien à ce type d'acrobaties. En outre, Mirror's Edge accorde un champ de vision plus large qu'à l'accoutumée, à contrario des autres FPS qui restreignent volontairement la vue afin d'enfermer le joueur afin d'engendrer un sentiment d'oppression.
En définitif, j'aimais beaucoup l'idée que la vue à la première personne ne désignait plus un genre mais un point de vue dans lequel on peut inclure un grand nombre de types de jeux. Un titre comme Amnesia a pavé le chemin à une multitude de survival horror comme P.T, le fameux teaser de Kojima, mais aussi Outlast ou encore Alien Isolation. Les années suivantes auront vu l'avènement des walking sim inonder le marché: Eux poussaient très loin le concept de la vue subjective avec zéro combat. On peut citer Gone Home (qui était initialement un mod d'Amnesia), Dear Esther ou encore What Remains of Edith Finch. STOP LE NAME DROPPING OKAY ??
Comme suscité, incarner une fugitive va de pair avec une fuite en avant. Ce parti pris structure le level design semblable à une succession de couloirs où il impossible de rebrousser chemin. L'expérience s'organise autour d'une tension permanente entrecoupée de phases d'accalmie, dans lesquelles le joueur doit observer le décor afin de checker l'itinéraire qu'il va devoir emprunter pour progresser. Et c'est là que l'utilité des aplats de couleurs démontre tout son intérêt au sein du gameplay: Les capacités physiques de Faith lui permettent de rapidement surligner les éléments du décor avec lesquels composer pour avancer. Concrètement, les objets seront colorés d'une couleur vive, comme par exemple les portes rouges qui indiquent qu'il est possible d'interagir avec. De même lorsqu'on devient parent: Dans notre regard, les objets dangereux pour les enfants sont en rouge. L'épuration visuelle est telle qu'il n'y a aucun HUD à l'écran afin que le joueur s'immerge pleinement dans l'expérience.
La maniabilité est assez intuitive, notamment grâce à la clarification de ses commandes: Il y a très peu de bouton à utiliser: On court, on regarde autour de nous avec la caméra, on interagit avec les objet avec une unique touche, tandis qu'une autre sert à sauter et à nous agripper. DICE a essayé de rendre l'expérience la plus agréable possible. L'accent a été placé dans le fait de ressentir des sensations (pures) et de réellement se mettre dans la peau de l'héroïne le plus rapidement. Les contrôles sont donc, à l'image de la DA, épurés à l'extrême afin d'ériger ce jeu au rang d'expérience sensorielle. Cette facilité dans la prise en main constitue, de l'aveu des développeurs, une manière de ne pas avoir une entrée en matière trop frustrante pour les joueurs, et préférer une certaine souplesse dans le maniement. Le plus important réside surtout dans la maitrise de son environnement, comme apprendre à jauger assez vite les obstacles que Faith peut franchir ou non, et à quelle vitesse. Le gameplay s'articule donc plus sur la performance du joueur qui apprend à méticuleusement maitriser ses acrobaties, pareillement à un vrai yamakasi, avec des moyens relativement "simples".
En définitif, lorsque l'on a parfaitement intégré les commandes et les limitations de notre athlétique double virtuel, progresser dans les niveaux devient presque organique.
L'atmosphère si particulière est soutenue par une bande son électronique signée Solar Fields, un compositeur qui avait déjà roulé sa bosse dans ce type de musiques, notamment en sortant quelques pistes d'ambient des plus relaxantes. Sa musique dans Mirror's Edge est élégante, parfois zen, parfois trépignante et toujours apte à être adaptative, se mettant au diapason avec la fluidité de nos mouvements et de l'endroit où se déroule l'action. En d'autres termes, Solar Fields s'accorde avec le rythme du joueur en distillant ses sons éthérés qui habillent la moindre parcelle de cette ville brillante. Ce dernier semble battre la mesure au compositeur.
Seule fausse note selon moi réside dans cette chanson finale "Still Alive" venant clore l'aventure. Je sais... Je suis toujours perplexe face à ce genre de titres ultra sensoriels, avec une OST qui dénote subitement en s'affublant d'une voix avec des paroles à la con. Pour le coup, ça vient vraiment d'un problème personnel que j'ai avec la chanson, en général.
Les artistes ambitionnaient de distiller de l'humanité à travers l'avatar du joueur, ce qui n'était clairement pas l'apanage de la plupart des jeux à la première personne. Les créateurs de Battlefield ne voulaient pas d'un bras flottant qui dézingue des ennemis tout en récoltant des munitions. Notre messagère possède un vrai corps: En baissant la tête ingame, nous pouvons voir nos jambes. Nos mains touchent les fenêtres et les murs lorsque nous nous approchons de ces derniers. Nous pouvons même apercevoir notre reflet et notre ombre à certaines occasions. Mirror's Edge tente donc d'accroitre la proximité entre le joueur et notre personnage via une multitude d'artifices et de mise en scène, à l'instar de ces mouvements de caméra volontairement tremblotants, qui ne donnent jamais l'impression d'être sur des rails. En 2008, on sortait tout juste des films de Jason Bourne (source d'inspiration des créateurs d'ailleurs) et de cette propension à jouer avec la caméra à l'épaule. Ce projet n'est pas le premier à essayer de simuler de "véritables" mouvements humains. Breakdown tentait déjà cette approche en 2004 sur la première Xbox, mais également le très bon Condemned de Monolith qui, lui même, marchait sur les traces de F.E.A.R du même studio.
Tous ces effets, aussi convaincants soient-ils, ne sont pas sans conséquences pour les gens atteints de cinetose. Tu sais, cette affection, que l'on appelle aussi "mal des transports" et qui déclenchent des nausées et des vertiges en voiture ou en bateau. Pas mal de joueurs en souffrent également lorsqu'ils s'adonnent à des FPS. Heureusement, les créatifs en avaient conscience lors de l'élaboration du jeu et ont placé un petit réticule au centre de l'écran afin d'atténuer les effets de la cinétose. Les artistes se sont inspirés des ballerines qui, pour effectuer des pirouettes, se focalisent sur un objet au loin ou sur le sol afin de ne pas être malade, à l'image de ce petit point au centre de l'écran.
De surcroit, les côtés de l'écran utilisent une sensation de vision périphérique aidant potentiellement à réduire ces maux.
Malheureusement, toutes ces précautions n'ont pas éradiqué ces problèmes de mal-être, puisque des joueurs ont déclaré subir quelques symptômes désagréables lorsqu'ils jouaient à ce titre. J'ai même lu le récit d'un fan du périple de Faith avouer qu'il devait régulièrement mettre ses sessions en pause à cause de ces désagréments. Il vomissait de bonheur, en somme.
Parlons maintenant de cette sensation de vertige. Bien entendu, cela va de soi qu'un soft où l'on saute de toit en toit induit ce type de sentiment, mais le bébé de DICE excelle vraiment dans l'art de nous donner des sueurs froides, par exemple lorsqu'on se loupe de peu, à l'instant de sauter in extremis d'une corniche pour atteindre un balcon. La frayeur est maximisée si on a le malheur de jeter un coup d'oeil en dessous de nos pieds, et constater le nombre de mètres qui nous sépare du sol. La luminosité conjugué à cet immaculation de blanc accentuent indéniablement le vertige inhérent à l'expérience. Bien sûr, on recherche aussi l'émergence de cette peur lorsqu'on prend le pad en main. Plus que la police ou la milice privée, notre plus grand ennemi reste le vide. Nous passons la majeur partie du jeu à braver les lois de la physique tout en narguant les potentielles chutes mortelles. Et il y a un flow incroyable qui surgit au moment de commencer à parfaitement diriger notre heroïne: Il y a quelque chose de sacrément grisant lorsqu'on a réussi à semer nos adversaires avec style, tout en arrivant à escalader des portes grillagés, puis courir sur un mur pour ensuite aller taper dans la porte qui nous ouvre la prochaine zone.
Excellente transition pour aborder l'un des points de déconvenue auprès des dissidents: à savoir la trop grande difficulté. Contrairement à ce que beaucoup de joueurs avaient plausiblement imaginé, Mirror's Edge est un jeu relativement exigeant. Il n'est pas rare de devoir s'y reprendre plusieurs fois avant d'atteindre un endroit, allouant un aspect die & retry au gameplay. Plus généralement, certains lieux sont nettement plus difficiles et demandent un certain sens de l'observation et un impeccable doigté pour dresser un itinéraire parfait, malgré les objets colorés venant nous éclairer. Je me souviens avoir bloqué à certaines endroits: J'ignorais totalement par où me faufiler. Un passage qui me revient immédiatement à l'esprit est cette très haute salle dans les égouts où j'ai mis beaucoup de temps à comprendre par où je devais aller pour progresser. Lors de mon second run, j'ai curieusement galéré à des endroits différents. En revanche, ma récente partie s'est admirablement bien déroulée, et sans heurt, malgré les dix ans qui séparent les deux sessions. J'ai pu accéder à cette satisfaction générée par la maitrise de l'environnement et par le refus de trépasser, créant un flow inédit de mes précédents runs. Réussir à parcourir les niveaux avec une fluidité stupéfiante fait indubitablement partie des plaisir de la replay value.
J'imagine que les critiques qui pointaient cet axe du gameplay s'imaginaient un soft plus "souple" et moins rugueux sur sa difficulté, surtout un an après la sortie d'Assassin's Creed et son aspect très permissif dans ses phases de grimpettes, notamment en automatisant ses contrôles lors de ces sessions.
D'après Lars Gustafsson, le creative director, cette composante impitoyable découle d'une réelle volonté du studio afin de renouer avec des sensations de jeu plus exigeantes. L'équipe désirait que les joueurs se surpassent afin d'espérer traverser un passage bloquant, puis, à terme, essayer de parfaitement appréhender les compétences de Faith. Le joueur apprend au fur et à mesure à gérer son espace, et le jeu te laisse expérimenter, quitte à ne jamais te faire la courte échelle s'il te voit trop galérer. C'est une approche de game design comme une autre.
Néanmoins, on voit bien à quel point les tendances jouent un rôle prépondérantes à notre appréciation d'un jeu. Je me demande de quelle manière ces avis divergents auraient reçu cette difficulté, supposément sanctionnable, dans notre monde vidéoludiques post-Dark Souls où il est tout à fait admis d'avoir une philosophie de jeu plus ardue. Parce qu'au final, oui, Mirror's Edge contient quelques séquences relativement cotons, mais elles ne sont jamais hardcore non plus. Et c'est quelqu'un qui a beaucoup pleuré sur d'innombrables sauts foirés qui te dit tout ça.
"Les combats sont nazes" en effet. Disons plutôt que l'expérience n'a pas été taillé pour ça et, de toute évidence, il vous incite à fuir étant donné qu'on meurt en quatre coups, et que nos adversaires sont rarement tous seuls. Cela dit, on peut parfois prendre l'arme d'un gars pour la retourner contre lui, avant d'arroser un de ses collègues qui se trouve à proximité, avec le peu de balles que le jeu nous offre. Et il est vrai que ces fugaces gunfights restent le ventre mou de l'expérience. Cependant, ce qui rend ces affrontements un tantinet rigolos sont ces moments où l'on réussit à ne pas se faire toucher,tout en arrivant à mettre sur le tapis des ennemis bien plus surarmés que nous. Il y a ce plaisir certain à se cacher, puis se jeter sur un connard, le désarmer pour ensuite se barrer comme un facétieux petit singe. Là réside le plaisir dans ces gunfights. Mais bien évidemment, ces derniers auraient mérité d'être un poil plus dynamiques, surtout venant des concepteurs qui ont pondu une multitude de Battlefield.
Par ailleurs, les combats sont tellement secondaires qu'il y a moyen d'être récompensé si l'on ne tue aucune cible.
Concept art qui a servi lors de l'élaboration des mouvements de Faith |
Faites chauffer du sable
Tu te souviens du virage open world que la série a pris avec la suite sous titrée "Catalyst" ? Une très mauvaise idée de l'avis de beaucoup de gens. Ou tout du moins, un modèle très mal optimisé pour cette séquelle. Hé bien, sache que l'open world était une de ces idées lancées en l'air, lors des discussions sur l'orientation à prendre, au moment de la création de l'épisode inaugural. Une piste très vite jetée à la poubelle pour judicieusement se concentrer uniquement sur des niveaux resserrés, au level design ciselé au millimètre près. Un moyen de totalement gérer le rythme du jeu alternant entre épisodes de relative quiétude et courses poursuites tantôt enivrantes, tantôt stressantes.
Avant de pleinement plancher sur le projet, un prototype a vite été mis sur pied afin de tester les mouvements à la première personne. Sur cette ébauche, les décors rudimentaires étaient blancs et notre protagoniste était un homme qui semblait plus enclin à tâter de l'arme à feu que la future Faith. Non mais "les graphismes sont la première chose qui est créé" on vous dit... :p
Vidéo de ce fameux prototype cité au-dessus. ça fait très Superhot style:
Lors des premières esquisses, les concepteurs songèrent à créer un jeu multijoueur du type flics vs voleurs, et Faith n'était qu'un personnage sélectionnable parmi d'autres. Une piste qui a également été très vite abandonnée au profit de ce qu'on connait.
Quoiqu'il en soit, il y avait cette envie de concevoir un titre autour du mouvement. Avant que DICE ne soit racheté par Electronic Arts, l'entreprise était indépendante mais l'immense succès de Battlefield a embourbé la société dans la réalisation d'innombrables suites. Cependant, dans leur coin, des développeurs planchaient parfois sur de petits projets qu'ils proposaient à leurs supérieurs. Patrick Söderlund, le PDG de la boite se souvient qu'une petite équipe lui avait soumis son pitch de jeu de parkour à la première personne. Sa réaction initiale a été de penser que c'était une très mauvaise idée. Il songea d'office au fait qu'il serait délicat de se mouvoir correctement avec une telle vue. De surcroit, il craignait que le joueur soit trop désorienté. Malgré tout, la démo prototype propageait une vague d'enthousiasme qui finit par envahir les couloirs du studio suédois.
Erik Odeldahl déclara qu'il avait pu mettre la main sur cette fameuse séquence. Il relate qu'à un moment, il bloqua sur un mur et se demanda si il était possible de grimper dessus. Voir son personnage réussir l'exploit, sans avoir besoin d'indication, lui avait laissé un large sourire sur le visage. Il voulait immédiatement participer au projet, mais, à ce moment là, il avait des obligations envers Battlefield. Et de toute façon, le développement de Mirror's Edge n'avait pas encore débuté. Néanmoins, de nombreux employés ont senti l'immense potentiel du concept. A la base, le protagoniste devait savoir piloter des véhicules, mais les artistes estimèrent que le rythme en pâtirait. Assez tôt dans le processus de création, il a été décidé d'opter pour le moteur Unreal Engine 3 d'Epic Games, très en vogue à l'époque, étant donné que leur moteur maison, Frosbite, n'était pas encore prêt à l'emploi. Le "Project Faith", le nom de travail, pouvait donc réellement être mis sur les rails. Comme précité plus haut, le style artistique, ainsi que sa vision élargie, ont été mis au service du gameplay: Tous les éléments ont été conçu autour de ce game design si distingué, créant une homogénéité salutaire.
Pour l'atmosphère urbaine, de nombreuses métropoles ont été scruté par les développeurs, notamment Dubaï, Singapour, Tokyo ou encore New York. La cité qu'arpente Faith a donc été inspiré par une multitude de villes réelles, en plus de distiller quelques relents futuriste à l'ensemble, allouant un caractère "impersonnel" et froid aux différents lieux visités. Par ailleurs, son nom n'est jamais mentionné dans le récit.
Pour ce qui est de Faith, le studio désirait sortir du stéréotype de la femme dans les jeux vidéo. Elle n'est pas une plantureuse bimbo. Elle sort du carcan habituel du "male gaze" qui, malheureusement, ont longtemps gangrené le média. On pourrait presque la comparer à Jade, l'héroïne de Beyond Good & Evil qui, elle aussi, avait été salué pour sa représentation plutôt respectueuse des femmes, sans tomber dans le sexisme le plus gras.
En sus, les devs ont voulu un protagoniste dénué de pouvoirs ou de capacités surnaturelles, au profit d'un perso aux prouesses physiques réalistes, quoique impressionnantes: C'est une personne "ordinaire" plongée dans des circonstances extraordinaires. Le but n'était pas d'aliéner les joueurs masculins, mais plutôt d'avoir un personnage athlétique assez stylisé qui plairait autant aux hommes qu'aux femmes. D'ailleurs, je me suis toujours demandé si sa marque sous ses yeux n'était pas un clin d'oeil à cette éphémère mode qu'était la tecktonik, qui périclitait déjà en 2008.
Concept art de Faith |
La rejouabilité fut une donnée substantielle dans l'élaboration des zones: Créer plusieurs manières d'appréhender certains niveaux était un axe essentiel du level design. Il fallait que le joueur ait envie de réessayer différents itinéraires, mais aussi qu'il trouve l'appétence de relancer ultérieurement l'aventure.
Pour insuffler de l'âme à ces mécaniques, il fallait une histoire et un contexte à tout ça. Ce fut Rhianna Pratchett, la fille de l'écrivain Terry Pratchett, qui donna un sens à la quête de Faith. La scénariste, qui s'était surtout fait connaître pour avoir écrit Heavenly Sword et Overlord, a écrit le périple de Mirror's Edge. Cette dernière est finalement arrivée assez tard dans le processus créatif, réduisant drastiquement ses marges de manoeuvre. Son apport a surtout été de donner une justification à tous les éléments déjà créés. Par exemple, les autres artistes ne savaient pourquoi les runners couraient dans le jeu. Pratchett dû donc tout expliquer afin de rendre tangible et crédible cet univers visuellement préétabli. D'après l'autrice, elle posa des tas de questions aux devs afin d'apporter de la cohérence à l'ensemble. Par ailleurs, c'est elle qui eut l'idée du nom "Mirror's Edge" et qui dû convaincre un auditoire quelque peu sceptique sur ce titre. Par la suite, elle put étoffer le lore avec une série de comics parue après la sortie du jeu. Chronologiquement, l'intrigue des BD se déroule antérieurement aux évènements relatés dans le soft, en plus de revenir sur l'histoire familiale de Faith. La scénariste eut ainsi tout le loisir de plancher sur les idées qu'elle avait en tête pour une préquelle.
Pour l'anecdote, c'est en quelque sorte une tortue qui amena l'artiste sur le projet. Effectivement, petite, elle posséda des tortues lorsqu'elle vivait dans le village de Rowberrow en Angleterre. En bas de la route où était placé leur maison vivait la famille Cousins qui, elle aussi, cohabitait avec une tortue. Parfois, cette dernière fuguait pour aller rejoindre ses camarades dans la maison des Pratchett. C'est comme cela que Rhianna fut la connaissance de Ben, un des enfants des Cousins.
Puis un jour, les Cousin déménagea, et la tortue championne d'évasion emménagea à temps plein avec les Pratchett, réalisant ainsi son doux rêve.
Les années passèrent et Ben devint producteur chez DICE. Lorsque la boite songea à construire une intrigue autour de leur soft de parkour, l'homme recommanda naturellement cette scénariste avec qui il partagea sa passion des tortues. Avoue que c'est rigolo comme anecdote: Tortue... Pratchett... Tout ça tout ça...
En définitif, il aura fallu 7 ans pour matérialiser un tel bébé si choupi ! Bon après, c'est parfois délicat de quantifier le temps réel d'un développement de jeu vidéo. Mais en tout cas, ça fait vachement longtemps ! Un vrai parkour du combattant cette création (ha ha ha ha ha ha !)
La cover d'un des comics Mirror's Edge écrit par Rhianna Pratchett |
Miroir, miroir, qui est le plus beau ?
Mirror's Edge eut une réception polarisée. En général, les avis furent positifs mais des critiques ont pointé du doigts de nombreux défauts, à commencer par la difficulté que j'ai susmentionné, mais aussi la sacro-sainte durée de vie jugée bien trop courte. Honnêtement, je la trouve suffisante, surtout pour une telle expérience à l'action gratinée. On sanctionnait plus sévèrement un jeu qui se bouclait en quelques heures. Aujourd'hui, il est plus volontiers admis d'avoir des projets qui ne durent que 2 ou 3h selon le genre, même si la durée de vie continue d'alimenter les débats à tel point qu'elle est carrément incluse dans la communication de certains acteurs de l'industrie: On se souvient dernièrement des développeurs de Dying Light 2 qui se vantaient de publier un soft qui durait sans fin. Les moeurs changent pour une partie des joueurs puisqu'une frange n'a pas du tout été réceptif à cette annonce de Techland.
Mirror's Edge n'a pourtant pas à rougir car j'ai tendance à penser qu'un soft de cette trempe peut y laisser des plumes à trop vouloir s'éterniser dans ses mécaniques. 6h ou 8h, c'est suffisant.
Certains ont estimé que le jeu ne poussait pas son concept assez loin. Je ne sais pas. Encore une fois, je ne suis pas resté sur ma faim.
L'équipe de DICE ont été ravi des avis positifs mais ils ont également pris très au sérieux les mauvais retours. Juste après la sortie du jeu, cette réception contrastée a malgré tout un peu miné l'équipe. Au sujet de la difficulté, Tom Ferrer se demanda si ils auraient dû adoucir cet aspect là ou si intégrer différents modes de difficultés consentant une certaine permissivité dans les sauts auraient été pertinent. Par exemple, il repensa à ces joueurs qui trouvèrent le jeu bien trop punitif lors des séquences de plateforme, et il se demanda si une sorte d'assistance permettant de ne plus être aussi précis dans les sauts aurait eu sa place. D'après Farrer, DICE savait que leur oeuvre allait polarisé, mais il ne se doutait pas à quel point ils allaient faire naitre des avis autant opposés.
Le soft ne rencontra pas le succès escompté, mais le bouche à oreille fit son chemin, grapillant des ventes au fil du temps et finissant par introniser Mirror's Edge au rang d'oeuvre culte. Pour EA, le projet ne fut pas un cuisant échec, mais n'était pas non plus véritablement une réussite commerciale, tuant dans l'oeuf la trilogie envisagée durant un temps.
Pour son gameplay grisant couplé à sa direction artistique absolument sublime, Mirror's Edge reste encore aujourd'hui un jeu important pour moi. Minimalisme, épuration et esthétisme sont les termes qui caractérisent le mieux ce titre à l'efficacité hors norme. A ce jour, je n'ai pas encore tenté Mirror's Edge Catalyst, cette suite/reboot/préquelle qui n'a pas du tout été bien reçu, notamment à cause de ce parti pris d'élargir son level design via un open world qui, semble-t-il, dilue totalement le rythme du premier épisode.
Je vais sûrement le lancer très prochainement. En attendant, mange de la soupe au potiron en te couvrant bien, et ne reproduis pas ce que la madame fait à l'écran. C'est une professionnelle et tu te ferais mal en essayant.
Moggy
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