Lemmings, le rêve qui devait devenir réalité.


Lemmings

Pour fêter les 30 ans de Lemmings, j'avais envie de marquer le coup et de parler de ces adorables petites bestioles. A l'instar de Jet Set Willy, je savais qu'un jour j'écrirai un article dessus. Il fait partie de ces titres qui ont forgé mon bagage culturel et qui ont, plus globalement, marqué l'histoire du jeu vidéo. Il est aussi ce titre où un rêve m'a poussé à l'acheter. Revenons donc sur ce coup d'éclat d'un Amiga qui, en ce début 1991, tentait de maintenir sa flamme en plein début de génération 16 bits. Un soft conçu par DMA Design, une équipe de développeurs écossais, plus volontiers coutumiers d'enfanter des shoots plus ou moins sanglants et nettement moins portés vers la sauvegarde d'une espèce toute entière.

"I Have A Dream"

Lemmings 1991

Bon, tu connais le topo: Je parle de moi avant de parler plus en détail du jeu, puisque je suis la chose la plus importante en ce mon... enfin... au moins la personne la plus importante de ce blog.
Quand Lemmings sort, je m'en cogne royalement. Disons que, visuellement, le jeu ne m'attire pas tellement et le principe non plus. Je le vois parfois dans l'émission Micro Kid's ou dans les magazines, mais rien n'y fait: Ces étranges créatures me laissent de marbre. A ce moment là, je préfère m'adonner à tout un tas d'autres titres sur CPC ou Megadrive. 
Cependant, une nuit, je fais un étrange rêve dans lequel sont conviés les lemmings. Les mêmes que j'ai vu en images, des semaines auparavant. Mon esprit les met en scène chez moi: Ils se mettent à se promener dans mon appartement, en escaladant notamment mes murs et en tombant d'une chaise. Soudain, l'appartement, dont la fidélité visuelle et la configuration commencent à bien déconner, se met en plan latéral et je vois les lemmings marcher à la queuleuleu, puis tomber encore et encore sur le sol, avant que je me réveille brusquement. Ce jour est à marquer au fer rouge puisque, à partir de ce moment précis, je me suis mis à avoir une obsession pour ce jeu. Mon rêve a activé une envie folle de jouer à ce soft. La journée, je consulte de nouveau mes magazines, à la recherches de tous les articles qui évoquent les Lemmings; ces mêmes pages dont, jadis, je me foutais éperdument. Je le veux sur ma rutilante Megadrive, alors que je ne sais même pas si il est sorti sur cette plateforme. Je suppose que oui puisque la Master System et la Game Gear bénéficient de leur propre version. 

Lemmings dans les pages de Joystick

Lemmings Test dans Joystick
Critique du jeu dans les pages de Joystick

Tu te souviens des numéros surtaxés qui tentaient d'aider les pauvres gosses coincés dans leurs jeux préférés ? He bien, pour me faire patienter, j'ai même appelé la hotline de Maître Sega (qui avait une voix nettement plus fluette que dans la pub) pour lui poser cette question incroyablement stupide: "Heu... monsieur, est-ce qu'on peut avoir vies infinies dans Lemmings ?" Après un blanc, le prétendu Maitre Sega au bout du fil a juste répondu: "... Bah non !". Voilà ! Dix balles de facture téléphonique pour une telle discussion... Je me dis que ça devait être un job parfois étrange quand même. Le pire, c'est qu'au moment même de formuler ma question, je savais qu'elle était débile et, aujourd'hui encore, je ne sais même pas pourquoi j'ai eu besoin d'appeler ce service pour épancher ma patience. Je désirais probablement créer un lien avec ce jeu. Et à cette époque, les forums de discussions n'existaient pas encore.
Assez vite dans la semaine, j'élabore la meilleure stratégie possible pour convaincre mon père de m'acheter le jeu. Il refuse ! Merde ! Fait chier ! Ah non, il revient... Il accepte finalement ! Youpi !

Le jour même, je joue toute la journée au jeu. Je passe tellement de temps dessus que je subis "l'effet Tetris" le soir même, avant de m'endormir. Je mentionne cet état dans mon article consacré à la Game Boy: Grosso modo, ce syndrome à été observé sur des joueurs s'adonnant à Tetris sur une longue durée. Les conséquences sur l'esprit sont que ces derniers vont commencer à concevoir le monde sous le prisme de ce jeu: Ils vont imaginer comment emboîter les objets du monde réel, "voir" des pièces tomber, etc... Ils vont également se mettre à rêver de tétrominos et même les voir défiler avant de s'endormir. Cela peut s'attribuer avec n'importe quelles activités chronophages qui deviendraient "routinières". Le mimétisme altèrerait notre perception. Quelqu'un qui passerait du temps à développer sur un moteur 3D considérerait les objets de la vie de tous les jours comme des meshs, des objets en volume que l'on peut tourner sur eux même, et déplacer à la volée. L'effet Tetris, c'est un peu le délire que j'ai eu avec Lemmings: Avant de tomber dans les bras de Morphée, je vois ces bestioles bleues grouiller dans mon esprit, et je les imagine se déplacer dans mon appartement, comme dans le rêve que je viens de relater.



Le berger

Lemmings sur Amiga

Comme explicité en début de texte, Lemmings sort en premier lieu sur Amiga, avant d'être porté sur une multitude de plateformes (Megadrive, Super NES, Game Boy, Lynx, Master System, DOS, etc...). Son originalité le rend inclassable, mais si on doit le classifier, on pourrait définir ce titre à la croisée des chemins entre le god game et le jeu de réflexion, saupoudré d'un soupçon d'adresse tant l'expérience peut se montrer parfois délicate, voire vache. Le joueur ne contrôle pas directement les lemmings, mais il leur donne des ordres via un curseur qu'il peut déplacer librement sur l'écran (ce qui rend les parties plus aisées à la souris plutôt qu'à la manette). En début de niveau, les créatures sortent par une trappe une par une, et marchent droit devant elles, inconscientes du moindre danger. Comme le lemming est un peu con, c'est donc au joueur d'incomber de les protéger et de les guider à travers des environnements tous plus dangereux les uns que les autres. La réussite d'un tableau s'effectue lorsqu'un certain nombre de ces êtres franchissent sains et saufs la sortie, symbolisée par une porte. Les lemmings sont donc totalement tributaires de nos directives. On peut ordonner jusqu'à huit ordres bien distincts pour mener à bien notre mission, comme obliger nos créatures à grimper des murs, creuser le sol ou construire un pont. Mais on peut en outre donner des parapluies à nos lemmings pour amortir leur chute, placer un blocker (un individu qui oblige ses congénères à faire demi tour) et, pour finir, il est également possible d'en sacrifier en les faisant exploser. On ne fait pas d'omelette sans casser des oeufs, comme on dit... Mais attention ! Ces actions sont en nombre limité et certains tableaux n'en proposent qu'une maigre sélection. De surcroît, un décompte est omniprésent (et différent d'un monde à un autre) et arrivé à son terme signifie l'échec de la partie. Une option octroie au joueur la possibilité d'augmenter la cadence d'entrée des lemmings sur le terrain. A ce titre, lorsqu'il s'agit d'un niveau abritant une centaine de bestioles, il est très rigolo de voir une longue trainée de ces choses se déplacer simultanément, les uns collés aux autres. Petit, j'appelais ça un "serpent lemmings".

Lemmings Screen

En définitif, il s'agit donc d'un titre basé sur la sauvegarde d'une espèce: Le joueur est un guide omniscient qui doit précieusement prendre soin de ces créatures bleues et aux cheveux verts. Il y a cette sensation, imprégnant tout le jeu, d'être un protecteur qui prend soin de ses "bébés". Par ailleurs, l'idée d'en faire des lemmings fonçant droit vers le ravin vient à l'origine d'un mythe qui a longtemps eu la peau dur. En effet, pendant très longtemps, un documentaire Disney a fait courir le bruit que, lors de migrations, de véritables lemmings (des rongeurs vivant en régions arctiques) se suicidaient par dizaines en se jetant des falaises, en essayant de braver les pays scandinaves. La réalité est qu'un grand nombre d'entre eux trépassaient, poussés par la faim qui leur dictait de prendre des risques inconsidérés. C'est leurs exodes mortelles qui les tuaient, et non une quelconque pulsion autodestructrice. Dans le jeu, on ne sait pas vraiment ce qui motive les lemmings, mais ce qui est sûr, c'est qu'ils sont très déterminés, et ça fait plaisir à voir ! 


Un extrait du fameux documentaire "White Wilderness" de 1958, dans lequel on voit des lemmings se jeter d'une falaise. Le film n'est pas clair car, même si le narrateur n'affirme pas qu'ils se suicident en masse, il laisse planer une certaine ambiguité. De surcroît, le documentaire a déclenché une controverse sur la véracité de ce que ce qui a été filmé:


Il faut mourir pour s'endurcir

Lemmings Goodies
Des magnets pour foutre des lemmings partout sur ton frigo

Lemmings est un jeu dense et généreux: L'aventure compte une centaine de niveaux répartis sur plusieurs paliers de difficultés: Fun, Tricky, Taxing, Mayhem, sur lesquels viennent se greffer Présent et Sunsoft dans certaines versions consoles. Les zones préambules de "Fun" se chargent d'initier le joueur en douceur via des tableaux très simples, s'apparentant à des zones de tutos, pour se faire la main sur les huit actions que l'on peut ordonner à nos créatures. La section Tricky rehausse la difficulté d'un cran, et le jeu commence à réellement devenir coton une fois arrivé aux niveaux Taxing, puis Mayhem. La courbe de progression est assez bien amenée, évitant de trop frustrer les joueurs occasionnels. En effet, ceux qui jouent peu, ou qui ne recherchent pas le challenge à tout prix, peuvent s'adonner aux plaisir de sauver des bestioles, sur une bonne trentaine de terrains minimum. Cette façon de ménager les joueurs occasionnels n'était pas si courant que cela à cette époque. Tout du moins, pas sur courbe d'apprentissage aussi étirée. Plus communément, les jeux se corsaient très rapidement, quitte à laisser une partie du public sur le carreau. 
Ceci étant dit, lorsque Lemmings montre ses muscles, il devient un jeu impitoyable où la moindre erreur peut être sévèrement sanctionnée. C'est en général dans les moments où l'expérience succombe aux sirène de la difficulté que l'aspect puzzle se révèle pleinement: Le joueur commence un niveau, constate le nombre d'action qui lui est alloué, scrute l'entrée et la sortie du terrain, puis tente d'essayer divers moyens pour sauver le plus de lemmings possible. A noter que certains tableaux exigent de sauver la totalité des créatures, tandis que d'autres sont plus laxistes et demandent juste d'en libérer un certain pourcentage. De plus, chaque porte d'entrée ne contient pas le même nombre de personnages à sauver: Dans certaines zones, il y aura une centaine de bébêtes à préserver. Dans d'autres, seul deux ou trois lemmings sortiront de la trappe.

Lemmings The Official Companion
Un guide détaillant la solution de tous les niveaux était sorti en 1993, incluant un disque avec 16 niveaux supplémentaires.

Quand ils ne sont pas juste rigolos ou référentiels (notamment à la culture populaire), certains noms de niveaux peuvent donner un indice sur la marche à suivre. Selon Mike Dailly, un des développeurs du titre, lors de la conception des mondes, il y a eu une sorte de concours interne et amical sur celui qui réaliserait le niveau que personne, au sein de l'équipe, ne parviendrait à démêler, et qui aurait ainsi l'honneur de voir son oeuvre trôner fièrement en guise de niveau final.
L'une des forces du soft réside dans la multitude de manières de terminer la majorité des tableaux. Très souvent, il n'y a pas une seule façon d'arriver à ses fins. Pour l'anecdote, Dailly a expliqué que Dave Jones, un des papas du jeu, avait créé quelques zones lui aussi et qu'il narguait ses collègues en affirmant qu'ils allaient galérer à les achever. Relevant le défi, ses collègues refroidissaient les ardeurs du bonhomme en réussissant à contourner ses casse-têtes d'une autre façon qu'il n'avait pas anticipé.

Certains levels sont très vastes, octroyant une dimension d'épopée à l'aventure, tandis que d'autres se recentrent sur un lieu clôt pour mieux se concentrer sur un puzzle à résoudre. La pluralité des niveaux, ainsi que leur très grand nombre, résulte du fait que la plupart des développeurs ont participé au level design du titre, chacun proposant un type de zones qu'il préférait créer. Différentes ambiances visuelles habillent les niveaux: On retrouve des décors champêtres, des ruines marbrées, mais aussi d'autres, plus inquiétants, qui convivent les lemmings à marcher au dessus de la lave. Ajoutons à cela les nouveaux environnements issus des extensions Oh No ! More Lemmings et Xmas Lemmings sortis quelques temps après le jeu original.

Lemmings Level Design
"Rendez-vous At The Mountain" un monde au level design étiré par rapport à d'autres. Il constituait le monde final de Mayhem, avant l'implantation des niveaux de difficultés "Présent" et "Sunsoft" de certaines versions consoles.

L'éditeur de niveaux a été bâti sur l'interface de Deluxe Paint, un logiciel de dessins sorti sur Amiga, qui a grandement facilité la création des tableaux: En effet, il était aisé de confectionner des décors, puis de les importer directement dans le jeu afin de les tester rapidement. Les principaux architectes de ces levels sont l'oeuvre de Mike Dailly, Gary Timmons, Scott Johnston, avec la participation de Dave Jones. Comme mentionné juste au dessus, chacun y injectait sa singularité dans ces niveaux: Johnston concevait des terrains plus resserrés, tandis que Dailly appréciait parfois obliger le joueur à réaliser plusieurs actions simultanément. Par exemple, faire sortir les lemmings de plusieurs trappes à la fois, exigeant au joueur de garder un oeil partout. C'est également lui qui titrait ses terrains avec un indice dedans. Timmons, lui, réalisait souvent des niveaux très épurés visuellement, avant que Jones ne lui suggère de les étoffer en y plaçant des éléments graphiques ici et là. Scott et Dailly aimaient également concevoir de jolis tableaux tapissés de détails visuels pittoresques.


Lemmings - Lemmingology
"Lemmingology" de Gary Timmons.

Lemmingology de Gary Timmons (Lemmings 1991)
"Lemmingology" visuellement enrichi, grâce aux suggestions de Dave Jones.



Lemmings niveau Hunt The Nessy
"Hunt The Nessy" de Mike Dailly avec son utilisation détournée et rigolote des tiles et autres éléments graphiques.

Dans chaque palier de difficulté se trouve un niveau insolite émaillé de la charte graphique de gloires récentes de DMA Design et Psygnosis: Des décors inspirés de Menace, d'Awesome mais aussi de Shadow of The Beast sont autant de clins d'oeil sympathiques que de pauses salutaires: Effectivement, ces passages sont d'une simplicité enfantine, entourée de niveaux nettement plus hardcore.
Dans le jeu original, un des mondes comporte des bouts de terrain formant les chiffres 666. DMA Design a reçu des commentaires outrés de voir le jeu promouvoir le diable. Pour se prémunir de telles réactions, certaines versions consoles ont censuré le "666" mais aussi le "heaven" écrit en rouge dans un des tableaux. A ce sujet, Dailly a déclaré qu'il n'avait jamais imaginé que cela provoquerait de tels remous. Selon lui, c'était plutôt une bonne chose que les joueurs tentent d'extirper les lemmings des enfers, pour les emmener dans un endroit bien meilleur. 
Anecdote personnelle: ma soeur a passé toute une semaine complète sur le jeu, lorsqu'elle fut en convalescence. Lemmings est visiblement jouable d'une seule main puisque, un bras dans le plâtre, elle a débloqué la totalité des niveaux de la version enrichie sur Megadrive. Je partais à l'école le matin au même instant où elle allumait la console. Je rentrais le midi et j'entendais la musique de Lemmings retentir. Le soir, je la retrouvais toujours devant la console, remplissant, de temps à autre, un petit bloc note où elle notait tous les passwords de toutes les zones. Ses notes m'ont accompagné pendant deux décennies avant de se perdre, lors d'un déménagement.

Lemmings polémique 666
"Aaaaahh ! Promotion de Satan !! Aaaaaahh !!"

Lemmings Heaven

Lemmings est donc un titre qui devient très vite ardu: La seconde partie contient des séquences dans lesquelles on passe le plus clair de son temps à mettre le jeu en pause pour pouvoir observer le level design, avant d'élaborer des stratégies et de cartographier mentalement la manière d'accompagner nos bestioles à la félicité. En sus, le soft ne pardonne pas les erreurs. Par exemple, certaines missions nous demandent de creuser à des endroits très précis, juste avant un précipice. Si on loupe notre coup, on perd un lemming. La limitation des actions conjuguée aux placements au pixel près de nos protégés exigent une attention et une minutie de tous les instants. De même, il faut parfois finaliser un tableau avec 100% de rongeurs sauvés, tout en nous contraignant de placer des blockers dans la zone. Sauf que ces derniers, une fois activés, ne peuvent plus se remettre à leur état initial, c'est à dire marcher de nouveau. En règle générale, il faut les sacrifier en les faisant sauter. Ça, c'est ce que nous enseigne le game design, pendant un long moment. Il y a une autre alternative: Celle de "débloquer" les blockers en plaçant un lemming qui creuse juste en dessous de leurs pieds, décoinçant ces lemmings par la suite. Une autre vacherie est qu'il arrive qu'on veuille attribuer un rôle spécifique à un lemming plongé au milieu d'une cinquantaine de ses congénères, entassés dans un endroit exigu. Et lorsqu'on a un nombre très restreint d'actions et qu'on se loupe, les larmes peuvent vite couler le long de notre visage. En définitif, de bonnes crises de nerf sont en prévision...
En même temps, la jaquette originale nous avait prévenu:

Lemmings (Amiga cover)
La cover originale du jeu avec son message d'avertissement indiquant que les lemmings n'étaient pas responsables de la perte de raison, de la perte des cheveux et du manque de sommeil.

Mignon mais cruel

Lemmings - Menacing
"Menacing", le niveau spécial de la division "Tricky", clin d'oeil à "Menace", une oeuvre précédente de DMA Design.

Visuellement, le jeu est relativement simpliste mais pas dénoué de charme. Je dirais même qu'il est vraiment mignon. Comme précité dans ce texte, il y a quelques décors types qui reviennent tout au long de l'aventure. Mais le brio visuel demeure dans ce tour de force d'avoir su rendre si vivant ces tous petits sprites de 8X10. Il suffit de contempler ses lemmings se mouvoir pour craquer tout plein d'amour. Leur dégaine lorsqu'ils marchent ou bien cette petite pause suivie d'un coup de pioche, mais aussi ces petits mouvements lorsqu'ils flottent dans les airs avec leur parapluie sont un régal pour les yeux. Les animations ont donc bénéficié d'un soin tout particulier. D'ailleurs, il est extraordinaire de constater que, malgré leur petitesse, les lemmings possèdent une large gamme d'animations les rendant prodigieusement expressifs. Une véritable performance: les mouvements de la tête des blockers, la main suspendue pendant une seconde du basher sont de formidables exemples d'un travail magistral sur les anims. Et il n'est pas si évident que ça de rendre lisible de tels mouvements sur si peu de pixels. Effectivement, si un de ces derniers n'est pas placé au bon moment, il y a un risque non négligeable qu'on ne comprenne pas ce qui se passe à l'écran. Mention spéciale aux haussements des épaules des builders lorsqu'ils n'ont plus de briques pour construire un pont. A cet instant, ces derniers s'adressent au joueur, face caméra, brisant le quatrième mur; une chose relativement rare dans le jeu vidéo à cette époque. On trouve bien entendu quelques exemples de héros de platformers qui s'impatientent en jetant un coup d'oeil au joueur, lorsque ce dernier pose la manette quelques secondes, mais cela reste quelques rares cas. Le faible nombre de pixels alloué aux lemmings permet d'en afficher une centaine à l'écran en simultané. 
La miniaturisation de nos créatures contraste avec le gigantisme des décors. La petite taille de nos personnages vient à rendre menaçant les environnements les plus anodins.. Les collines deviennent subitement plus intimidantes et un petit cours d'eau prend des allures de dangereuses rivières. 

Lemmings (Megadrive cover)
Cover Megadrive avec une illustration (la même que sur SNES) présentant un chara design qui diffère des autres images officielles. J'adorais ce style là.

La mignonitude des lemmings est contrebalancée par le monde cruel dans lequel ils évoluent. Plus précisément, il y a beaucoup de mouvements mignons, mais surtout pas mal d'animations de mises à mort: Voir nos adorables créatures s'éclater sur le sol provoque des sentiments ambivalents de rires et de frayeur. Une multitude de pièges, parfois bien vicieux, parsèment les niveaux et attendent qu'une bête imprudente pose ses pieds sur eux. Nos amis peuvent se faire écrabouiller, dévorer, bruler, noyer ou encore découper. Le sadisme suprême découle du fait que le joueur, si il est insatisfait de ses exploits ou si il doit sacrifier quelques vies, peut activer le "nuke", une option qui permet de faire exploser tous les lemmings, engendrant un véritable bain de sang partout sur l'écran. On sent vraiment que les concepteurs ont pris un malin plaisir à faire souffrir ces petites bêtes. D'ailleurs, très tôt dans le développement, ils savaient que tuer les lemmings allait être divertissant. 
Ce contraste entre le mignon de façade et la violence des morts a beaucoup contribué à la singularité de l'univers, ainsi qu'au succès du titre. Mais pas de malentendu ici: Esquisser un petit sourire lors de la découverte d'un nouveau piège, n'efface jamais notre mission première, à savoir adopter une attitude bienveillante envers nos petits protégés. Recontextualiser, cette sensibilité était peu commune pour l'époque, et il est important de souligner que le plus gros succès de la petite équipe de DMA Design aura été leur seul titre où il ne s'agit pas de dézinguer et de tuer tout ce qui bouge.

Lemmings Gif

Comme je le précise plus haut, Lemmings a été porté sur une multitude de plateformes. Personnellement, j'ai surtout poncé la version Megadrive, mais j'ai également passé énormément de temps sur la mouture Super NES et Playstation. Tiens, d'ailleurs, ce sont les japonais de chez Sunsoft qui ont eu la tâche de porter le jeu sur les deux populaires 16-bit. Comme je l'ai déjà expliqué, ces portages bénéficient de deux sections additionnelles, "Present" et "Sunsoft", qui abritent de nouveaux niveaux. Cependant, si on compte trente nouvelles zones pour ces deux paliers, la version SNES n'en comporte que cinq dans la partie "Sunsoft". Le développeur japonais s'est même permis de créer un monde spécial sobrement intitulé "Sunsoft Special", mettant en vedette les protagonistes rigolos de Hebereke, une série de jeux vidéo sortant de l'écurie de la firme nipponne (disparue des radar depuis la fin des années 90). Pour info, le premier épisode est paru chez nous sous le nom Ufouria: The Saga. A titre personnel, c'est ce monde qui m'a fait découvrir cette saga. Je kiffais tellement la musique du niveau.
En outre, certaines itérations bénéficient d'un mode deux joueurs compétitifs dans lequel chacun des concurrents doit amener ses lemmings à sa sortie, le plus rapidement. Détail amusant: Le second player a des personnages aux couleurs inversées: ils sont verts aux cheveux bleus.

Lemmings Sunsoft Special
Voici le level "Sunsoft Special" de la version Sega Megadrive dans lequel on creuse dans les protagonistes de Hebereke.

Que serait un jeu sans habillage sonore ? Pas grand chose. Et celle figurant sur le titre de Psygnosis tape juste. Les lemmings parlent: Ils prononcent "Let's go" avant d'apparaître à l'écran, crient "Youpi" lorsqu'ils touchent la sortie (sauf dans certaines versions, notamment sur Megadrive, où ils font juste un bruit dégueulasse) et font "uuuurrrrkk" quand ils s'écrasent sur le sol. Et on doit leur voix à la maman de Scott Johnston, le responsable des backgrounds et concepteur de niveaux. Pour l'anecdote, j'ai mis longtemps avant de comprendre que les bonshommes prononçaient "Let's go". Pendant des années, je croyais qu'ils disaient juste "Uh oh !".
Dans un premier temps, la musique avait été confié à Brian Johnston, le frère de Scott. Ce dernier avait livré une OST majoritairement constituée de pistes protégées par le droit d'auteur, dont les thèmes de la Famille Addams, Mission Impossible ou encore Batman. Psygnosis, l'éditeur du soft, préféra se préserver de tous problèmes de copyright et appela Tim Wright pour retravailler la bande son. La plupart des musiques incriminées seront effacées. A la place, l'OST comporte une partie de reprises de musiques classiques et de comptines, mais surtout une bonne dose de thèmes originaux. Et ce sont justement ceux là qui font diablement mouche. A titre personnel, les musiques de Lemmings figurent parmi mes OST préférées. Il ne se passe pas une année sans que je les écoute pour travailler ou pour me déplacer à l'extérieur. Et, plus généralement, elles m'ont fait découvrir Tim Wright qui est devenu un des compositeurs que j'ai le plus suivi, pendant longtemps. Le monsieur a composé par la suite pour la licence Wipeout (sous le pseudonyme de CoLD SToRAGE, histoire que ça sonne plus "techno") mais aussi celle de Colony Wars. En outre, Il a permis de faire naitre des vocations aux joueurs Playstation, à travers ses logiciels musicaux Music, Music 2000 et 3000. Si j'ai eu envie de devenir compositeur de jeux vidéo, c'est en partie grâce à lui.

Tim Wright
Un Tim Wright dans son élément.

Les mélodies sont entêtantes, entraînantes mais jamais énervantes. Au contraire, elles restent toujours agréables, même si, bien évidemment elles repassent en boucle tout le long de la centaine de niveaux. La bande son oscille entre thèmes guillerets, tantôt mignonnes, tantôt rythmés, et compositions infusant parfois des tonalités plus sombres et sérieuses, à la limite du sinistre. Malheureusement, toutes les plateformes ne sont pas logées à la même enseigne: L'Amiga propose des pistes lorgnant parfois vers l'aérien du plus joli effet. Mais mes chouchous resteront toujours la version Megadrive, avec ses sons plus bruts et métalliques, octroyant une OST, réarrangée par Hirohiko Takayama, parfaitement bien sentie. Sans oublier celle de Windows 95 réalisée en MIDI et jouée directement via le synthé Windows. Mais surtout un gros "keur" pour l'itération Playstation, avec ses musiques superbement reprises se rapprochant davantage des pistes de Win95. 
En revanche, je pointe du doigt la mouture Super Nintendo, avec sa mauvaise utilisation du chip sonore de la console. Ce travail de réappropriation, réalisé par Tomomi Hatakeyama (un de ses seuls fait d'arme connu dans le jeu vidéo, visiblement), est très décevant et transforme les thèmes emblématiques en vaste blague, accentuant davantage le côté "rigolo" des lemmings. En résulte de curieux choix de réinterprétation, notamment dans la manière d'utiliser tel ou tel son plutôt que d'autres potentiellement plus judicieux. Ces choix musicaux, par moment douteux, aboutissent à obtenir une des versions les plus ratés du titre de Psygnosis. C'est dommage car le title theme de cette version est plutôt chouette. Heureusement, tout n'est pas à jeter.

Voici quelques exemples de différences sonores suivant les plateformes:







Comment fait-on un lemming ?

Lemmings screen ending

C'est vrai ça ! Comment fait-on des lemmings ? A l'origine, la petite tribu de DMA Design vient de terminer le développement de Blood Money et planche activement sur leur prochain projet: Walker, un shoot mettant en vedette un "walker", une espèce de robot à la ED-209 tirée de leur dernière production. Selon les dires de Mike Dailly, c'est à Scott Johnson que l'on confie l'élaboration des graphismes du jeu. Sous Deluxe Paint, ce dernier va réaliser une petite animation de bonhommes aux dimensions de 16X16 pixels se faire massacrer par un walker. Mais Dailly va lui certifier qu'il est possible d'avoir un rendu très sympa rien qu'avec des sprites réduits de 8X8 pixels. Ce dernier va mettre au point une animation cyclique faite de petits personnages se déplaçant et se faisant exterminer à la chaîne. Il montre le résultat au reste de l'équipe qui trouve ça très drôle. Gary Timmons va enrichir l'animation en y rajoutant une bouche, des mains qui écrasent les persos et un piège rotatif. Il retouche aussi quelques peu les mouvements des petits êtres bipèdes. Très rapidement, Russel Kay, un des éminent programmeur du studio, voit le potentiel de bâtir un jeu avec ça. En fait, en voyant l'animation, il s'exclame: "Hey ! Il y a un jeu là-dedans !". C'est encore lui qui va tout naturellement trouver le nom de "lemmings" pour désigner ces petits sprites.

Lemmings origins
La fameuse animation cyclique créée par Mike Dailly avec les retouches de Gary Timmons. Cette ébauche donnera les premières germes d'idées de Lemmings.

A partir de là, les rôles vont se répartir selon les affinités et les préférences des créateurs: Timmons va s'occuper des animations, pendant que Johnson va dessiner les environnements, sans oublier les apports fournis par Dave Jones, Kay et les autres membres du studio. 
Lemmings est donc né sur une simple animation atroce de personnages se faisant assassiner. La mort fait donc partie de l'ADN des lemmings. Oui, c'est horrible !
Une premier prototype est développé sur PC et est proposé à Psygnosis. Feu vert ! Le jeu entre en production, damnant le pion au développement de Walker. Timmons va donner un supplément d'âme à ces petites bestioles en créant les illustrations officielles des covers et autres images promotionnelles, histoire de faciliter le travail de Psygnosis, afin que l'éditeur puisse plus aisément communiquer autour de ce titre si particulier. 

Lemmings - Concept Arts
Concepts art signés Gary Timmons.

Le jeu sort en cette magnifique journée de la saint-valentin du 14 février 1991 et c'est un succès ! La critique est dithyrambique et le public suit. A terme, Lemmings va même bluffer certains acteurs du milieu à l'instar de Fumito Ueda, le papa d'ICO, Shadow of The Colossus et de The Last Guardian, qui affirme que Lemmings a été un soft très inspirant. Il précise qu'il a senti la vie prendre forme sur l'écran du téléviseur pour la première fois de sa vie. Yuji Naka aussi a été marqué. Il déclare avoir été fasciné par le fait de voir des centaines de personnages se déplacer simultanément et agir différemment.
La licence va connaître plusieurs suites, pas toutes aussi brillantes que le volet initiateur et, comme spécifié plus haut, des extensions voient également le jour. Il faut attendre l'année 1993 pour voir débouler la véritable séquelle, Lemmings 2: The Tribes, qui arrive à dynamiter quelque peu le gameplay, afin de proposer une expérience renouvelée par rapport au premier volet. Lemmings 3D, lui, est plutôt raté. Le passage à la 3D n'a pas du tout sied à la série. En revanche, Lomax, un platformer très joli et reprenant quelque peu la charte graphique de Flink sur Megadrive, est un spin off très sympa. Dernièrement, un remake est sorti sur PS3 en téléchargement sur le PSN, et s'inspire de l'édition parue sur PSP et PS2. Sinon, je ne citerai pas Lemmings Paintball, ni Lemmings Revolution, ni All New World of Lemmings. Oh bah tiens !

Lemmings - screen

Ces petits rongeurs bleus n'ont de toute façon jamais autant brillé que lors de la sortie du premier épisode. Ils ont marqué leur temps et on retrouvera ultérieurement du Lemmings dans différentes productions qui ont suivi, à l'instar de Worms de Team 17 (le même studio qui a développé le remake PSP), une version guerrière et au game design à l'opposée, mais également The Humans pour citer les plus connus.
Suite à la sortie du soft, je me suis mis à dessiner des lemmings partout: Je remplissais des pages et des pages de ces mammifères. J'ai même conçus des comic strips les mettant en scène. Pour être franc, on ne pigeait pas toujours grand chose aux gags. Ils étaient soit nuls, soit incompréhensibles. Aujourd'hui, je suis toujours attaché à ces bestioles. DMA Design, eux, ont finalement sorti Walker, peu de temps après, et puis... ils ont fait un petit jeu qui s'appelle GTA jsais plus quoi... un nom comme ça... Plus tard, le studio est rebaptisé Rockstar North, mais la plupart des membres fondateurs ne hantent désormais plus les couloirs de l'entreprise.

Moggy


Lemmings T-shirt de Moggy






Commentaires

  1. Hello , fans des lemmings volez à mon secours..
    je suis sur la nvelle version , au niveau 21 , non VIP , Je décroche '' l introduction musicien ''
    Mais À QUOI ME SERT ELLE ? ... si vous avez la réponse...pensez à moi .

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